[Mafate] Sur la route de Grand-Place

ÉPISODE 29 — RELIGION

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Pour ce 29e épisode, après s’être intéressé à la christianisation du cirque, et particulièrement à la paroisse de Notre-Dame de Lourdes, il présente d’autres chapelles, édifices religieux, oratoires, statues de Notre-Dame la vierge Marie, ou de simples croix de chemin qui ont été choisies parmi beaucoup d’autres tout à fait subjectivement.

Sur le chemin Grand Place Rivière des Galets • Ravine Fontaine

Un oratoire sculpté dans la roche

La particularité de cet oratoire réside dans sa construction. Un « pilier » central aménage deux niches dans lesquelles sont logées les statues de Notre Dame et d’un Saint Christophe – « Christophore » porteur du Christ enfant Jésus. Ce qui donne à l’ensemble une allure de style « gothique » particulièrement attrayant.

« Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. Et je n’en reviens pas. Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout. Cette petite fille espérance. Immortelle. »
L’Espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera
Dans le futur du temps et de l’éternité.
Charles Péguy – Le porche du mystère de la deuxième vertu – 1912

Sur les rampes qui montent de Cayenne à Grand Place Boutique

Notre Dame, nichée dans un amas en état permanent d’éboulis. Le paradoxe. Délicatesse de la statue au cœur d’un amoncellement toujours prêt à l’effondrement…

Ne rien dire, regarder votre visage, Laisser le cœur chanter dans son propre langage.
Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu’on a le cœur trop plein. Paul Claudel
De l’émotion pure.

Au col Kichenin

C’est sur le col Kichenin, en direction d’Îlet à Bourse, que se trouve un petit édicule fleuri, maçonné à l’origine, mais dévasté – Il a manifestement fait l’objet d’une réhabilitation On a pieusement disposé dans les décombres une statuette de Notre Dame. Mais sa destruction semble régulière et acharnée…

Croisement Sentier scout Bord Martin x Sentier Ravine Savon

L’édicule sacré construit par Claude Libel, le célèbre tisaneur de Malheur les Hauts, a accompagné toute son histoire et celle de ses enfants. Il abrite une image de Notre Dame et chose absolument inhabituelle à Mafate, une statuette de St Expédit. Claude et sa famille ne manquaient jamais de fleurir cet abri précieux chargé de leurs souvenirs.

Au col Kichenin, pt. sommet 998, sur le sentier qui va de Bord Picard vers Grand Place les Hauts

J’ai laissé sur la photo les objets déposés (sans doute volontairement) autour de la croix : bouteille de bière, chaussure d’enfant, morceaux d’écorce… sans m’interroger pour l’instant sur leur éventuelle signification.

Ilet à Bourse • Chapelle 

Je ne la connais que pour être passé après sa construction… Elle est magnifique !

La chapelle de l’Ilet à Bourse est une œuvre collective rassemblant les habitants de l’îlet et les artistes Jack Beng-Thi et Migline Paroumanou-Pavan. Avec le soutien de divers partenaires, le projet a été réalisé en deux semaines en juin et août 2010.

À l’entrée de l’îlet du côté de Grand Place

Dans l’humilité, deux statuettes de la vierge et une figurant probablement Jésus sont exposées dans cet oratoire en contreplaqué relativement délabré, mais régulièrement fleuri et célébré.

Ilet à Malheur • L’église

Ilet à Malheur, perché à l’altitude de 830 m. entre Grande-Ravine et Ravine Bémale

La toponymie de l’îlet 

L‘Îlet à Malheur devrait son nom à l’affrontement sanglant qui a eu lieu en 1829, entre un détachement commandé par Léonard GUICHARD et une quarantaine de noirs marrons. Ce serait donc par la répression sanglante des esclaves en fuite que cet îlet est connu. Un nom difficile à porter pour un lieu de vie ! nom dont la plupart des habitants ignorent bien heureusement eux-mêmes l’origine supposée.

Autre hypothèse, plus anecdotique : En 1943, on a construit l’église qu’on a surmontée d’un clocher. À cette
même époque, l’abondance des récoltes pose un problème de stockage. À la demande d’un « gros blanc », semble -t-il, on aménage le plafond de l’église pour en faire un grenier. En 1944, un évêque de passage dans l’îlet, probablement Mgr Cléret de LANGAVANT venu sans doute pour
consacrer le bâtiment, découvre le grenier par la présence de nombreuses mites
dans la cure. Il est contraint de nettoyer rageusement ses vêtements souillés de ces parasites noirs et collants… qui tombent du plafond ! Furieux, il maudit alors les cultures de haricots et de
maïs des habitants de l’îlet… Les récoltes suivantes furent désastreuses et
quatre années plus tard, l’église fut emportée par un cyclone (le terrible cyclone de 1948 ?).
Aujourd’hui encore, une opinion fait l’unanimité dans la localité : depuis le
passage de cet évêque, la terre n’a jamais porté de bonnes récoltes ! Légende !!!

Il n’en reste pas moins qu’à mes yeux, cette église est une des plus belles et des plus intéressantes du cirque. Par ses abords, son environnement, sa charpente, ses ornements…

L’approche par le sentier sous les filaos évoque tous les mystères de la foi. Et, à l’arrivée sur le parvis, la façade ensoleillée de l’édifice rassure le randonneur pèlerin sur la bonté de Dieu.
Simplicité et solidité de la charpente – Atmosphère de réconfort 
L’évêque y serait accueilli sans risque…
La cloche et son châssis noyés dans une abondante végétation 

Ilet à Malheur • Dans le cimetière

 Là, le songe idéal qui remplit ma paupière 

Flotte, lumineux voile, entre la terre et nous ; 

Là, mes doutes ingrats se fondent en prière ; 

Je commence debout et j’achève à genoux.

Comme au creux du rocher vole l’humble colombe, 

Cherchant la goutte d’eau qui tombe avant le jour, 

Mon esprit altéré, dans l’ombre de la tombe, 

Va boire un peu de foi, d’espérance et d’amour !

Victor Hugo – 1840

Lieu de recueillement et de passion épuisée, je me suis arrêté dans le cimetière d’Îlet à Malheur, sur le sentier panoramique. C’est là que repose Claude Libelle, le conteur et tisaneur, l’homme qui m’accueillait chez lui, que j’ai aimé profondément, et auquel je rends hommage.

Toutes proches, les sépultures de Justinien Thomas, d’îlet à Bourse et de Joseph Timon, d’Aurère – RIP

Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud

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