Le 20 mai 1975 demeure l’un des événements les plus marquants de l’histoire contemporaine de l’île Maurice. Ce jour-là, des milliers d’étudiants, en majorité issus de milieux modestes, se sont levés pour dire non à l’injustice, à l’inégalité des chances, et à un système éducatif hérité de la colonisation, qui perpétuait l’exclusion et la reproduction sociale.
Dans un pays encore jeune, devenu indépendant en 1968 mais confronté à de fortes tensions sociales, économiques et identitaires, cette révolte fut un cri de dignité porté par une jeunesse consciente, lucide et résolument engagée.
En ce mois de mai 1975, Maurice vit au rythme de frustrations accumulées. Le système scolaire, reflet d’un ordre colonial figé, marginalise les enfants des faubourgs, des zones rurales, ceux des Salines, de Tranquebar ou de Roche-Bois. L’accès aux grandes écoles, aux filières d’excellence et aux postes de pouvoir semble réservé à une élite. La colère gronde, la contestation s’organise.
Portée par les lycéens du collège Royal de Port-Louis, du Bhujoharry, du collège Eden et de bien d’autres établissements, la manifestation prend rapidement l’allure d’un soulèvement national. Les étudiants réclament une école plus juste, un avenir plus équitable. Ils défilent, déterminés, sur la rue Royale, jusqu’au pont de la Grande-Rivière Nord-Ouest, bientôt rebaptisé « pont de la liberté ».
C’est dans cette tension, cette ferveur, cette foi dans le changement, que s’inscrit la voix de Sedley Assonne1, militant et poète de la mémoire. Son poème, « J’étais un enfant de Mai 75 », résonne comme un témoignage intime et collectif :
J’étais un enfant de Mai 75
Un galopin de faubourg
Qui a martelé l’asphalte
Pour faire écho à la colère
J’étais un enfant de Mai 75
Les Salines étaient loin
De la rue Wellington
Du collège Bhujoharry
J’étais un enfant de Mai 75
Et je voulais être enrôlé
Dans la bataille du pont de la liberté
Au-dessus de la Grande-Rivière
J’étais un enfant de Mai 75
Et je porte encore les stigmates
De ce temps où on osait contester
Pour que demain s’affiche sur les murs
J’étais un enfant de Mai 75
Et je ne suis plus qu’un soldat blessé
Qui panse les blessures du passé
Je n’ai jamais été lauréat d’un système vicié !
Mai n’est qu’un mois sur le calendrier
Mais dans ma tête, il restera toujours sacré
Depuis longtemps, j’ai rangé mon auréole
Jamais plus je ne buissonnerai l’école !
Bam Cuttayen chante toujours, en cassette
Et je verse des larmes en cachette
Nous écrivions l’histoire d’un pays
Sur un pont qui n’est plus…
Ce texte bouleversant donne voix à ceux qu’on n’entendait pas, à ceux qui ont osé rêver d’un autre pays. Il parle d’espoir, de blessures, d’engagement, mais aussi de désillusion. Le poème de Sedley Assone nous rappelle que l’histoire ne s’écrit pas seulement dans les manuels, mais aussi dans les rues, les chants, les cris, et les silences.
La répression brutale qui s’abat ce jour-là n’éteindra pas la flamme. Elle marquera cependant les corps et les esprits. Plusieurs jeunes sont arrêtés, certains blessés. Mais le message est passé. Le gouvernement sera contraint de repenser sa politique éducative. Le système d’examens, les conditions d’accès à l’enseignement supérieur, la reconnaissance des besoins des régions marginalisées : tout sera progressivement repensé.
Ce 20 mai 1975, la jeunesse mauricienne s’est affirmée comme une force de transformation, capable de porter une vision nouvelle du pays. Plusieurs figures du mouvement deviendront plus tard des intellectuels, des artistes, des enseignants, des syndicalistes, continuant le combat autrement.
Aujourd’hui, alors que les défis ont changé de visage – crise climatique, précarité, mondialisation numérique – le souffle de Mai 75 demeure. Il nous rappelle que l’engagement citoyen, la conscience critique, et la solidarité sont les piliers d’une société vivante. Commémorer le 20 mai, ce n’est pas regarder vers le passé avec nostalgie : c’est puiser dans cette histoire la force d’agir au présent.
Comme l’écrivait Sedley Assone « Nous écrivions l’histoire d’un pays / Sur un pont qui n’est plus… ». Mais l’écho de ces pas, de cette marche vers la justice, résonne encore dans la mémoire du peuple mauricien.
SAINT-DENIS, le 20 mai 2025
Natou et Patrice
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Crédit photo : Le Mauricien.com
- Sedley ASSONE – Poète de la mémoire militante. Figure marquante de la contestation sociale des années 1970 à Maurice, Sedley Assone est un poète et militant issu des faubourgs de Port-Louis. Engagé très jeune dans les luttes pour la justice sociale, il porte la voix des oubliés avec une plume à la fois sensible et percutante. Son poème « J’étais un enfant de Mai 75 » est devenu un texte emblématique de la mémoire du soulèvement étudiant du 20 mai 1975. Par ses mots, il fait vivre l’écho des révoltes, les blessures du passé et l’espoir d’un pays plus juste. ↩︎
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