PLAN DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES
Aucun regret exprimé sur le renvoi d’une victime ayant osé dénoncer son harceleur, plainte contre les auteur.e.s féministes de graffitis. Malgré un discours officiel énergique contre les violences sexuelles, l’intransigeance affichée par la préfète des TAAF ne rassure pas les victimes.
Il y a ce que l’on dit et ce que l’on fait. A la tête de l’administration des Terres australes et antarctiques françaises, de la parole aux actes, le fossé est aussi vaste que la distance qui sépare l’île de Tromelin de l’île d’Amsterdam. Ces deux îles des TAAF ont en commun d’avoir été le décor de violences sexistes ou sexuelles. Si ces faits n’ont pas donné lieu à des poursuites judiciaires, ils ont en tout cas fait l’objet de plaintes de la part des victimes.
Ces violences ont d’abord été étouffées par la communication officielle annonçant que « les autorités s’attaquent aux violences faites aux femmes ». Ça, c’est une parole.
Parallèle Sud a été le premier média à relever que la victime a surtout été virée pour avoir osé dénoncer son harceleur (1). Ça, c’est un acte.
Avec quelques semaines de retard, Réunion la 1ère puis le Journal de l’île se sont penchés sur les plaintes pour violences sexistes et sexuelles dans les Taaf. Ce qui a conduit la préfète des Taaf, Florence Jeanblanc-Risler, à organiser une conférence de presse sur le sujet le 5 mai dernier.
Risque zéro
Elle a répété sa détermination à lutter contre ces violences. Devant un journaliste rapportant qu’un homme dénoncé pour harcèlement a pu être reconduit dans ses missions sur Tromelin, elle s’est même exclamée que ça ne pouvait plus se reproduire : « Aujourd’hui, c’est risque zéro » !
Un plan de lutte a été renforcé. Armelle Piccoz, sa directrice de cabinet, désignée référente de la lutte contre les violences sexistes, a fait la tournée des districts. Celle-ci est hélas restée silencieuse et n’a pas raconté cette mission pendant la conférence. Les journalistes auront compris que le plan s’articule autour de quatre mots : prévention, signalement, traitement et évaluation. « Le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes n’ont pas leur place sur nos territoires », a martelé la préfète à maintes reprises. Là encore, ce sont des paroles.
Pendant la conférence, Anouk Piteau, la victime qui a témoigné publiquement, s’est invitée dans la salle de réunion. La préfète, droite dans ses bottes, l’a immédiatement éconduite, plutôt que de profiter de l’occasion pour avoir un geste d’écoute et de solidarité. Ça, c’est encore un acte.
Rappelons qu’Anouk Piteau, employée en tant que service civique pour planter des arbres endémiques sur l’île d’Amsterdam, a eu le courage de dire face caméra que sa souffrance n’a pas été entendue et qu’elle s’est sentie trahie par la préfète des Taaf. La jeune femme avait déposé plainte contre son harceleur. Elle a vu sa plainte classée sans suite. Elle voulait cependant rester sur le site mais Florence Jeanblanc-Risler l’a mise sur le bateau de retour, écourtant son contrat, parce qu’elle considérait que la présence de la plaignante sur Amsterdam nuisait à la cohésion de la trentaine d’hivernants.
Ce qui peut légitimement être perçu comme une injonction à se taire. « En tant que victime, on nous dit de ne pas parler », résume Anouk Piteau. Il faudra poser plusieurs fois la question pour que la préfète finisse par donner sa version de cet échange entre elle et la victime. Elle appuie sa décision sur le fait qu’Anouk Piteau a dans un premier temps exprimé son souhait de rentrer à La Réunion. Et ce n’est qu’après avoir reçu le soutien d’une trentaine de pétitionnaires et l’assurance que son harceleur serait éloigné, qu’elle avait changé d’avis et décidé de rester.
Pas de regret
« C’est une mesure de sauvegarde que j’ai souhaité prendre à la fois pour préserver les intérêts physiques et psychologiques de l’intéressée et ceux de la mission dont j’ai la charge dans un contexte sur base qui était devenu extrêmement pesant pour tous », répond Florence Jeanblanc-Risler
Des regrets face au ressenti de la victime et l’apparition de collages et graffitis sur les murs dénonçant « l’antiféminisme des Taaf » ? Par trois fois, la question est posée à Florence Jeanblanc-Risler. Aucun regret n’est exprimé. La préfète réfute le terme de « sanction » et propose « un accompagnement psychologique » à la victime : « Je le répète à la fois dans l’intérêt de la personne et dans la nécessité de poursuivre la mission, il n’y a pas qu’une personne sur ce district, il y en a d’autres qui sont également là pour pouvoir terminer leur mission ».
Enfin, en précisant qu’elle ne commentait pas une affaire en cours, la préfète a confirmé avoir déposé plainte contre les auteurs des graffitis. Ça aussi, c’est un acte.
L’un de ces graffitis, promptement effacé, disait juste : « non à la culture du viol ». Un message qui rejoint pourtant celui de la communication officielle clamant que « Le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes n’ont pas leur place sur nos territoires ».
A l’issue de la conférence de presse, les journalistes ont pu retrouver Anouk Piteau sur le perron de la préfecture des TAAF. Elle a réaffirmé l’incompréhension totale qui s’est installée entre elle et son ancien employeur. Elle avait à ses côtés une hivernante qui venait de rentrer de sa mission. Celle-ci disait ne pas avoir subi de harcèlement, signe que dans la grande majorité des cas les TAAF ne sont ni un cauchemar ni un enfer. Pourtant, à la question « Seriez vous prête à y retourner ? » la réponse a fusé : « Pas dans le contexte actuel qui montre une absence totale de soutien des victimes. » Admettons que, ça, c’est une parole. Et qu’il va falloir des actes clairs pour effacer l’inquiétude.
Franck Cellier
(1) Merci au passage au camarade du Tangue d’avoir relevé sur Facebook, l’invisibilisation du travail des médias indépendants lorsque les médias financés par les pubs institutionnelles et privées reprennent leurs infos.
3 signalements en 12 mois
La préfète recense trois cas signalés en douze mois, y compris celui dénoncé par Anouk Piteau : « C’est moins de 1% de l’ensemble des personnels qui séjournent à un moment ou un autre sur nos districts, c’est évidemment trois cas de trop ». Dans son édition du 6 mai, le Jir, sous la signature de Corentin Mirallès, évoque un deuxième cas à Amsterdam, un autre aux Kerguelen. Il laisse entendre que « des histoires comme ça » (harcèlements, attouchements…) sont fréquentes. L’île de Tromelin, où l’équipe se limite à trois personnes, a également été citée pendant la conférence de presse.