LIVRES A DOMICILE
Les journalistes font souvent référence à l’éthique de leur profession, mais qu’en est-il des écrivains ? Des principes moraux guident les actions de la plupart des individus, mais beaucoup se donnent parfois bonne conscience pour détourner leurs beaux principes. Les religions ne sont pas en reste: tu ne tueras pas… sauf ton ennemi.
Ainsi, celui qui fait métier de sa plume devrait avoir pour premier commandement : tu ne mentiras pas, même en jouant sur les mots, ou en passant sous silence certains arguments qui ne vont pas dans ton sens. Un journaliste peut avoir une opinion et manquer d’objectivité, parfois inconsciemment, en toute sincérité. Soit il est persuadé que la ligne éditoriale de son journal est la meilleure pour l’espèce humaine, soit il accepte des compromis pour gagner sa vie.
Principes moraux universels
Par contre, l’auteur de romans et autres fictions, même s’il n’est pas tenu à l’objectivité, doit cependant posséder quelques principes moraux. Est-ce toujours le cas ? Jusqu’où peut aller son intégrité, sa liberté d’expression sans crainte des retombées ou des pressions ? De toute façon, l’écrivain qui n’est pas sincère est condamné à l’oubli. Ses succès seront des feux de paille oubliés des générations suivantes. Les auteurs qui ont laissé une trace dans l’histoire de la littérature sont souvent ceux qui étaient parfois censurés ou même enfermés à leur époque. Une seule limite : les principes moraux de base qui régissent toutes les civilisations et religions, pour élever l’Humain au dessus de l’animal.
Un rédacteur peut difficilement imposer un article qui ne plaira pas aux patrons du groupe de presse auquel appartient son journal. De même, un écrivain peut entrer en conflit avec son éditeur. Un exemple récent a secoué le monde littéraire français. Après le rachat du groupe Hachette par le groupe Vivendi de Vincent Bolloré, plusieurs auteurs et autrices connus tels Anne Ernaux, Jerôme Ferrari, ou Aurélien Bellanger ont refusé de continuer à publier sous la bannière de celui-ci.
Ils accusent le milliardaire de saper les valeurs démocratiques, en chapeautant de nombreux medias, radio, télé, journaux et magazines, de Canal Plus jusqu’à Paris Match en passant par Europe 1.
Choisir l’argent ou la liberté d’expression
Ces auteurs et autrices ont certes bien du courage de s’opposer à leur nouveau patron. Mais jusqu’où peut aller leur éthique ? Imaginons Annie Ernaux, autrice engagée, féministe et combative, croisant Gabriel Matzneff lors d’une réception de leur éditeur commun, Gallimard. Faudrait-il une alliance des auteurs et autrices de Gallimard contre ce pédophile fier de l’être ? La sempiternelle rengaine : « faut-il séparer l’homme de l’artiste ».
La rencontre entre Annie et Gabriel est cependant fort improbable, ce dernier devant privilégier plutôt les soirées de Gallimard Jeunesse.
L’éditeur littéraire, comme le patron d’un journal, a des contraintes de profit. Et il peut toujours se donner bonne conscience en acceptant quelques compromis sur l’éthique.
Le vieux monde doit changer
Comment être certain de notre honnêteté intellectuelle, de nos valeurs morales ? Le problème se pose pour tous les sujets sociétaux sur lesquels le jugement a changé en quelques années. La plupart des gens ne confondent plus homosexualité et pédophilie, de plus en plus d’hommes s’indignent enfin des inégalités entre les sexes, mais certains vivent encore avec l’ancienne mentalité où l’on pouvait quasiment se glorifier chez Bernard Pivot, d’aimer les jeunes filles pré-pubères. Gérard Depardieu n’a pas encore compris non plus ce nouveau scénario. Et quand on voit l’avalanche de célébrités mises en cause depuis quelques années, on se dit que la morale peut changer d’une époque à l’autre, et qu’en l’occurence il faut s’en féliciter.
Car l’éthique, selon les dictionnaires, c’est la manière de vivre, la conduite des gens en société. Ses mots-clés, entre autres, sont désintéressement, ouverture d’esprit, justice, et intégrité. Et la morale sur ces points essentiels, devrait être universelle et intemporelle.
Intégrité, et pas intégrisme
Le wokisme est partie prenante de cette nouvelle éthique. Mais il ne doit pas générer un nouvel intégrisme, où l’on verrait le mal (ou le mâle) partout, obligeant à se méfier de la moindre tournure de phrase sujette à controverse. A force de vouloir tout contrôler, on aboutirait au résultat inverse : censure, novlangue, exagération des mots : la moindre remarque anodine étant estimée «violente », la plus légère critique qualifiée de malaisante, la blague lourdingue devenant carrément abjecte, l’humour de Gaspard Proust (Europe 1) étant jugé « rance » par une chroniqueuse de… France Inter. Et pourquoi pas bientôt Pierre Desproges devenant un individu ignoble et Coluche un sommet de beaufitude ? Quand on commence à déboulonner des statues, ou finit tôt ou tard par couper des têtes. Si Céline ou Yann Moix sont coupables d’abjection, alors quel mots plus forts pourra-t-on trouver pour Hitler ou Marc Dutroux ?
Ainsi à la Réunion, très récemment, une polémique a opposé les créateurs d’une bande dessinée pour marmailles à des militants culturels, voyant dans l’histoire mêlant écologie et esclavage, un amalgame dangereux et insultant pour la communauté malgache.
Ah, le bon vieux temps où seul le gluten était stigmatisé !
Alain Bled