Après avoir garanti la traçabilité de ses pellets importés, Albioma ouvre ses portes. La centrale thermique du Gol, à Saint-Louis, s’impose comme l’un des principaux sites de production d’électricité à La Réunion (122 MW sur un total du parc énergétique d’environ 1 200 MW).
La transition du charbon au bois est quasiment terminée. Ne reste du charbon que les ruines de son silo de stockage en cours de démolition. La visite de la centrale thermique du Gol d’Albioma révèle les défis industriels, environnementaux et humains d’un modèle qui s’impose faute d’alternative immédiate.
Dans les entrailles de la bête
Il est un peu plus de 9 heures quand les équipes d’Albioma nous font pénétrer dans l’immense site de la centrale thermique du Gol. Ce qui frappe d’abord, c’est l’ampleur du chantier. Depuis 2022, le site opère une transformation profonde : fin du charbon, place aux pellets de bois compressé. Ils sont stockés dans de nouveaux silos. Les convoyeurs en déversent chaque jour un millier de tonnes dans les chaudières. Pendant la « coupe canne », ils sont couplés à la bagasse (2/3 de pellets contre 1/3 de bagasse).
Sur place, une centaine d’ouvriers s’activent pour assurer la maintenance des trois tranches de production, dont l’une redémarre après une rénovation. Le site reste un chantier permanent, avec des risques accrus : les pellets s’échauffent, produisent de la poussière et peuvent provoquer des bourrages ou des départs de feu s’ils sont mal gérés. « Ce n’est pas un carburant simple à gérer », concède le directeur régional Geoffroy Mercier.
La puissance d’une balle de fusil
Dans les chaudières, les températures atteignent des sommets, la vapeur est poussée à une pression telle qu’une goutte d’eau y aurait la puissance « d’une balle de fusil » si elle arrivait jusqu’à la turbine génératrice d’électricité. Un système d’électrofiltre récupère chaque jour 30 tonnes de cendres volantes, en cours de valorisation dans le secteur du ciment. Les mâchefers, eux, sont réutilisés dans les travaux publics.
À pleine capacité, les trois chaudières peuvent produire plus de 100 MW. Dans la salle de contrôle, les voyants sont surveillés en temps réel : dioxyde de soufre, acide chlorhydrique, CO2… La tranche 3, récemment rénovée, affiche encore quelques dépassements dus à son redémarrage.
L’ambition, en passant du charbon au bois, est d’avoir réduit de 85 % les émissions de gaz à effet de serre. Un chiffre à nuancer : le bois n’est pas neutre, mais, à l’échelle du cycle de vie complet (extraction, transport, combustion), le gain est net comparé au charbon.
Une transition coûteuse… et tendue
il n’en reste pas moins un carburant onéreux. Selon Geoffroy Mercier, « le pellet coûte pratiquement le double du charbon » à quantité d’énergie produite équivalente (rapporté au PCI – pouvoir calorifique inférieur). En moyenne, le prix du pellet oscille entre 250 et 300 € la tonne, contre un charbon historiquement bon marché et dont le cours continue à chuter sous l’effet des annonces anti-écologiques du président américain Donald Trump.
Ce surcoût pèse sur les charges d’exploitation, même si le marché du pellet, en forte structuration, offre plus de stabilité que les énergies fossiles soumises aux aléas géopolitiques. Albioma mise aussi sur ses usines en propre en Australie pour sécuriser son approvisionnement à moyen terme.
Avec 300 millions d’euros investis pour cette transition, la facture est lourde. La grève d’octobre-novembre 2024 a également montré la vulnérabilité sociale d’Albioma. Les revendications portaient sur les conditions de travail, les négociations salariales et la sécurité au sein des exploitations. L’arrêt des centrales du Gol et de Bois-Rouge avait poussé EDF à mettre en place des coupures tournantes. En toile de fond, le fonds d’investissement KKR, actionnaire principal depuis 2022, prévoit déjà sa sortie d’ici deux ans. De quoi alimenter les incertitudes chez les salariés.
Pas de miracle local
Faute de ressources locales suffisantes — la bagasse ne couvre qu’un tiers des besoins, les déchets verts sont trop chlorés, les forêts réunionnaises trop précieuses —, Albioma ne peut pas fournir d’autonomie énergétique à court terme. Même les CSR (combustibles solides de récupération), issus des déchets ménagers, ne devraient représenter que 70 000 tonnes par an à partir de 2026, contre 800 000 tonnes de pellets importés aujourd’hui.
Pour tenir la promesse d’une Réunion décarbonée, les pellets importés semblent devoir rester encore longtemps la principale solution de transition. Le solaire plafonne, faute de foncier. La géothermie profonde, en cours d’exploration vers Camp Pierrot, ne devrait pas produire avant 2031, pour une puissance modeste de 10 MW, loin des 100 MW du Gol. En attendant mieux, c’est bien dans ces chaudières géantes que se joue la souveraineté énergétique réunionnaise.
Franck Cellier
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