RENCONTRE AVEC LES « CENT DU VOLCAN »
Chaque éruption présente ses particularités scientifiques, géographiques, esthétiques, touristiques, avec des impacts tout aussi particuliers sur la sécurité civile, sur la qualité de l’air, sur la circulation routière, etc. Bref, cette Fournaise est un condensé d’histoires. L’histoire que nous retiendrons de ces premiers jours d’éruption raconte une communauté qui s’est soudée au fil des années. On pourrait les appeler « les cent du volcan » avec la solidarité comme devise.
Jour J
Elle est à toi cette chanson,
toi le ti maoul qui sans façon,
nous a prêté ton masque à gaz,
quand le souffre nous piquait les yeux et la gorge…
Ça ne rime pas et nous n’avons pas la prétention de rajouter un couplet à l’Auvergnat de Georges Brassens. Mais cette petite scène nocturne dans la nuit de dimanche à lundi restera pour nous le moment le plus intense de l’éruption débutée ce dimanche 2 juillet.
Pour couvrir l’événement, la petite équipe de Parallèle Sud s’est rendue sur le site, dans l’enclos, en décalage avec les habitués du volcan. En chemin nous avons d’abord croisé Alain Bertil, bien connu de tous les passionnés de magma, alors qu’il était sur le retour. Après l’extinction de la première faille, la deuxième, qui s’est ouverte dimanche en milieu de journée, était elle aussi sur le déclin. Et Alain entendait alors concentrer ses observations sur la troisième faille, à proximité du rempart du Tremblet. Il sortait donc de l’enclos quand nous y sommes entrés.
Alerte, alerte, alerte…
Petite précision en préambule. A l’approche du sommet, les téléphones portables se mettent à hurler, comme une sirène d’incendie. C’est une nouveauté : l’écran s’allume et apparaît le message en français et en anglais : « Alerte extrêmement grave / volcano alert, eruption in Progress in the enclosure / message from the prefect of La Réunion ».
Pas besoin d’une application installée au préalable, il est impossible d’ignorer le message à moins d’être dépourvu de téléphone. L’effet dissuasif est puissant. Par exemple, tous les téléphones des passagers se sont mis à sonner quand le car jaune est passé dans la zone de déclenchement de l’alerte il y a quelques jours. Tout le monde avait alors hâte de s’éloigner…
Le volcan est interdit d’accès au public. Cela se comprend pour des raisons évidentes de sécurité mais le débat est ouvert depuis de longues années quant à la fréquentation du site par les professionnels, les experts et passionnés avisés…
Au-delà de ce débat, le fait est que quelques lampes frontales illuminent la trace qui mène au plus près des failles éruptives. C’est ainsi depuis que le volcan crache et il y a peu de raisons pour que cela change. Mais justement parce que l’approche des coulées n’est pas une aventure anodine, une communauté s’est soudée au fil des années. On pourrait l’appeler le « peuple du volcan » ou « les cent du volcan ».
Trois morts en vingt ans
Ils sont une centaine. Tout le monde se connaît. Quand un nouveau arrive, il est d’abord accueilli avec circonspection. Sait-il ce qui l’attend ? Est-il bien équipé ? Trois étudiants en sciences sont morts ces vingt dernières années (1 en 2003, 2 en 2021) en se rendant sur une éruption, brûlés ou empoisonnés par les gaz. Il n’est donc pas question de laisser quelqu’un sans le conseiller, quitte à le dissuader de s’exposer à un risque.
Ce lundi, avant le lever du soleil, le premier obstacle sur le chemin de l’éruption prend la forme d’un nuage de soufre. Les yeux piquent, la gorge gratte. Nous sommes prévenus par deux marcheurs, qui sont, eux aussi, de retour : le nuage est installé sur le plateau mais il se dissipe sur le versant qui mène à la faille éruptive. « C’est pénible mais ça passe », nous disent-ils.
Un peu plus loin, nous croisons un autre groupe, également sur le retour. C’est là qu’une âme charitable nous prête un masque à gaz pour celui d’entre nous qui est le plus incommodé. « Tu me le rendras demain »… Marché conclu.
Les lueurs rougeâtres nous servent de point de mire. Le jour se lève alors que nous progressons péniblement dans une immensité de gratons. Ces scories présentent des formes, des couleurs et des consistances très variées selon la coulée dont elles sont issues. Les franchir exige de bonnes chaussures, un certain équilibre et une paire de gants car il faut souvent s’aider des mains et les contours sont tranchants.
Nous n’avons pas vu les fontaines de lave
Parfois nous croyons entendre le souffle de trémor mais il se tait derrière les bourrasques matinales. Les lueurs se sont enfouies. Un hélicoptère s’immobilise au-dessus de la coulée. Mais il est loin, très loin de l’autre côté de l’enclos. Nous comprenons alors que la deuxième faille, celle qui est à notre portée, ne l’intéresse pas.
Est-elle éteinte ? Lorsque nous retrouvons un chemin plus carrossable, nous croisons deux photographes vidéastes chevronnés. Ils nous confirment que, en effet, ils viennent d’assister à « la fermeture ». « A une heure et demir de marche, vous aurez une vue sur la dernière faille active, mais il faudrait compter au moins 5 heures supplémentaires pour l’atteindre »…
Ils ont raison, l’effort n’est pas à notre portée aujourd’hui. En plus la pluie fait son apparition. Demi-tour ! Nous n’avons pas vu l’éruption ; pas senti le souffle chaud de la coulée, pas capturé la moindre image de lave en fusion…
Avons-nous échoué ? Pas du tout. Il faut accepter la Fournaise telle qu’elle veut bien se présenter. A la place du feu d’artifice magmatique, le volcan nous a dévoilé l’âme de son « peuple ». Alors que nous cassons la croûte avant le repli, nos deux derniers explorateurs s’enquièrent de nos besoins en eau… « Si vous manquez d’eau, il y a une petite caverne derrière vous et vous repérerez une bouteille dans les rochers »…
Ils nous l’ont dit comme on dévoile un secret. Ces gens-là ont de la ressource, ils ne sont pas du genre à laisser quelqu’un au bord du chemin.
J+4
Au quatrième jour de l’éruption. Parallèle Sud retourne sur le volcan. Pas à l’assaut de la lave mais à la rencontre de son « peuple ». Jean-François Bègue organise « in ti pik nik artrouvaille » sur le piton Textor. On y retrouve Alain Bertil mais aussi toute une équipe de scientifiques, de guides de montagne, d’amoureux de la nature et du volcan, de poètes et quelques journalistes, notamment ceux de France 3 actuellement en tournage.
Le docteur Jean Perrin, également (re)découvreur de la caverne des Lataniers, a apporté une carte de La Réunion aux airs de parchemin. C’est la carte de Bory de Saint-Vincent dessinée en 1801 et imprimée en 1804. Les noms des lieux ouvrent des discussions passionnées.
Les images de la coulée principale
Jean Perrin a adopté une approche plus judicieuse que la nôtre pour capter, au même moment, les images de l’éruption en se rendant au Tremblet.
Entre grillades et caris, transpire la même devise que celle que nous avons expérimentée trois jours plus tôt sous le nuage de soufre : la solidarité. Le doyen de l’assemblée s’appelle Jean-Maurice Lebian. Cet ancien guide du volcan, aujourd’hui âgé de 73 ans, nous dit qu’il a pris la relève de son père, Richard, alors qu’il n’avait que 16 ans.
Souvenirs de Jean-Maurice Lebian et Jacky Murat
Il est flanqué de l’ancien vainqueur du grand raid, Jacky Murat. « Un jour il m’a ramassé sur le bord du chemin dans le froid alors que j’étais sans force en train de m’endormir », révèle Jacky à propos de Jean-Maurice. Quelques années plus tard, Jacky Murat, à son tour, s’est porté au secours, en pleine nuit, d’un jeune homme perdu et sans force dans une nature qui peut vite devenir hostile.
Jean-Maurice Lebian a connu les grandes expéditions s’étalant de 4 à 20 jours sur les flancs de la Fournaise. Il y a accompagné Haroun Tazieff, Katia et Maurice Krafft. « C’était avant l’ouverture de la route du volcan en 1964 », se rappelle-t-il. « On dormait dans les grottes ». Quand quelqu’un se blessait, il fallait le redescendre dans un brancard.
Un sauvetage mémorable ? Jean-Maurice Lebian se souvient d’une none qui avait fait une chute de 8 mètres et s’était cassé la jambe un début d’après-midi. « Elle refusait d’être touchée par un homme. On a fait monter les pompiers mais elle refusait toujours qu’on la touche. Et il a fallu qu’un gendarme la gifle pour qu’on puisse enfin la sortir du trou, ça s’est terminé à minuit »…
La priorité c’est d’aider
Alain Bertil insiste quant à lui sur la solidité du réseau de communication qui relie tous les membre du groupe. « Sur une éruption, tout le monde sait qui se trouve à tel endroit. Nous sommes une centaine à nous partager les infos en direct. Quand il y a un problème, notre priorité c’est de nous aider les uns les autres ».
Il a déjà été interpellé par les gendarmes du fait de sa présence dans l’enclos sans autorisation officielle. L’affaire était allée jusqu’au tribunal d’instance de Saint-Benoît qui l’avait finalement relaxé. Aujourd’hui, une relation alternative s’est établie entre le Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) et les « Cent du volcan ». C’est discret, c’est dans le respect, mais ça communique bien entre eux. Alain Bertil partage ses images avec le public via Antenne Réunion.
Quand on évoque la sévérité de l’arrêté préfectoral qui interdit l’accès du volcan à tous sans exception alors qu’auparavant des dérogations étaient accordées aux passionnés comme lui, Alain Bertil nous ramène à Georges Brassens en fredonnant : « La musique qui marche au pas, cela ne me regarde au pas ». Ou comment on passe de l’Auvergnat à la Mauvaise Réputation. Deux chansons qui collent aux basques des « Cent ».
Franck Cellier