LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DES MULTIPLEXES
Sans pop-corn, point de salut. Les salles de cinéma, pour être rentables, se doivent de vendre pop-corn et confiseries à leurs clients. Le choix des films et la programmation en découlent.
« Pour des séances sans pop-corn, allez voir les films français », conseille Yves Éthève, patron du nouveau Ciné Grand-Sud et du Ciné Cambaie, légèrement agacé. Avec des élèves de sixièmes saint-pierrois, Parallèle Sud est allé interviewer le chef d’entreprise et visiter le Ciné Grand Sud ; une rencontre riche d’enseignements, pour les enfants qui ont pu voir les coulisses du cinéma – l’accueil était parfait, nous en remercions la famille Éthève -, mais aussi pour les grands qui ont découvert le modèle économique des multiplexes qui remplacent inexorablement les salles des centre-villes.
Pendant le confinement, les gérants de salles de cinémas s’en étaient émus. « Comment rentabiliser nos établissements sans pouvoir vendre de pop-corn ? » Et puis on a oublié. Mais cette réflexion est lourde de sens, surtout pour le cinéphile qui n’a à se mettre sous la dent que des block busters, films de superhéros et autres dessins animés.
La vente de pop-corn et confiseries représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires des multiplexes. Plus de la moitié ! Et on parle là du chiffre d’affaires, si on voulait réfléchir en termes de bénéfices, le raisonnement serait multiplié peut-être par dix.
« Le billet est à 9 euros et ensuite le client prend pour 10 ou 15 euros de confiserie. Sur un tarif réduit à 5 ou 6 euros, que vous prélevez 60 % là-dessus, la TVA, la TSA (taxe spéciale additionnelle), la Sacem, la part distributeur, quand vous ajoutez les frais de fonctionnement de la séance, vous ne gagnez pas grand-chose », a détaillé Yves Éthève. Alors que sur le pop-corn, nul besoin d’être fin financier pour savoir que le bénéfice est énorme.
Du coup, il faut programmer des films dont les spectateurs achètent du pop-corn. Récemment, des grands parents accompagnant leurs petits enfants à un dessin animé les ont vu rater délibérément la première demi-heure du film, il n’était pas question pour les enfants de renoncer à leur seau de maïs caramélisé, quitte à faire la queue. Ces films ne sont pas ce que le patron du cinéma appelle « films français », films d’auteurs, d’art et essai et autres nourritures intellectuelles. Quand on nourrit son cerveau, c’est étrange, mais on a moins faim.
Voilà. On l’aura compris, le film est un produit d’appel pour les amateurs de sucreries au cinéma. Si le cinéma veut vivre, il doit vendre son pop-corn et attirer la clientèle qui en consomme. Une clientèle qui aime les films à grand spectacle. Et tant pis pour les autres, ceux qui aiment le cinéma pour le film et seulement pour le film. Tant pis aussi pour le choix et la diversité. Pour les cinéphiles, il faudra compter sur les salles de spectacles municipales et les ciné-club.
Philippe Nanpon
« Le plus beau multiplexe de l’île »
A l’occasion d’une sortie scolaire au Ciné Grand Sud dans le cadre de l’éducation aux médias que dispense Parallèle Sud, nous avons recueillis les propos de son directeur Yves Éthève. Il nous a présenté son parcours, ses nouvelles salles et expliqué le modèle économique des multiplexes.
- Pourquoi ouvrir un nouveau cinéma ?
- Un nouveau cinéma ? Tout simplement parce que c’est notre métier. On est dans ce métier et il ne faut pas laisser n’importe qui faire n’importe quoi. Il faut être dans ce métier depuis plusieurs années sinon on cours à la catastrophe. Ça parait facile mais il y a un paquet de problématiques à connaître et il faut y apporter des réponses immédiatement. Faire tourner la barque pour qu’elle soit rentable. Fonctionnement, publicité, personnel sécurité, caisse clientèle, parking, choix des films, prix des places, et surtout aimer son métier ; si on n’aime pas on fait pas ça. Compliqué par les temps qui courent diversité de films, américains, français, espagnol, art et essai…
- En quelle année avez-vous ouvert votre premier cinéma ?
- Le premier cinéma que j’ai ouvert en mon nom c’est à Saint-Denis, le Plaza à Saint-Louis, puis comme mon père ne voulait pas céder ses parts j’ai décidé d’y aller moi-même. Le mieux c’est d’y aller seul parce que si c’est avec des gens qui ne le font que pour gagner de l’argent c’est compliqué. En métropole vous voyez des salles de gros circuits qui ont un directeur ou une directrice mais vous ne voyez presque jamais le patron.
- Pour l’amour du risque aussi ? C’est prendre des risques d’ouvrir un cinéma pareil ?
- On prend des risques partout. On sait ce qu’on fait quand même, la demande était forte. Faut s’accrocher car il y a des individus en face qui n’ont pas de projet et qui veulent vous empêcher de créer le vôtre. Ça demande beaucoup de maîtrise, savoir ce qu’on fait juridiquement parlant. C’est énorme ce qu’on a fait là, ça demande un très lourd investissement, qui ne cadre pas avec un investissement de dimension régionale ; avec le prix que j’ai mis là dedans, il y a une partie défiscalisation sinon ce n’était pas possible, c’est l’équivalent de deux cinémas en métropole.
- Ça coûte combien un multiplexe tel que celui là ?
- Tout réalisé, plusieurs millions d’euros. Faut son propre parking, on pourra le mutualiser avec le projet qui se monte à côté, à condition qu’on puisse se mettre d’accord. C’est un complexe de loisirs qui est prévu, bowling peut-être, restauration, ils voulaient faire une patinoire je crois qu’ils y ont renoncé.
Personnellement je sors du lot, lycées et collèges si pas de problème de sécurité.. c’est la clientèle de demain. On leur apprend pas de chewing gum, pas de casquette, pas de pieds sur les fauteuils On ne mange pas des samoussas, de bonbons… - Et les pop-corn alors ?
- Les pop-corn c’est notre métier, ce n’est pas grave, on les mange mais on ne s’essuie pas les mains sur les fauteuils. Le chocolat c’est déjà un peu plus difficile, les glaces c’est une catastrophe, le Coca il faut immédiatement l’enlever.
Quand on arrive dans la salle tous les fauteuils sont numérotés, Nous sommes les seules salles de France à faire les places numérotées (*) après celles de Saint-Paul. C’est aussi pour la sécurité. Pas de casquette, ça peut détourner l’attention des spectateurs voisins, c’est aussi une question de correction. - Le Ciné Grand-Sud est le meilleurs cinéma de l’île ?
- Le plus beau multiplexe, c’est certain. Déjà la qualité de la climatisation avec traitement de l’air, la Covid peut venir, on ne la craint pas. Et puis il y a le système Dolby Atmos dans deux des salles, le nôtre est réglé par un professionnel et prévu dès la conception du bâtiment, pas comme à Saint-Denis en intervenant sur l’existant. On va le faire aussi à Saint-Paul dans la salle une mais il faut tout revoir, la moquette, les fauteuils.… sans fermer le cinéma bien sûr.
- Qu’est-ce que ce système Dolby Atmos ?
- C’est un son Dolby, mais atmosphérique. Le son d’une bande annonce, au début de séance, semble un peu fort, c’est normal c’est pour attirer l’attention. Avec le son Dolby Atmos, pour Donjon et Dragon, Fast & Furious 10 , il n’y pas d’agressivité. Imaginez, vous êtes en forêt, vous entendez le chant des oiseaux, avec le son normal vous ne les entendriez pas au cinéma, avec le son Dolby Atmos oui. C’est la différence, les spectateurs vivent le film, ils ont l’impression d’être dedans, ils ne vont même pas aux toilettes. Pareil pour les mal entendants, c’est plus confortable, il y a des indications sur l’écran. Les handicapés moteurs aussi sont bien accueillis ; pas les dix places du premier rang en bas, ce n’est pas possible pour eux. Mais tout en haut ou au milieu de salle c’est possible.
Pour le confort encore, on nous demande parfois pourquoi pas des séances sans popcorns ? Allez voir un film français ! Pendant les films français, en général, il n’y a pas de pop-corn, sauf si le gars n’a pas mangé à midi. - On entend dire que la vente de pop-corn représente la moitié du chiffre d’affaires, c’est le cas?
- Obligatoirement oui. Si on n’a pas ça… Oui la confiserie et les boissons représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires, en recette oui. Le billet est à 9 euros et ensuite le client prend pour 10 ou 15 euros de confiserie. Sur un tarif réduit à 5 ou 6 euros, que vous prélevez 60 % là-dessus la TVA, la TSA (taxe spéciale additionnelle), la Sacem, la part distributeur, quand vous ajoutez les frais de fonctionnement de la séance, vous ne gagnez pas grand-chose.
- Donc il faut la confiserie en complément ?
- Pour faire vivre le cinéma oui, et il faut les séminaires, des événements à condition qu’ils soient bien organisés, les locations, la restauration, la confiserie, la publicité dans les salles… c’est un tout .
Propos recueillis par les élèves des classes 601 et 602
du collège Paul-Herman de Saint-Pierre
(*) Après vérification, ce système existe aussi dans l’Hexagone, notamment à Rennes en Bretagne