[L’HÔPITAL PUBLIC AU BORD DE L’ÉPUISEMENT]
Le gouvernement a-t-il les « fesses propres » avant de penser à « emmerder » les non-vaccinés ?
L’hôpital public est saturé. Les cliniques privées doivent ouvrir des lits « Covid » pour venir à sa rescousse. Les autorités préfectorales et sanitaires expliquent que la cinquième vague, hyper-boostée par le variant Omicron, remplit les services de réanimation du CHU ainsi que les services de médecine générale dédiés à la pandémie.
Face à cette énième crise dans la crise, deux lignes de contraintes s’imposent à la population : Premièrement, prendre des mesures pour freiner la contagion grâce au renforcement des gestes barrières et la réduction des interactions sociales (télétravail, couvre-feu, voire confinement). Deuxièmement, accélérer la campagne de vaccination avec l’espoir de limiter le nombre de cas atteints par des formes graves de la maladie.
Le discours est culpabilisant pour la population. Le malade n’aurait pas été assez discipliné. Ne parlons pas du non-vacciné, taxé d’irresponsabilité au plus haut sommet de l’Etat ! Partout le débat s’envenime…
Mais qu’en est-il de l’action étatique pour renforcer un système de santé qui devra faire face à l’émergence de nouvelles maladies si l’on en croit les solides études compilées dans un rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ?
Un investissement massif ?
Avant d’« emmerder les non-vaccinés », (dixit Emmanuel Macron, président de la République), l’Etat a-t-il « les fesses propres » (Proverbe africain : « Quand le singe veut monter au cocotier, il faut qu’il ait les fesses propres»). Qu’a-t-il mis en oeuvre pour renforcer les moyens de l’hôpital?
Pas grand-chose à entendre les représentants syndicaux des personnels soignants.
Les soignants ont d’abord été applaudis lors du premier confinement. Plus sérieusement, une vaste consultation, baptisée « Ségur de la Santé », du nom de la rue où se trouve le ministère de la Santé, s’est tenue du 20 mai au 10 juillet 2020. A en croire la communication officielle du gouvernement, ce Ségur s’est conclu par « Une ambition historique à l’aube de la crise sanitaire » : « Un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières » et « Un investissement massif et inédit dans le système de santé : 9 milliards d’euros pour reconnaître les métiers et regagner des places dans les classements internationaux, mais aussi 19 milliards d’euros pour relancer les investissements en santé et accélérer la transformation, notamment numérique ».
Alors oui, les carrières ont été revalorisées avec 180€ d’augmentation. Quelques primes ont été distribuées. Mais, un an et demi après, ces maigres avantages ne pèsent pas lourds face à la persistance de conditions de travail très dégradées. « Le Ségur de la santé a surtout permis de geler le Copermo, ce Comité de la Performance et de la Modernisation qui faisait de la santé une valeur marchande et se traduisait par des milliers de suppressions de lits », remarque Expédit Lock Fat, secrétaire général de la CFDT Santé.
155 lits supprimés qu’on ne regagnera jamais
Difficile d’obtenir des chiffres précis mais les syndicats évoquent pour La Réunion une suppression de 155 lits : « On ne les regagnera jamais » ! « On n’a jamais supprimé autant de lits qu’en 2020 », déplore le député David Lorion qui, comme quatre autres députés réunionnais (Jean-Hugues Ratenon, Philippe Naillet, Karine Lebon et Nathalie Bassire), a voté contre le projet de pass vaccinal tout en demandant des comptes sur le moyens alloués à l’hôpital public.
Il est bon de se souvenir que pendant cinq années, avant l’arrivée du coronavirus, les grèves se sont succédé face à l’austérité budgétaire imposée au CHU accusé d’un abyssal déficit de plus 30M€. Le « quoi qu’il en coûte » et la crise ont éloigné cette menace budgétaire. Mais, un jour, la logique comptable menace de réapparaître. C’était programmé pour cette année 2022. Le CHU a même mis fin à 145 contrats en décembre dernier, rapporte FO Santé. Les partenaires sociaux ont rendez-vous le 17 février pour discuter des chiffres….
« Il y a des avancées sur le volet salarial mais on n’a pas fabriqué de nouveaux soignants », lance Expédit Lock Fat. La dialectique syndicale évoque un déficit de plus de 1500 postes de titulaires sur les 6 600 agents hospitaliers. Il est ici question des contractuels soumis à la précarité de leur emploi. FO Santé revendique la stagiairisation (procédure débouchant sur la titularisation) de plus de 600 personnes qui ont dépassé les trois ans de contrats. Or, il est prévu de ne stagiairiser que 100 contractuels par an pendant trois ans.
20% : un taux d’absentéisme jamais vu
Au-delà de cette négociation, qui peut apparaître abstraite, se révèle un malaise qui lui est tout à fait concret. « Aujourd’hui, il y a un taux d’absentéisme de 20% au CHU. C’est du jamais vu et c’est le signe d’un profond malaise. Tous les non-vaccinés sont arrêtés, les soignants sont épuisés, rapporte Cyril Grondin, secrétaire général de la FO Santé Sud. Je les vois chaque jour s’effondrer en larmes dans mon bureau. Pourtant ce sont des gens solides. Mais ils sont en burn-out »…
Pour faire face à l’actuelle vague de malades du Covid, l’hôpital doit déclencher un « plan blanc ». Il sera question de rappeler des soignants sur leurs congés. Il est à nouveau questions des gardes interminables de 12 heures, des rallonges qui vont bien au-delà du quota légal des heures supplémentaires… Et des renforts qui n’arrivent pas, du déficit d’attractivité de l’hôpital public,
« Je suis à chaque fois surpris de la qualité de l’accueil dans le privé face l’indigence des services au CHU », lâche le député LR Lorion qui n’a pourtant pas vocation à préférer le public au privé… Expédit Lock Fat prévient lui aussi de la fragilité des personnels exposés à la souffrance et aux décès des malades du Covid dans les services dédiés. David Lorion évoque lui les dysfonctionnements dans tous les services.
Tous décrivent un hôpital « malade », « épuisé ». « Le Covid va plus vite que la volonté politique d’y faire face », assène Expédit Lock Fat.
Franck Cellier
.