COMMENT LA PRÉFECTURE DÉCIDE
Statique ou en mouvement, barrage ou défilé, l’organisateur de manifestation propose, la préfecture dispose. Nous l’avions vu la semaine dernière côté intersyndicale, mais comment les services de l’Etat décident-ils de ce qu’il est possible de faire ? Réponse avec Parvine Lacombe, directrice de cabinet du préfet de La Réunion.
Mme Lacombe, nous avions présenté comment se décide une manifestation par ses organisateurs, mais comment la préfecture prend-elle la décision de permettre ou, au contraire, d’interdire ?
Tout d’abord, il faut rappeler que manifester est un droit constitutionnel, un droit fondamental tout comme le droit de grève. C’est un droit important. Le droit prévoit un régime déclaratif. Quand on a la volonté d’organiser une manifestation, on doit la déclarer en préfecture, en sous-préfecture, ou à la mairie si l’on est en zone gendarmerie. Dans les faits, on fait souvent appel à la préfecture mais peu importe du moment que l’on soit au courant.
Pratiquement, comme cela se passe-t-il ?
Pratiquement il y a un formulaire à remplir. Il faut signaler le nombre de manifestants estimé, le lieu de la manifestation envisagé, si elle sera statique ou en mouvement, si le service d’ordre — qui est obligatoire — est prévu, s’il y aura une sono, des tentes, etc. Tout ça permet d’anticiper l’ampleur de la manifestation, les gênes éventuelles sur la circulation, l’économie, les particuliers. Cela permet d’encadrer la manifestation pour la sécurité des manifestants, de la population, de prévoir les désagréments routiers et autres.
On entend parler de manifestations interdites, de manifestations non déclarées… Et si on ne déclare pas une manifestation ?
Si on organise une manifestation et qu’elle n’est pas déclarée, on encourt une peine judiciaire.
Une déclaration suffit donc ?
Parfois le parcours, l’horaire, demande un aménagement qui peut se faire en bonne intelligence avec l’organisateur. Il s’agit de respecter un équilibre entre la manifestation et les autres intérêts en présence. On peut imaginer par exemple que le parcours passe le jour d’un grand marché, ça ne conviendrait pas.
Et les cas d’interdiction ?
Pour estimer la possibilité de la manifestation, si la manifestation est déclarée, nous devons estimer au cas par cas le risque à l’ordre public, à des violences… Cela est jugé en fonction du contexte, des manifestations précédentes, de l’ampleur estimée… Si elle n’est pas déclarée, et que nous avons des indices qui permettent de savoir qu’une potentielle manifestation aura lieu, elle peut être interdite. Mais nous essaierons de convaincre l’organisateur de faire une déclaration, l’omission peut être aussi du fait de la méconnaissance de la règlementation. Nous sommes toujours à la recherche d’un équilibre entre le droit de manifester et les troubles à l’ordre public.
Dernièrement, l’intersyndicale a bloqué une demi-journée la SRPP. Tout s’est bien passé, mais on peut imaginer que plus longtemps aurait posé problème. Où met-on le curseur entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas ?
Nous sommes dans une logique de dialogue. Nous avons estimé qu’une bonne demi-journée avait un impact acceptable mais je ne peux pas vous dire ce qu’il en serait pour x jours de blocage, c’est une question de proportion, encore une fois entre le droit de manifester et les troubles occasionnés.
Albioma, c’est autre chose
Et entre un barrage filtrant et un blocage de la circulation ?
Nous souhaitons éviter la montée en tension, pour la protection des manifestants — des automobilistes empêchés pourraient s’énerver —, pour que les secours puissent circuler… Un blocage ferme serait disproportionné avec des risques importants de troubles à l’ordre public. Dans nos échanges avec les organisateurs, nous nous assurons toujours qu’il n’y aura pas de blocage ferme.
Les manifestations se sont toujours bien déroulées à La Réunion, en tout cas dans le cadre de cette réforme des retraites. Pourquoi une différence avec le département des Deux-Sèvres (Ndlr: en référence à la manifestation anti-bassines à Sainte-Soline) ?
On ne peut pas comparer. Depuis janvier, il n’y a pas eu ici de troubles à l’ordre public, les déclarations ont été réalisées, le dialogue maintenu, nous avons été dans la proportionnalité. C’est la configuration que souhaite le préfet. Nous voulons éviter les troubles, le maintien de l’ordre est une science assez fine, il faut voir l’ensemble de la situation pour prendre les décisions, chaque situation est particulière.
Nous ne sommes pas à l’abri d’un changement de politique gouvernementale. Qui décide en dernier lieu, le préfet ou le ministère ?
Le préfet est le plus à même d’estimer localement quelle est la bonne décision à prendre. Pour autant, dans le cas d’Albioma, la situation était différente, c’est une autre procédure. Si un chef d’entreprise estime que ses salariés non grévistes ne peuvent se rendre sur leur lieu de travail du fait d’un piquet de grève, ce n’est plus la voie publique et il peut saisir le tribunal administratif. C’est ce dernier qui décidera s’il faut demander le concours de la force publique.
Propos recueillis
par Philippe Nanpon