LIVRES À DOMICILE
Etre ET ne pas être, tel est le titre de l’ouvrage de réflexion philosophique écrit par deux « zarboutans » de la culture créole, José Macarty et Paul Mazaka, qui vient d’être édité par Komkifo.
Difficile de décrire ce passionnant essai, et j’espère ne pas trahir ses auteurs en le résumant en quelques lignes. En quoi consiste donc la philosophie créole selon Macarty et Mazaka ? Il ne s’agit pas seulement d’une fusion des pensées occidentale et orientale dont la Réunion, au fil des siècles, aurait pris le meilleur, en dépit des contradictions entre les divers courants culturels et cultuels. Le point crucial de cette symbiose, c’est l’entité formée par le métissage et le marronnage. Ces deux spécificités ont permis l’acceptation des différences.
Les auteurs ne m’en voudront pas d’apporter mon modeste grain de sel à leur réflexion.
Un équilibre précaire ?
Il semble que depuis quelques années, la Réunion se situe à un point d’équilibre ethnique, d’harmonie entre tous ses habitants, qu’admirent tous les visiteurs de passage. De Miss France à Michel Onfray, ils sont tous d’accord là-dessus.
Certes il y a des accrocs : surtout quand une nouvelle composante surgissant trop vite semble menacer ce mélange homogène. Pourtant, cette symbiose sociétale se maintient. Peut-être la départementalisation a-t-elle contribué à réduire le côté colonial des Dom et les injustices sociales les plus criantes. Revers de la médaille : un confort consumériste entretenu par une assistance omniprésente.
Cependant, ce mélange dans lequel chacun garde ses spécificités, résistera-t-il à la mondialisation des corps et des âmes ?
En effet, quand on parle de fusion, de métissage, on peut aboutir à un point de rupture où l’on risque d’oublier son origine propre. A l’heure actuelle, les particularismes de chaque ethnie, les rapprochements de chaque culture, les points communs de chaque religion, ne sont pas encore gommés par l’uniformisation de nos sociétés. Ces affinités font que des chinois, des zarabes, des tamouls, ou des yabs ont toujours tendance à se regrouper dans diverses circonstances. Le cas des métropolitains à St-Gilles en est un exemple à peine différent. Ces regroupements, sauf invasion brutale, sont sains et permettent de conserver les traditions, coutumes et cultures de chacun, sans rejeter ni annihiler les autres communautés. Il en va de même pour tous les groupes humains, familles, membres du Rotary, francs maçons, collectionneurs de timbres ou anciens élèves d’une école.
La mondialisation rendra-t-elle grises toutes nos couleurs?
Or, en raison de la mondialisation galopante, du « tout économique » et de la compétition consumériste, n’allons nous pas vers une perte culturelle pour toutes les communautés, au profit d’un métissage où nous ne serons plus ni noirs ni blancs ni jaunes, mais tous du même gris uniforme? Le gris, couleur des notables qui imposent leurs lois et leurs usages, leur consommation et leurs sous-cultures de médiocrité médiatique ?
Notre époque a donc ceci d’exceptionnel qu’elle regroupe encore à la Réunion une diversité incroyable qui se mélange sans se diluer, ni exploser. D’ailleurs certains ont comparé l’île à un laboratoire, un laboratoire humain qui risque cependant de ne pas durer.
Cet équilibre entre spécificités culturelles et métissage permet encore à diverses cultures de vivre ensemble sans trop se déchirer. Celà est dû à la chimie primitive de ses habitants successifs, venus peu à peu avec leurs différences enrichir un tronc commun, dont les racines se perdent profondément dans le passé.
Faisons en sorte que les termites de la mondialisation ne détruisent pas nos racines.
Alain BLED
José Macarty et Paul Mazaka animeront une conférence le samedi 25 novembre de 9h30 à 12h au Vieux Domaine 76 Chemin Recherchant, Ravine des Cabris, Saint-Pierre
Entrée gratuite sur inscription par mail à : inplas@luniversitemaron.re