Livre et littérature

[Littérature] Beaux discours et paroles en l’air

LIVRES À DOMICILE

Gabriel Attal, ministre de l’éducation nationale, a eu besoin d’un rapport du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) pour vérifier ce que chaque français savait déjà depuis longtemps : les progrès des élèves  en  compréhension de l’écrit , maths et sciences, n’arrêtent pas de se dégrader. Ça fait des années que ça dure. 

« Le choc des savoirs »

A la suite de cette enquête,  il a donc fait écrire par son prête plume une longue dissertation à l’intention des enseignants . Le ministre préconise  divers changements dans  les programmes et dans la progression pédagogique des éducateurs.  Il a baptisé cette mobilisation: « le choc des savoirs ». S’en suit un verbiage où il flatte les profs dans le sens du poil, tandis que leurs élèves semblent avoir le poil dans la main  qui s’allonge. 

Gabriel Attal  semble admettre que depuis la lointaine époque des mammouths de Claude Allègre,  les gouvernements successifs n’ont pas suffisamment écouté les enseignants. Mais maintenant, ça va changer ! 

Il semble découvrir que les disparités de niveau entre élèves commencent dès la maternelle,  promet plus d’inclusivité pour les élèves handicapés, et évoque d’ autres problèmes récurrents. Sa consultation numérique auprès de plus de 230 .000 professeurs n’a fait que confirmer ce constat catastrophique. 

Peut-être qu’au lieu d’embaucher des enquêteurs on devrait d’abord embaucher des enseignants ; mais si on dégraisse les profs, les dinosaures technocrates, eux, ne sont pas en voie de disparition.   

Il préconise diverses mesures :  donner le dernier mot aux profs en cas de redoublement,   modifier  les programmes, créer des stages de remise à niveau pendant les vacances pour les élèves en difficulté, revaloriser le BEPC, et bien d’autres idées. La cerise sur le gâteau : « La France sera le premier pays au monde à généraliser à l’ensemble d’une classe d’âge un outil d’élévation du niveau fondé sur l’intelligence artificielle. » Le ministre semble aussi attacher une importance essentielle aux mathématiques, préconisant la « méthode de Singapour qui a fait ses preuves dans 70 pays ». Espérons que les élèves français seront aussi disciplinés que les asiatiques.

Lettre d’amour aux enseignants

Je vous invite à lire, si vous en avez le courage, le laïus complet du ministre aux profs. Il termine sa missive par une couche de pommade qui ressemble plus à de la vaseline qu’à une crème anti-rides. « Chaque jour, vous accomplissez des miracles, déjouez des pronostics, permettez à des élèves d’écrire leur propre destin, prouvez que la pédagogie peut renverser la sociologie. »

Les outils numériques, l’intelligence artificielle, les fractions et nombres décimaux dès le CE1, pourquoi pas ? Mais la lecture, Monsieur le Ministre ? Pas un mot dans votre longue lettre, sur l’invasion des écrans et l’abandon des livres par les jeunes, à part les B.D. et les mangas ; c’est le signe flagrant depuis des années d’une chute de la culture dès le plus jeune âge. Pas plus que vos nombreux prédécesseurs, vous n’évoquez ce symptôme évident de déliquescence. On ne voit rien de bien révolutionnaire dans votre discours.

Lire, c’est s’amuser à réfléchir 

Cette rubrique étant consacrée aux livres, à ceux qui les font et à ceux qui les lisent, il faudrait aussi rappeler aux enseignants et en particulier aux « référents culture » de la maternelle jusqu’au lycée, que les auteurs, ici ou ailleurs, connus ou méconnus, produisent souvent des ouvrages instructifs, et éducatifs.  L’Etat a prévu un budget pour les établissements scolaires, afin de permettre la rétribution d’ateliers et de rencontres scolaires avec des écrivains ou illustrateurs. Or, la plupart des référents ne répondent même pas aux mails des auteurs et autrices demandeurs. Et là aussi, le corps enseignant peut probablement mieux faire, à moins qu’il soit trop bridé par ce fichu « programme » à respecter. 

Relire « Le cercle des poètes disparus », ou le regarder en film, pourrait peut-être décoincer certains inspecteurs. Il faut mettre en avant la lecture, attiser la curiosité des élèves ; s’ils s’ennuient, ils restent bloqués. On peut les encourager à lire, en invitant des écrivains, des artistes, faire plus de sorties dans la nature et pas seulement de la bête compétition sportive. Car c’est bien là le problème : on éduque les enfants pour la compétition, plutôt que de les rendre plus ouverts et intelligents par la lecture. Il faut devenir un parfait consommateur, de plus en plus normalisé : transport, écran, travail, écran, transport, écran, dodo… Pas le temps de lire !

Alain Bled

A propos de l'auteur

Alain Bled | Reporter citoyen

Homme de culture, homme de presse, homme de radio... et écrivain. Amoureux du récit et du commentaire, Alain Bled anime la rubrique « Livres à domicile ».

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