INITIATIVES POSITIVES
Parallèle Sud a trié les fruits et légumes avec l’association Moun.e au Pti Coin Trankil à la Ravine des Cabris le mercredi 1er mars 2023. Les produits invendus par le Leclerc du secteur sont ensuite repartagés gratuitement, transformés ou utilisés pour la nourriture pour les animaux. L’anti-gaspi : un axe essentiel dans le projet Moun.e Ravaz présenté au Budget d’initiative citoyenne par JJ.
Dans les bacs de légumes, parmi les feuilles de choux éparses, tomates et poires écrasées, poivrons en partie gâtés rendent leur jus. « Tout ça va partir pour nourrir les animaux », explique JJ, 28 ans, qui a créé l’association Moun.e il y a deux ans. A côté, quelques caisses avec des légumes encore consommables, bien qu’ils aient perdu depuis longtemps leur première fraicheur. « Mais ça, on peut transformer, faire des tartes, des confitures, des compotes avec les pommes… ». Les légumes encore consommables seront transformés sur le rond-point Zazalé au Tampon ou distribués à la population gratuitement.
Avec l’association Flag, l’association Moun.e récupère depuis plus de six mois les invendus du magasin Leclerc de la Ravine des Cabris. Les bénévoles de la première asso trient les produits encore corrects et en font une douzaine de paniers bien chargés pour leurs adhérents à petit prix (4 euros). Moun.e de son côté ramasse ce qui reste. Le vendredi, ces derniers repartent avec l’intégralité du stock.
« Une tonne par semaine »
« On récupère environ une tonne par semaine, entre le mardi et le vendredi », indique Cyril, de l’association Flag qui a signé la convention avec la grande surface. L’association Flag s’est constituée en 2020 mais a commencé la récupération des invendus en mai 2022. Elle compte une vingtaine d’adhérents réguliers mais tous ne se déplacent pas sur le terrain. Mobiliser les volontaires pour le tri n’est pas le plus facile, que ce soit du côté de Moun.e comme de Flag.
Pourtant, sous les mains de la dizaine de bénévoles présents ce matin 1er mars, les cagettes se remplissent assez rapidement. Une heure plus tard, elles sont prêtes à être transférées ailleurs.
Tous les mardis, le tri se fait au Pti coin trankil, situé à la Ravine des Cabris. Jacky de l’association Germin’acteurs, Pat et plusieurs autres personnes régulières tiennent ce lieu qu’ils ont entièrement nettoyé depuis deux ans des déchets et carcasses de voitures qui s’y trouvaient. L’endroit est destiné, entre autres activités foisonnantes, à la culture, au recyclage, à la revalorisation des biodéchets. C’est aussi un lieu de partage avec des repas collectifs au moins deux fois par semaine. A l’entrée, quatre composts sont en fabrication pour pouvoir mieux traiter les restes issus du tri de légumes. En échange de prêter leur lieu, et dans une dynamique d’entraide, l’association Flag leur laisse une ou deux caisses de légumes.
« L’anti-gaspi a toujours fait partie de moi »
Dans les cuisines, les habitués s’affairent tandis que l’association Moun.e charge déjà ses cagettes dans une camionnette affrétée par Michael, un particulier.
« L’anti-gaspi a toujours fait partie de moi », s’exclame JJ. « Ma grandi andan la, c’est une valeur que mi apprend a mes marmay aussi, mi essaie en tous cas. La toujours fatigue a mwin de voir tout sak lété jeté alor ke nena domoun dann bozwin. »
Débarqués sur le rond-point Zazalé, les fruits et légumes sont pris en charge par d’autres personnes qui les nettoient. Après quoi ils sont rangés sur des étagères qui tiennent lieu de petite épicerie, en attendant d’être déposés dans les cabas par les passants.
« Bien sûr il y a un côté militant qui rentre dans la démarche de Moun.e : le côté partage, le planter pour manger, l’autonomie alimentaire », souligne JJ. « J’ai pris conscience que si ce n’est pas nous qui faisons, personne ne va faire les choses à notre place. »
Connaissez-vous le ravaz ?
Son projet, elle le fait mijoter depuis trois ans, depuis ce start up week-end auquel elle avait participé à Saint-Pierre. Ca s’appelait Moun.e café. Aujourd’hui, l’entrepreneuse a muri, comme son projet qui s’appelle désormais Moun.e Ravaz. « Un ravaz c’est un morceau de racine bouillie que ou mange koma en fait, mais un peu sans goût sans sentiment. Ou mèt in ti grindsel dési si ou ve. Ca collait beaucoup mieux à l’identité réunionnaise qu’on veut donner. Avec le petit coté ravazeur / ravazeuse », ajoute-t-elle en souriant.
Dans l’idée qu’elle élabore, la cuisine tient un peu lieu de point alchimique. C’est de là que tout part. « La nourriture, c’est le prétexte de toute la transmission et tout le lianage social et intergénérationnel que l’on veut. La cuisine ça réunit, ça délie les langues. » JJ a soumis un projet au Budget d’initiative citoyenne du Département (le Bic). Avec la somme obtenue grâce aux votes, elle espère pouvoir louer une petite roulotte pour proposer de la cuisine saine, locale, pas chère et surtout gourmande en itinérance sur toute l’île. Au menu : galettes manioc, pesto mouroum, salade papaye verte, boulettes songe…
Résilience et autonomie alimentaire
« Il y a un tas de gramounes qui sont un peu dégoutés du manioc, des songes, même du fruit à pain alors qu’en fait, si tu cuisines le traditionnel avec les exigences culinaires et gustatives qu’on a maintenant c’est trop bon ! » Ouvrir les yeux sur ce qui pousse à côté de chez nous, sur le bord du chemin ou même dans notre cour est aussi une étape indispensable lorsqu’on se met à réfléchir à la question de la résilience alimentaire et de l’autonomie.
Parmi les différents ateliers qu’elle a animés, la jeune femme se souvient de son passage dans les maisons de quartier. « Il y a des fois où on allait dans le chemin avec les filles et on cassait du mouroum, du tamarin de l’Inde et on se disait ‘avec ça qu’est-ce qu’on fait’. Du coup on a découvert qu’on pouvait fabriquer un super caramel de tamarin de l’Inde trop bon, du jus de jamalac, etc. Elles me disaient « sa nou nou lès gaté ater » alors que ça pousse de manière sauvage dans leur quartier. L’objectif c’est de réapprendre ça. Badamier, rézin bordmer… ce sont des aliments qui se consomment mais qu’on n’a plus l’habitude de manger. »
Noix de badamier
« Le badamier, une fois que tu as cassé la coque, récupéré la graine, déjà tu peux manger comme ça parce que c’est trop bon. Sinon, tu concasses, tu peux faire une espèce de nougatine avec, mettre dans un pesto. Quand on fait notre pesto mouroum en général, on met la noix de macadamia, mais si tu veux faire à moindre coût, tu peux trapper un tas de badamier à terre à Saint-Pierre et puis tu as tes noix. C’est gratuit et c’est local. C’est sauvage, ça pousse tout seul. » Parfois, pour éviter de laisser les fruits moisir au sol, JJ et les bénévoles de son association ont mis en place des référencements d’arbres fruitiers dans les cours.
Moun.e Ravaz, c’est une branche de l’association Moun.e dont les statuts sont volontairement très ouverts. On y trouve le lokalab pour la fabrication d’huile et de farine locales. Il y a la branche forêt sobat, mise en place avec le co-gîte du Dimitile, pour limiter la prolifération des plantes invasives et replanter avec les jeunes des endémiques. Il y a le côté culturel aussi. Elle même fait du théâtre d’improvisation et a monté sa propre structure. Elle rêve d’avoir un terrain, un lieu de rencontres intergénérationnelles et de développement d’ateliers qui permettent d’apprendre ensemble et de faire du lien au sein d’un quartier entre des personnes qui ne se seraient peut-être jamais rencontrées autrement.
« Nout tout té mayé ansanm »
« Mwin lé marké, kan mwin té pti, kan mé paran travayé nou té gardé par tonton, tatie, vwazin, tousala é du kou mi rapel ke navé dgramoun, navé dmatante, navé de jeune marmay, de jeune gens, anou, é tout té mayé ansanm. On se transmet les histoires et ça nous fait grandir. On pourrait faire des ateliers de tricot, tressage, que les matantes peuvent apporter comme atelier et, pendant ce temps-là, c’est en mode petit ladilafé par-ci, ti kozé par là. On pourrait faire des ateliers pour apprendre à trier des brèdes chouchou. Kisa ankor dans la jeunesse connait trier brèdes chouchou ? C’est tout bête mais à nous de le remettre en valeur parce que c’est en train de se perdre. »
Pour continuer d’avancer dans le rêve, continuer d’imaginer la suite de l’aventure Moun.e, JJ a trouvé le soutien de son amie Julie qui vit au Tampon. Elle aussi en pleine transition s’apprête à ouvrir au public l’espace dont elle dispose, son grand jardin, pour des activités variées.
Jéromine Santo-Gammaire