RAVINE À JACQUES
Dimanche dernier, quelques dizaines de militants et particuliers sont venu se recueillir sur le site du lazaret de la ravine à Jacques. Le seul site qui «rend la traite visible à La Réunion », souligne l’historien Philippe Bessière.
« Ce lazaret est le seul à ne pas être rénové, c’est le seul qui concerne l’esclavage », remarque Ghislaine Bessière, militante culturelle (association Rasine Kaf). De fait, les ruines de la ravine à Jacques sont à l’abandon. Dimanche 27 août, le Komité Éli a appelé à une journée de commémoration et de recueillement. C’est l’occasion de visiter et de faire un retour vers l’histoire.
« Il n’y a pas d’autre lien qui rend la traite visible à La Réunion », souligne Philippe Bessière, historien. « Il n’y a aucune trace de cela sur les fronts de mer de Saint-Denis ou de Saint-Paul. C’est important, les Réunionnais sont coupés de leur histoire. Pendant longtemps, il y a eu le déni – l’esclavage doux – ou les sépultures restées cachées, on disait que les esclaves étaient enterrés dans les cimetières. Pourtant, la tradition orale parlaient de « cimetières kaf, païens, de l’autre côté du mur… ». Pour preuve de ce déni, quand des fouilles archéologiques ont été organisées à Villèle, on a cherché dans le jardin, où l’on était sûr de ne rien trouver. Des témoignages parlaient de chemin charrette, ou du golf », explique-t-il.
« Ce lazaret était un lieu de quarantaine pour les nouveaux arrivants », commente l’historien Loran Waro. Les nouveaux arrivants, ce sont principalement des Africains et des Malgaches esclavisés. Mais les libres devaient aussi se soumettre à la quarantaine. « La fermeture de ce lazaret est liée à l’abolition de l’esclavage. Avec l’afflux des engagés venus de tout l’océan Indien, on a eu besoin d’autres lazarets. Construit entre 1860 et 1863 à la Grande-Chaloupe, le premier a rapidement été suivi d’un second. » Afflux d’engagés, mais aussi un cyclone – entre 1860 et 1870 – qui a provoqué une crue dans la ravine et emporté le bâtiment de la ravine à Jacques, ainsi que son cimetière.
Un campement a ensuite été installé sur place. Il s’agissait de loger les ouvriers du chemin de fer et du tunnel, entre 1886 et 1872. Et puis un garde barrière a été logé dans la forge qui avait servi aux rails du chemin de fer. Les descendants du dernier cheminot en poste habitent toujours sur place. « Quand on a arrêté le train, le garde barrières a été oublié. Sa famille habite toujours sur place », explique Loran Waro. D’ailleurs, pour accéder au lazaret de la ravine à Jacques, il faut traverser la cour de Mme Boyer.
Du bâtiment, il ne reste qu’un mur. Un autre calbanon se cache derrière. Plus haut encore, les logements de fonction des médecins et infirmiers. Au sol, pendant longtemps, on a retrouvé des briques et morceaux de céramique, preuve que des bateaux accostaient, ces matériaux servaient de lest aux navires qui voyageaient à vide aux XVIIIe et XIXe siècles. « Beaucoup de familles de Saint-Denis ont débarqué ici, indique l’historien. Y compris après l’interdiction de la traite négrière. »
Alors que l’on est toujours à la recherche des noms des esclaves ici – un mémorial est prévu à Paris -, on ne sait non plus combien de personnes sont passées par le lazaret. Ni même combien le lazaret pouvait en accueillir. « Les petits bateaux négriers pouvaient emporter 120 à 150 personnes ; le plus gros, le Fluvy, en contenait jusqu’à 350 », indique Loran Waro. Et quand le lazaret était occupé, la quarantaine commençait en rade. Seuls 500 noms sont connus ; des esclaves saisis après l’interdiction de la traite. Ceux-là se sont installés à Saint-Denis, notamment dans le quartier de Patate-à-Durand.
Philippe Nanpon