[Mafate] Une cloche de 1 500 livres à Grand-Place

ÉPISODE 30 — OBJETS LONTAN

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Pour ce 30e épisode, dans ses arpentages mafatais, au fond, peu d’objets que l’on pourrait caractériser d’« historiques » ou  même de « rares ». Il ne les cherchait pas vraiment, personne n’en a exhibés. Il mentionne tout de même dans les pages suivantes quelques découvertes qui lui sont apparues originales dans un environnement marqué par une obsolescence extrêmement rapide.

La cloche de Grand-Place – Cayenne

* Témoin historique le plus ancien de Mafate, implantée devant l’église de Grand Place – Cayenne, cette cloche porte les inscriptions « JESUS MARIA JOSEPH 1745.

Elle est inscrite au registre des monuments historiques. Le souvenir de cette cloche et de ses fonctions constitue un héritage culturel et cultuel incomparable à transmettre aux jeunes générations !

Faite de bronze, de fer (et bois), on lui prête d’avoir été coulée à Madras, comptoir de la Compagnie anglaise des Indes orientales, même si cette allégation semble difficile à vérifier. Dans un courrier adressé au Vicaire général, à l’Evêché de Saint-Denis au début de l’année 1881, le père Antoine Andrieu, un des premiers curés de la paroisse N.D. de Lourdes de Mafatte, exprime le besoin d’obtenir des objets de culte ainsi qu’une « grosse cloche ». On est en raison de penser qu’il s’agit bien de celle-ci, transportée depuis Saint-Denis, qui fut fixée sur la falaise au-dessus de l’église de Mafatte-les-Eaux, jusqu’après l’effondrement du Bronchard de 1913 ou 1914.

Déplacée longtemps après en 1925 à Grand Place Cayenne avec la charpente de l’église protégée de la submersion grâce à sa construction en surplomb de Mafatte-les-Eaux, pendant des années, la cloche donnait l’alerte aux gens du village dépourvus de radio. Et ce, jusqu’en 1970. On l’accrochait à un arbre élevé de Cayenne, de façon à ce que l’écho en soit répercuté jusqu’à Grand-Place-les-Hauts. Le garde forestier faisait sonner l’alerte en période orange. 

Bien évidemment, elle servait à rassembler les gens lors des cérémonies religieuses. Elle fut ensuite fixée sur deux poteaux supports, derrière l’église de Cayenne.

Mais les supports vieillissant et pour la mettre mieux en valeur, elle devait être déplacée. Après son inscription aux monuments historiques, la Direction régionale des affaires culturelles refusait tout changement. Histoire mafataise typique : « Sans rien demander à personne, nous l’avons déjà bougée plusieurs fois, confie un des habitants, ce n’est pas eux qui vont nous en empêcher. » Et de fait, avec l’aide et l’approbation du garde forestier, la cloche de Cayenne est venue prendre position à proximité immédiate de l’église, emplacement où on la trouve encore en 2010. 

Des dates :

1746 – La cloche, qui pèse 1500 livres, est prise aux anglais à Madras par Joseph François, marquis DUPLEIX, gouverneur de Pondichéry, qui l’offrira à l’église de Saint-Denis de l’île Bourbon.

25 janvier 1755 – Bénédiction de la cloche par Mgr TESTE, Préfet apostolique. Participation du gouverneur de Bourbon, Joseph BRENIER et de son épouse, née Élisabeth Guenebaud, la marraine de la cérémonie.

1878 – Installation de la cloche à Mafatte les Thermes (Mafatte les Eaux). On l’accroche à la falaise au-dessus de l’église de la paroisse, consacrée à Notre-Dame de Lourdes en 1872 par Monseigneur Victor Jean-Baptiste Paulin DELANNOY, l’évêque nouvellement arrivé.

1913 (ou 1914) – Effondrement du Bronchard dans la Rivière des Galets en aval du village de Mafatte-les-Eaux qui disparaît dans la catastrophe, après avoir surnagé brièvement sur les eaux boueuses.

1926 – Transport de la cloche et réinstallation près de l’église de Grand Place Cayenne, reconstruite notamment avec l’apport de la charpente de l’église de Mafatte.

Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud

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