À la veille du troisième référendum : « Nous n’avons pas la tête à ça »


[VU DE NOUMEA]

En Nouvelle-Calédonie, trente ans après la fin des « Évènement », la quasi-guerre civile, le processus de décolonisation est à bout de souffle. Les communautés sur place, peuple autochtone et descendants de colons arrivés plus tard, sont toujours face à face. Les indépendantistes Kanak ont appelé à la non-participation au scrutin du 12 décembre.

De notre envoyé spécial à Nouméa. – Pour qui a assisté aux deux premiers référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le contraste est presque choquant : au lieu des innombrables drapeaux Kanaky ou Bleu-blanc-rouge qui ornaient les maisons, les balcons, les bords de routes, les pick-up ou bien les gens eux-mêmes, cette année il n’y a absolument rien. Sur la place des Cocotiers, au centre de la ville de Nouméa, la capitale de l’archipel, c’est le calme, presque l’apathie, seulement perturbées par les rondes incessantes de plusieurs camions de police.

Sur la route de Saint-Louis, la tribu Kanak la plus proche de la capitale, aucun message écrit sur l’asphalte, aucune banderole appelant à l’indépendance. Les seuls éléments qui rappellent qu’un vote décisif aura lieu dans quelques jours sont les très rares pancartes appelant au report du scrutin du 12 décembre et une colonne de blindés de l’armée française, circulant sur la route à grande vitesse.

Deux mille gendarmes en renfort, un nombre inconnu de militaires, plusieurs véhicules blindés et même du personnel supplémentaire pour faire face à une potentielle augmentation d’activité du tribunal civil : les autorités françaises ont abondamment communiqué dans la presse mais aussi sur les réseaux sociaux sur la « sécurité du scrutin ». En même temps que le représentant de la République française, le haut-commissaire Patrice Faure, annonçait depuis une commune indépendantiste de l’est de l’île que le référendum serait maintenu le 12 décembre, indépendamment des appels des partis indépendantistes.

« Les conditions sont loin d’être réunies »

« Aujourd’hui, les conditions sont loin d’être réunies pour aborder sereinement la troisième consultation, ont encore écrit mardi 16 novembre dans un communiqué toutes les composantes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS, indépendantiste). En effet, la situation sanitaire ne s’est pas stabilisée et le risque d’une deuxième vague est toujours très présent et tangible. Aujourd’hui, la majorité des personnes décédées du Covid sont des insulaires du Pacifique, pour la plupart des Kanaks. »

Pour le gouvernement français et le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, ce n’est pas un sujet. « La non-participation est un droit en démocratie, a-t-il tranché, le 14 novembre 2021, sur le plateau d’Europe 1. Avant d’ajouter sur le réseau social Twitter : « C’est sous ce quinquennat qu’il nous revient d’appliquer la fin de cet accord, signé en 1998, et d’imaginer le jour d’après ».

À Nouméa, les partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France ont salué bruyamment l’annonce du maintien du référendum au 12 décembre 2021. « Le chef de l’Etat en respectant sa parole et en ne cédant pas aux menaces des indépendantistes nous a démontré qu’il tenait à la Calédonie et qu’il l’aimait, a réagi publiquement la cheffe de file des Loyalistes (non-indépendantistes, droite), Sonia Backès. Le 12 décembre nous irons voter Non à l’indépendance, en sécurité, pour ouvrir enfin une nouvelle page de la Nouvelle-Calédonie. »

Vote ethnique

Lors d’une conférence de presse organisée à Nouméa le 20 novembre dernier, le chef de file d’un autre parti non-indépendantiste, Générations NC, Nicolas Metzdorff, a critiqué vivement les arguments des indépendantistes pour appeler à la non-participation. « Si on reste français c’est parce que toutes les ethnies confondues : Caldoches, Kanak, Vietnamiens, Javanais, etc, auront voté non à trois reprises. À quel titre est-ce que le FLNKS appelle à ne pas aller voter et affirme ne pas reconnaître le référendum? C’est un parti politique et pas un peuple ou un pays. »

En Nouvelle-Calédonie, lors des référendums sur l’indépendance, le vote est avant tout ethnique : le peuple autochtone vote très largement en faveur de l’indépendance, le Oui, tandis que les descendants des colons installées plus tardivement dans l’archipel, les Caldoches et les Français installés encore plus récemment votent majoritairement en faveur du Non : plusieurs travaux de spécialistes de la géographie électorale l’ont démontré.

À quoi les responsables politiques indépendantistes, Kanak, ajoutent que le processus de décolonisation supervisé par l’Onu – l’Accord de Nouméa, le texte qui organise les trois référendums -, est censé se dérouler avant tout en faveur du peuple premier, victime de la colonisation.

« Face à un résultat que l’on connaît d’avance, il y aura une réaction »

Trente ans après la signature, à Paris, des Accords qui ont permis le processus de décolonisation mais aussi la fin des « Évènements », la quasi-guerre civile qui a fait des dizaines de morts en Nouvelle-Calédonie, les représentants du peuple autochtone se sentent mis de côté. S’il n’y a aucun drapeau Kanaky dans les rues de la « Réserve de Saint-Louis », la tribu la plus proche de Nouméa c’est parce que le mot d’ordre du FLNKS est respecté : à cause de la crise sanitaire, le peuple autochtone est en deuil. L’ambiance est pesante. « Chez nous, chez le peuple Kanak, le deuil n’est pas seulement de la peine : c’est une partie importante de la coutume, explique Adolphe Wamytan, jeune habitant de la tribu de Saint-Louis. La coutume, la base de notre système face au système occidental, est avant tout un réseau. Les cérémonies de deuil forment une partie importante de ce réseau, du système d’alliances : c’est un travail crucial dans notre système et à cause de la crise sanitaire il n’a pas pu être mené. Quand on ne fait pas le travail coutumier, on suspend le monde coutumier. Le référendum ? Nous n’avons pas la tête à ça. Nos politiques sont dans l’impasse. » Il a voté en 2018 et 2020 mais affirme ne pas vouloir voter cette année.

Tout en appelant au calme, le leader indépendantiste Daniel Goa expliquait dans un communiqué ne pas maîtriser les manifestations de colère « d’une jeunesse incontrôlable ». Les jeunes que nous avons croisé à la tribu de Saint-Louis affirment que « face à un résultat que l’on connaît d’avance, il y aura une réaction. Ce sera peut-être seulement intense et bref mais il y aura une réaction. »

Les leaders indépendantistes du FLNKS ont déjà annoncé qu’un référendum « sans le peuple colonisé » ne vaut rien et qu’ils saisiront les instances internationales pour en contester la validité. La majorité d’une délégation d’observateurs de l’Onu menée par Dimby Randrianarina est arrivée en Nouvelle-Calédonie. 270 délégués, des magistrats envoyés par la France depuis Paris, sont censés arriver dans les tout prochains jours afin de « garantir la sincérité du scrutin ». En 1987, les indépendantistes Kanak avaient boycotté un référendum sur l’indépendance organisé par la France sans leur assentiment. Un an plus tard, des indépendantistes prenaient des gendarmes en otage dans une gendarmerie à Ouvéa, une des îles de l’archipel de Nouvelle-Calédonie. Le bilan final était de 21 morts dont 19 indépendantistes Kanak.

Julien Sartre

A propos de l'auteur

Julien Sartre | Journaliste

Journaliste d’investigation autant que reporter multipliant les aller-retour entre tous les « confettis de l’empire », Julien Sartre est spécialiste de l’Outre-mer français. Ancien correspondant du Quotidien de La Réunion à Paris, il travaille pour plusieurs journaux basés à Tahiti, aux Antilles et en Guyane et dans la capitale française. À Parallèle Sud, il a promis de compenser son empreinte carbone, sans renoncer à la lutte contre l’État colonial.

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