LA PRÉVENTION PERSONA NON GRATA
Le collectif Effet en Fêt lutte contre les risques et les dommages en milieu festif. Jusqu’ici, le Sakifo refuse sa présence sur le site du festival.
Un festival, c’est de la musique, des concerts, la fête et pour certains des drogues en abus. L’alcool en premier lieu, on y vend la bière par demi-litres, mais aussi toutes sortes de substances illégales dont l’usage n’est pas toujours bien maîtrisé. Pour lutter contre les risques liés à ces comportements, à la demande de l’Agence régionale de santé, le collectif Effet en Fêt fait de la prévention sur les sites de fête, officiels ou illégaux, depuis deux ans. Tous ? Non ! Un petit (gros) village résiste encore et toujours, le Sakifo, qui se tiendra du 2 au 4 juin et sa petite sœur Francofolies.
« Nous avons proposé nos services, une délégation de Sakifo Production nous a rencontrés, mais expliqué que certains dans leur équipe — sans citer son directeur Jérôme Galabert — s’opposaient à notre présence sur les festivals. Ou alors sans nos supports de lutte contre les risques liés à la drogue », indique Quentin Gorrias, le coordonnateur du collectif. Car Effet en Fêt et ses trente-cinq bénévoles, sur leurs stands, militent aussi pour la santé sexuelle avec la distribution de préservatifs et de lubrifiant, pour la préservation de l’ouïe grâce à des bouchons d’oreilles gratuits eux aussi, pour la bonne prise en compte du consentement et contre les violences et le harcèlement sexiste et sexuel. Tous ces phénomènes étant aggravés par la prise de drogues. Bien sûr, « le collectif espère toujours pouvoir souder un partenariat solide entre Sakifo Production et Effet en Fêt ». Mais un « partenariat qui permettra à chacun de réaliser toutes ses missions en complémentarité ».
« Pas la promotion du produit »
On en conclut donc que ce qui fait peur à la direction de Sakifo Production provient de l’accompagnement des usagers de drogues. Il s’agit pour le collectif de prévenir la transmission de l’hépatite C par la distribution de simples carnets de papier qui servent à fabriquer des pailles pour la consommation de cocaïne. Des pipes à crack sont également disponibles, nous pensons qu’elles sont tout de même moins demandées dans notre île. Et bientôt la possibilité d’analyser sur place la composition de sa drogue. « Il ne s’agit pas pour autant de faire la promotion du produit », recadre Quentin Gorrias. Effet en Fêt prend soin également des usagers de drogues victimes de « bad trip », quand les paradis artificiels tournent au cauchemar, il faut le plus souvent juste rassurer en attendant que ça passe. Dans les cas les plus graves, secouristes ou médecins sont appelés à la rescousse.
Nous le savons, l’interdiction n’empêche pas la prise de drogue. Mais elle freine une bonne information sur les risques pris. Quand on ne peut pas empêcher un jeune de faire une expérience, on peut quand même lui éviter un surdosage.
Toutes les drogues présentes
Et le risque est grand. Toutes sortes de produits vraiment toxiques circulent dans notre île tout autant que dans l’Hexagone. « Cocaïne, kétamine, MDMA, LSD, amphétamines, on trouve absolument de tout ici », confirme Quentin Gorrias. « Et, quand on donne les accessoires, on explique les effets, les risques… Ça permet d’établir le contact et de discuter avec l’usager. On ne moralise pas, nous ne disons pas si c’est bien ou si c’est mal; cette attitude serait confondue avec de la propagande ou des encouragements ? » s’interroge le coordinateur de Effet en Fêt qui répète que « la bonne information permet de réduire les risques ». Le tout dans la « bienveillance, le respect et la confidentialité ».
Sakifo Production — que nous avons cherché à contacter mais dont le directeur n’est pas joignable avant le mois prochain — sait probablement tout ça. L’organisateur de festivals sait que la distribution de préservatifs dans les lycées ne conduit pas à des orgies dans les toilettes, il sait que la distribution de seringues dans les pharmacies n’a pas fait exploser le nombre d’héroïnomanes, alors pourquoi tant de pudeur ? Dans l’attente d’en discuter avec son responsable, nous pensons qu’il craint pour l’image de son festival. Il faut pour la bonne marche des affaires que les parents des jeunes ados spectateurs ne soient pas inquiets pour leurs enfants et, pour cela, on cache la poussière sous le tapis ; ce qui ne se voit pas n’existe pas, peut-on penser.
Et, si un doute existe encore sur le bien fondé de Effet en Fêt, Quentin Gorrias rappelle que le collectif est né d’un appel à projet de l’ARS qui le finance via le Réseau Oté! (lutte contre les addictions), qu’il est soutenu par la préfecture, partenaire du Chor, du planning familial, du CHU, du Réseau Oté!, de Santé Addiction Outre-Mer, de l’Association Addictions France, de Médecins du monde, de Nous Toutes 974, du PRMA. Effet en Fêt est déjà partenaire de festivals comme Big Up 974, des Electropicales, du Kabardock, du Zinc à Saint-Leu, de la Somen Requeer, des organisateurs de free parties… A quand le Sakifo ?
Philippe Nanpon