KOUR ET KAZ — ÉPISODE 10 À L’ÎLET CERNOT
« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Sociologue, Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud depuis quelques semaines. Nous avions terminé le 9ème épisode avec l’interview émouvante de Marie-Hélène Cernot qui évoquait son enfance dans l’îlet qui porte le nom de sa famille. Pour ce 10ème épisode, nous restons avec le sociologue au même endroit. Nous sommes en 2006 et nous nous penchons sur les arts et techniques déployés par les Cernot pour maçonner, construire ou encore tresser lo vann et la capeline.
Arts & techniques du patrimoine
Les habitants, notamment la génération des grands-parents, détiennent des savoirs traditionnels qui gardent ici, non seulement leur place, mais encore une valeur reconnue.
Si Antoinette Cernot, outre ses capacités domestiques qui lui ont permis d’élever 17 enfants, est habile au tressage des capelines, Michel, lui, a été un constructeur dont les savoir-faire sont considérés dans tout Mafate.
Il a fendu du bois et fait des planches un peu partout. Il a construit des cercueils, et même, exprime-t-il avec un profond respect, celui de son père et de son frère. « Et après, on devait porter le défunt jusqu’au cimetière, parfois jusqu’à Cilaos… » Il a construit les deux maisons dans lesquelles sa famille a vécu sur l’îlet Cernot. Il a été maçon. C’est lui qui, par exemple à Aurère, a construit en maçonnerie la cuisine de la case où habite Alina Timon. Tout comme il a maçonné sa propre cuisine en dur sur l’îlet Cernot. Il a travaillé sur toute l’île. Il a développé les diverses constructions sur la concession de son défunt fils Alix à Chemin Charrette.
Sur l’emplacement maintenant débroussaillé de l’ancienne habitation de grand-père Joseph et grand-mère Angèle, la famille, sous la direction de Michel, entend rebâtir une ou plusieurs cases lontan, en « paï létiver ».
Sa passion des mouches à miel et de l’apiculture est intacte. Il possède 25 « bombardes » au Chemin Charrette. La tradition apicole de la Nouvelle est ainsi revivifiée.
Ici, à son âge, il est encore sollicité pour le tressage des vann’, et la fabrication de pilons et de moulins à maïs. Il n’a encore jamais tissé de tente ou de bertel ! Il préfère ne pas s’y attaquer ! En revanche, il fabrique également des chapeaux, parce que, dit-il « c’est plus facile ! ».
• Lo vann’ est un ustensile indispensable au tri des grains, du riz et du maïs. Chaque ménage, chaque cuisine en possède un ou plusieurs…
• Les principes
– Le bambou est tronçonné de nœud à nœud.
– Michel le travaille avec son sabre à canne et en sépare les fibres, de façon à en sortir les brins qui serviront au tissage.
– Le tissage lui-même suit un plan complexe pour solidariser l’ensemble des parties de l’ouvrage…
Le dernier tisseur de vann’ connu à Mafate est Michel CERNOT, outre Philippe THIBURCE de Grand Place, qui n’en fabrique plus. À Mafate, on a toujours façonné les vann’ en bambou, d’une solidité à l’épreuve du temps et sans commune mesure avec celles que l’on importe maintenant à la Réunion et qu’on trouve sur les marchés forains.
Antoinette CERNOT et le tressage de capelines
• La vannerie représente le dernier artisanat « relativement » exercé encore dans le cirque. Tissage ou tressage, cette pratique de vieille tradition est soumise au risque d’une disparition progressive, dans la mesure où la transmission du savoir-faire n’a pu se produire, face aux déferlements de la modernité qui a éloigné les Mafatais d’une part importante de leur patrimoine.
• Les capelines d’Antoinette Cernot sont confectionnées avec des nik de chiendent. Ici, on appelle nik, les tiges des plantes. Le chiendent d’Antoinette est sans doute un Sporolobus africanus (Poaceae), avec des feuilles engainantes, des fleurs sur un très long épi, des tiges solides et de petites graines vert foncé.
Le carreau à repasser
Dans l’tan lontan, on donnait ce nom au fer à repasser. À Mafate, les vié moun repassent encore ek lo caro. D’autant plus que l’électricité produite par le photovoltaïque demeure tout de même relativement limitée.
Ce carreau à repasser en fonte de fer appartient à Antoinette CERNOT, de l’îlet Cernot. Il était à l’origine la propriété de Marie-Berthe, sa grand-mère. Il a été donné ensuite à Eva, sa mère, puis est parvenu chez Antoinette… Antoinette est née en 1946. On peut accorder légitimement à ce carreau plus de cent ans d’âge.
Il est très usé et brûlé, sa poignée est fendue… Mais il fait l’objet d’une utilisation régulière
Dans le cirque, la lessive se fait encore quelques fois sur la « roche à laver ». On lave au savon de Marseille, on brosse la lessive au coton maï, on la bat au battoir en bois de tamarin ou de natte, puis on rince le linge. Enfin on laisse tremper le linge blanc dans de l’eau colorée par une boule de bleu de méthylène, on le fait sécher au soleil et on le repasse ek lo caro que l’on a posé préalablement sur une plaque de tôle chauffée à blanc ou directement dans les braises du foyer…
Dans le cirque, on trouve encore pas mal de fers identiques, mais bien peu font l’objet d’un usage aussi régulier que celui d’Antoinette Cernot.
Interview de Marie-Hélène CERNOT
Sur l’îlet, on n’a jamais manqué de nourriture. La production de l’îlet, c’était la base de l’alimentation.
Marie-Hélène cite en vrac : le maïs et toutes les façons de le préparer et de le consommer, les haricots verts et secs, les lentilles, les petits pois ronds mangés avec la cosse, les pommes de terre. Mais également les produits d’origine purement locale : manioc, songes, patates douces, conflor. La liste des fruits et des arbres fruitiers est impressionnante pour l’époque. On trouve des prunes, des oranges, des bananes (non pas des figues !), des figues de figuiers, des figues de barbarie (raquette), des pêches, des abricots, des pommes, des goyaviers, plus tardivement des avocats… Bien sûr, ces fruits ne faisaient généralement l’objet d’aucune préparation, excepté parfois sous forme de confiture.
Il convient d’ajouter les viandes, essentiellement poulet et porc. La matière grasse, c’était toujours du saindoux. Et lorsque les cochons de l’îlet ne pouvaient suffire à sa consommation, « nou té achèt la gress la boutik » en bidon.
• Marie-Hélène cite des spécialités :
1 – Le gato conflor, fait de farine râpée à la main. Elle indiquera la recette précise.
2 – Le cari zanguill. Michel, le papa allait attraper les anguilles à la rivière. Spécialité délicieuse… Recette à rédiger.
3 – Véritable jour de fête, la consommation du cari tang. On disposait des feuilles de songes dans une vann. Puis on y mettait le riz et le cari tang. Les convives mangeaient directement avec les mains. C’était la fête… Mais on le disposait parfois sur des feuilles de bananier.
4 – Les champignons à géranium (volvaires) représentent également un délice, rôtis à la poêle.
Les projets d’accueil des randonneurs encouragent visiblement Marie-Hélène à retrouver les anciens produits pour les apprêter selon des recettes, anciennes ou plus inventives, mais certainement pas standardisées. Elle compte s’appuyer sur les productions de son beau-frère Fabrice, et également sur celles de ses frères Angélys et Désiré.
Croix Jubilé – « Kontour ti fiye »
Sentier de l’Îlet Cernot – vers La Nouvelle – 2006
On sort de l’îlet en cheminant sur le sentier qui le relie à celui qui, de La Nouvelle descend sur Roche Plate.
• Cette « croix jubilé » a été disposée à l’emplacement où, dans l’ancien temps, une petite fille est tombée dans la ravine et s’est tuée. L’emplacement a reçu le nom de « Kontour ti fye ». Le cortège qui accompagnait le cercueil des défunts s’arrêtait régulièrement devant la croix jubilé, le temps d’une prière…
• La croix elle-même a été régulièrement entretenue et changée pendant longtemps. Elle se trouve en ce moment (février 2006) dans un état de délabrement avancé.
(Témoignage recueilli auprès de Suzelle Cernot-GAZE, fille de Paul-Irénée CERNOT, née en 1955 à l’îlet Cernot)
Arnold Jaccoud