La Saint-Patrick dans les dunes du Qatar 

LIBRE EXPRESSION

Les réseaux celtiques sont nombreux dans les pays du golfe Persique : Qatar Irish Society (1200 membres), réseau Scots in Qatar ou encore réseau Qatar Australia QANZBA (40 % de la population australienne a des origines celtiques). A l’occasion de la Saint-Patrick, La Réunion a-t-elle une carte à jouer comme plateforme d’innovation entre les tigres du Moyen-Orient et de l’océan Indien et tigres celtiques ? Et servir de carrefour avec ses voisins et pôles de la diaspora irlandaise (Afrique du sud, Maurice, Australie…) ? 

A ce titre, la Saint-Patrick doit être perçue comme un dialogue cosmopolite permettant de favoriser des opportunités de contact et de partenariat à travers le monde. L’importance de manifestations comme la Saint-Patrick est stratégique pour partir à la rencontre de la diaspora irlandaise au Qatar et en Australie, où le pays du trèfle dispose de nombreux ambassadeurs qui font confiance à la jeunesse. 

Dès lors, pourquoi s’intéresser au Qatar ? Ce pays veut devenir un carrefour de développement ultime des axes reliant l’Europe à l’Australie, en s’appuyant sur sa position de hub aérien vers les destinations d’Asie-Pacifique. Si une telle vision nous replonge sur les routes commerciales de l’océan Indien parcourues par les navigateurs (au temps des compagnies des Indes et autres aventures vers les mers du sud), il existe aussi une vision actualisée des opportunités pour les entrepreneurs dans ce nouveau partage du monde. 

L’activité commerciale du golfe Persique est attestée dix siècles avant notre ère. Ce n’est toutefois qu’au XVIIe siècle que cette région se constitue comme entité autonome, notamment avec l’arrivée de tribus en provenance d’Arabie. Le « Golfe » apparait alors sur les cartes européennes, à l’initiative d’ailleurs de cartographes français. C’est alors un passage obligé sur la route des Indes et la France y conteste la suprématie britannique. 

Les premiers contacts entre les autorités officielles françaises et du golfe Persique ont lieu à la fin du XVIIIe siècle. En 1778, un émissaire français envoyé auprès des autorités françaises de Pondichéry, alors sous le feu anglais, est capturé en chemin aux alentours de Bassorah (actuel Irak) par des nomades qui le relâchent au Koweït où il se met sous la protection de Cheikh Abdallah, fils de Sabah Ier ; ce dernier est le tout premier cheikh du Koweït, devenu une entité nationale souveraine, dirigée par la famille des Sabah (actuelle famille régnante), choisie librement par les familles marchandes locales pour les gouverner. La même hospitalité sera accordée peu de temps après à Jean-François Xavier Rousseau (neveu du philosophe des Lumières), consul à Bassorah, celui-ci s’étant enfui de la ville avant sa destruction par les Perses. 

Dès lors, la position d’ouverture du golfe Persique est connue ; cette ouverture permet à la région de devenir, au cours du XIXe siècle, un carrefour maritime entre les Indes, l’Europe et l’Empire ottoman, notamment grâce au commerce des chevaux arabes, utilisés à des fins militaires, et des perles. 

Les relations entre le golfe Persique et la France se développent ; elles sont essentiellement commerciales et permettent à l’influence de l’Occident de s’y ancrer. Des témoignages relatent qu’au milieu du XIXe siècle, Cheikh Sabah II était un fidèle lecteur de l’Oriental Paris Gazette. Le commerce de la perle est à ce point florissant qu’il permet alors à certains bijoutiers français, reconvertis dans l’immobilier, de transformer l’avenue des Champs-Elysées et certains de ses hôtels particuliers, pour en faire ce qu’ils sont encore aujourd’hui. 

La première moitié du XXe est marquée par la découverte de l’or noir dans la région ; c’est en 1938 que le pétrole est découvert au Koweït. Et ce sont principalement les Britanniques qui en profitent, en  développant l’industrie pétrolière, qui permettra l’essor de l’économie après la Seconde Guerre mondiale. 

Nomadisme, circulation… Echanges … Comment brancher …(?) A la croisée des rêves de Jules Verne, l’amiral Zheng He qui avait exploré le détroit d’Hormuz sur les traces de Marco Polo ou encore Ma Yun, fondateur d’Alibaba, leader chinois du commerce en ligne. Aujourd’hui, les réseaux celtiques qui rayonnent à travers le monde peuvent certainement offrir un espace inclusif d’innovations pour de nouveaux échanges. 

La princesse Grace Kelly (1929-1982), faut-il le rappeler, était d’origine irlandaise. A chaque Saint-Patrick, la bibliothèque Princess Grace Irish Library à Monaco fait donc les choses en grand à l’image du palais princier, illuminé de vert. Les modèles d’engagement et de philanthropie irlandais ou monégasques bénéficient d’un héritage historique fort et profond, à l’image des liens ancestraux entre les Grimaldi et le pays de Matignon dans les Côtes d’Armor. 

Des liens de solidarité existent toujours entre mondes celtique, moyen-oriental et méditerranéen. Le Breizh Nice Club a été fondé dans les Alpes Maritimes pour créer ce lien enthousiaste entre les Bretons de la Côte d’Azur et les amoureux de la Bretagne. Ces deux terres sont géographiquement très éloignées. On ne fait pas plus longue diagonale en France : plus de 1400 kilomètres entre Nice et la pointe bretonne. Terre d’accueil historique de la villégiature russe, la baie des Anges pourrait certainement jouer un rôle de passage de témoin pour mélanger influences et idées. L’iconographie autour de saint Michel est très marquée dans le patrimoine russe, à l’instar de cathédrale de l’archange-Saint-Michel de Moscou (nécropole des grands-princes de Moscou et des premiers tsars). 

Incubateur d’idées, la commission Kavadenn (qui signifie « découvertes ») de l’association des cadres bretons a publié un livre blanc pour faire du Mont-Saint-Michel le plus grand objet connecté du monde pour financer sa restauration grâce aux données numériques. Cette initiative cherche à s’appuyer sur des réseaux entrepreneuriaux et technologiques azuréens (FrenchTech, technopole Sophia Antipolis) mais aussi des territoires « partenaires » ou jumelés avec la métropole niçoise (Netanya en Israël…). 

A l’instar du livre blanc du Livre Blanc Monaco 2029 et de la démarche Monaco Crowdfunding qui soutient des projets innovants (agriculture urbaine avec Terre de Monaco, valorisation de nouvelles ressources liées à la mer…), Monaco et la Bretagne placent beaucoup d’espoirs sur le financement participatif comme berceau fécond des entreprises intelligentes et incubateur-tremplin entre les réseaux bretons et celtiques du monde entier. Marine de Carné-Trécesson, ambassadrice de France à Monaco (d’origine bretonne) avait été soucieuse d’appuyer des démarches vertueuses dans ce sens. Par ailleurs, Nice avec ses jumelages dispose d’une belle toile économique et culturelle celtique qui rayonne au-delà des océans (Édimbourg, Nouméa et son amicale des Bretons qui fêtait en 2014 son 120e anniversaire…). 

Les réseaux bretons à Monaco dialoguent régulièrement avec les bretons de Londres qui cherchent à développer des liens entre « Petite » et Grande-Bretagne. La présence britannique sur le littoral azuréen est un atout pour imaginer des perspectives communes. A l’instar de la Fondation Stelios du fondateur chypriote d’Easyjet, il existe à Londres de nombreuses opportunités de financement et de partenariat pour des fondations, associations et entrepreneurs méditerranéens. 

Le Crédit Mobilier de Monaco apporte depuis 1907 (ordonnance souveraine du 1er mai) un financement rapide pour répondre à un besoin de trésorerie. Sa mission sociale s’inscrit dans l’héritage du Mont de Piété, né sous la forme de deux bureaux d’assistance. L’un prêtait de l’argent, l’autre des semences pour aider les paysans dont la récolte n’avait pas été suffisamment abondante. 

En matière d’agriculture urbaine, le fondateur d’EasyJet, Stelios Haji-Ioannou, entrepreneur et milliardaire britannique d’origine chypriote, a monté sa propre fondation Stelios Philanthropic Foundation avec un volet en faveur de l’environnement en Méditerranée. 

Sur le volet financement et startups : Monaco Crowdfunding entend financer grâce sa plateforme des projets innovants et solidaires sur le territoire azuréen, en s’appuyant sur la philosophie du Livre Blanc Monaco 2029 qui suggère une innovation permanente dans le secteur financier : « Sur l’exemple de la Silicon Valley, les autorités monégasques doivent promouvoir des moyens simples d’accessibilité aux capitaux disponibles pour les entrepreneurs à Monaco. Cependant, Monaco ne disposant pas en quantité suffisante de preneurs de risques financiers (business angels, sociétés de financement, de capital-risque et de capital développement), il faudra susciter la mise en place d’un réseau ad hoc. » 

Le pavillon Monaco à l’Expo universelle d’Astana consacrée aux énergies du futur a partagé une vision audacieuse de l’économie bleue et ses nombreuses potentialités. 

A l’occasion de la Saint-Patrick, voici quelques nouvelles enthousiastes qui nous invitent à imaginer une « nouvelle frontière intelligente » entre réseaux celtiques, moyen-orientaux et océan Indien pour demain. 

Kevin Lognoné

Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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