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[Monopoles] « L’Urcoopa ne joue pas le jeu de la concurrence »

ALIMENTATION ANIMALE

Cécile Archantec est entrepreneuse dans l’alimentation animale. Elle s’apprête à relancer sous peu son activité autour de produits bio. Elle raconte le contexte étouffant du marché dominé par le mastodonte Urcoopa.

« C’est pas possible, il vend toute ma gamme! », s’alarme soudain Cécile Archantec. Elle vient de tomber sur la page facebook d’un nouveau concurrent opportuniste d’un marché soudain libre. « Quelqu’un a donné toutes les références de ce que je vendais, ce n’est pas normal ! » Sur ses publicités, il affiche « en exclusivité à La Réunion ». C’est interdit et la répression des fraudes traque ces pratiques douteuses. Malheureusement, c’est monnaie courante : les revendeurs s’organisent avec les fournisseurs pour être les seuls sur l’île à vendre une certaine référence de produit.

L’activité de vente d’aliments bio pour animaux de Cécile Archantec était florissante, plus que prometteuse. « Je ne faisais pas venir assez de conteneurs, j’avais tellement de demandes que j’étais obligée de refuser des clients, tout partait très vite. »

Cécile Archantec, entrepreneuse dans le domaine de l'alimentation animale bio
Cécile Archantec

Alimentation animale bio sans OGM

Cécile Archantec ouvre Concept Services Animal en mai 2020, elle est alors la seule à proposer une alimentation animale bio et sans OGM sur l’île. Malheureusement, les évolutions économiques et géopolitiques entraînent un coup d’arrêt de son activité. « Le prix du fret et le prix des céréales avaient beaucoup trop augmenté. Avant, je faisais des conteneurs à 4000 – 4500 euros avec le dédouanement et là, on me demandait 8500 euros pour être sur le bateau, sans dédouanement. Il m’était impossible de continuer. J’ai tout fait pour obtenir de la trésorerie, sans succès. Le Crédit agricole a même refusé mon PGE (prêt garanti par l’Etat, ndlr) sans motif. Je n’ai pas eu d’autre choix que de faire une liquidation judiciaire en novembre 2021. »

Elle ne baisse pas les bras. Elle s’organise, voyage en Europe pour rencontrer de nouveaux fournisseurs. Elle revient à la Réunion à l’hiver austral 2022 et se lance dans la création d’une seconde entreprise qui n’a pas encore vu le jour. Les démarches sont en cours et, dans le milieu, les gens sont au courant.

Prix du fret

Avant de s’installer à La Réunion en 2016, Cécile Archantec avait travaillé en tant que technicienne d’élevage en Bretagne et avait des expériences en tant que cheffe d’exploitation. « Aujourd’hui, le prix du fret et des céréales est un peu redescendu », souligne-t-elle. « Je veux relancer ma boîte dans l’alimentation animale, parce que j’aime ce que je fais, je suis dans mon élément. »

Lorsqu’elle a lancé sa première entreprise, elle a sélectionné elle-même les produits qu’elle souhaitait commercialiser parce qu’elle les connaissait et qu’elle les appréciait pour leur qualité. Avant, on ne les trouvait pas sur l’île. « Dans mes sacs, c’est de la graine, on voit le maïs, le blé, l’avoine, le sorgho… ce ne sont pas des granulés, comme d’autres. » « J’ai un client qui m’a dit : « Nou la fé in lo Urcoopa in lo la vot é i wa lo diférans, nout cabri i pèt ! »

230 000 tonnes d’aliment commercialisées

Les deux vendeurs d’aliments ne jouent pas dans la même cour. « En 2019 , les deux usines ont commercialisé près de 230 000 tonnes d’aliment, dont 70 % sont livrées en vrac à plus de 1000 éleveurs-adhérents des coopératives fondatrices de l’union », indique le site de l’Urcoopa. » « Urcoopa est dans la quantité pas la qualité, nous c’est l’inverse », revendique la cheffe d’entreprise.

Concept services animal, entreprise de vente d'aliments pour animaux, ouverte par Cécile Archantec entre mai 2020 et novembre 2021.

Sur un marché de l’alimentation animale largement dominé par l’Urcoopa, Cécile Archantec décide de faire venir ses produits de France. Le mastodonte, de son côté, importe les produits de base d’Europe de l’Est par exemple, et les mélange à La Réunion au travers de ses propres formules en ajoutant des additifs. Cela lui permet de bénéficier du label « Nou la fé ». « Malgré tout ça, et les subventions qu’ils reçoivent, certains de nos produits sont à de meilleurs tarifs, c’est pas logique », fait remarquer l’entrepreneuse. Outre l’aliment, elle s’apprête à commercialiser une nouvelle fois, sur toute l’île, des compléments alimentaires (vermifuge naturel, bloc de phosphore à l’ail, vitamines, huile de foie de morue…) et des produits nutritionnels, proches du soin.

Position dominante et pressions

« Ici à la Réunion, les gens aiment venir chez moi parce que je connais très bien tout ce qui est nutrition. C’est pas comme dans un magasin où tu achètes ton produit et tu repars avec, sans un conseil, sans une explication. »

Dans un contexte quasi monopolistique, Cécile Archantec vendait directement depuis son dépôt. « Je ne peux pas vendre ailleurs, éventuellement en quincaillerie », précise-t-elle. En effet, l’Urcoopa est actionnaire de plusieurs enseignes d’animalerie (Gamm Vert, Magasin Vert, la Coopérative des Avirons, la Cane…) et elle a des contrats avec d’autres. Elle dispose de 131 magasins revendeurs sur l’île. Sa position dominante lui permet de faire pression sur le marché. « Il existe des petites jardineries indépendantes mais très peu », constate également un autre acteur du milieu. «  Les petites quincailleries souvent vendent de l’aliment Urcoopa. Si elles vendent d’autres produits, la coopérative risque de leur mettre des bâtons dans les roues donc elles évitent. »

Peur de représailles

« L’Urcoopa ne joue pas le jeu de la concurrence », lâche Cécile Archantec. Elle s’est spécialisée dans le cabri, le mouton, le cheval, mais aussi les volailles. Le secteur bovin est complètement verrouillé, l’Urcoopa entretenant des liens forts avec la SicaLait. Sur d’autres secteurs aussi, les éleveurs ne sont pas réellement libres de leurs achats alimentaires. « Mes clients me racontaient qu’ils étaient obligés de mettre mes aliments dans des sacs de l’Urcoopa s’ils ne veulent pas avoir d’ennuis au passage d’un salarié de la coopérative. »

« Les éleveurs ont besoin de leur coopérative donc ils essaient ne pas se la mettre à dos », confirme notre second interlocuteur. « Un éleveur qui achetait chez moi est passé dans un reportage et il a fait de la pub pour l’Urcoopa mais c’était faux. Je lui ai dit la prochaine fois, mets mes sacs à moi, mais ils ne peuvent pas, ils ont peur des représailles. »

« Aujourd’hui, Huguette Bello et le ministre des Outre-mer* sont pour la concurrence, mais j’ai envie de leur dire : donnez nous les moyens. »

Jéromine Santo-Gammaire

*Le ministre Gérald Darmanin a annoncé le 20 août dernier le lancement d’une mission pour lutter contre les monopoles économiques dans les outre-mer.

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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