INITIATIVES POSITIVES
Après plusieurs années de réflexions, pratiques et mises en œuvre sur différents lieux, les Jardins de Fond Imar se sont installés à l’ombre des arbres, derrière le tour des roches, à Saint-Paul. Un petit paradis qui accueillent 12 salariés en insertion et qui développe une agriculture proche de la biodynamie.
Assis à l’abri du soleil, non loin de l’entrée des Jardins, quatre salariés en insertion sont à la tâche. Armanda et Christophe séparent les fleurs de la graine de bissap. Elles seront ensuite transformées en gelée, en confiture ou en sirop. « Depuis combien de temps est-ce que vous travaillez ici, aux Jardins de Fond Imar ? » J’interpelle les salariés à côté desquels je me suis attablée. « Moi, j’habite le quartier, j’ai vu ça à la télé, j’étais déjà dans une association », me raconte Patrick. « Elle, elle a vu grandir les pié bissap. »
La plupart des salariés en insertion ont d’abord intégré l’équipe en tant que bénévoles. Christophe, lui, savait déjà planter lorsqu’il est arrivé sur la terre aride et rocailleuse que le département a attribué à Coralie Hoarau et surtout au projet qu’elle porte depuis bientôt une dizaine d’années. « Ma nu fèr in pé lespionaz mèm pou war si mon fason fèr té bon », s’amuse-t-il. « Ma ramèn dé trwa zafèr su mon térin : astèr mi fé in pé lazany. Mi mèt le bann fey sèk, le fey vèr, la matière organique. »
Fey sèk, le fey vèr, matière organique
C’est comme ça qu’ils ont appris à planter ici, en couches, destinées à nourir et enrichir le sol. Le terrain est immense. Il s’étend jusqu’à la montagne sur une superficie totale de 19 hectares. Bien entendu, une grande partie est inexploitable, trop difficile d’accès. Seuls trois hectares sont exploitables. Lorsque Coralie décroche ce terrain en 2021, il est totalement envahi d’une végétation très dense, recouvert de plantes invasives. Ici, dans les bas de Saint-Paul, le soleil ne pardonne pas, malgré la proximité du bassin Vital et du bras de rivière du tour des roches. « C’était impénétrable », se souvient Coralie. « Des lianes montaient jusqu’à la cime des arbres. »
Coralie a l’intention de reconstituer une forêt d’endémiques et une forêt comestible, revaloriser les terres oubliées. Elle voit les choses en grand et surtout, elle a bataillé pour avoir ce terrain. Il faut croire que le cinquième était le bon. Les précédentes tentatives pour mettre en oeuvre ce projet ambitieux n’ayant pas abouti pour différentes raisons.
En deux ans, le noyau dur du projet, et la douzaine de salariés en insertion qui ont intégré l’association dès janvier 2022 grâce à des financements publics, sont parvenus à défricher, planter, et mettre en état d’utilisation optimale 7000m2. Les parcelles centrales, renommées « ronkozé », « les feuilles », ou encore « sakalava », ont vu s’ériger un grand boukan, une petite boutique pour vendre les produits transformés ainsi qu’une scène couverte et ses gradins de pierres et de bois.
Accès à l’eau, autonomie alimentaire
L’endroit est cosy, accueillant. « Ici, nena toujour in bon nafèr pou manger », avertit Coralie en souriant et en me tendant une tartine de paté de porc fait maison. C’est ici, sur la petite scène, que se sont déroulés les concerts samedi 18 mai. Les Jardins de Fond Imar organisent régulièrement des journées autour d’un thème. Samedi 18 mai s’est tenue par exemple la journée « plantation et dépollution ». Parfois ce sont des discussions sur l’autonomie alimentaire de l’île ou encore l’accès et la consommation de l’eau qui font battre le cœur du lieu et de ses participants.
Depuis le début du projet, Coralie a toujours imaginé un lieu convivial, avec de la vie, un entourage riche et fourni. Elle y est parvenu. Même si bien sur, il y a eu des déconvenues, des personnes qui ont jeté l’éponge. Et surtout, sur le terrain, « il y a encore beaucoup de travail à faire ! », comme le fait remarquer Laurent Lucien, l’encadrant des salariés en insertion, en regardant la terre en friche, un peu plus haut, juste au-dessus.
Reconstituer totalement les sols
En amont, « les jardins » de Fond Imar se développent. En ce moment, une équipe déplace des roches. Il faut totalement reconstituer des sols tant ils sont rocailleux. Laurent ne leur a pas encore annoncé que la prochaine étape serait de défricher de nouvelles parcelles. Le travail est difficile, il l’a expérimenté lui-même avec la précédente équipe de salariés en insertion, alors, il attend un peu que les nouveaux se fassent la main en commençant par l’entretien des parcelles déjà nettoyées (arrosage, paillage…).
L’objectif par la suite est de pouvoir mettre à disposition pendant trois ans à de jeunes agriculteurs qui sortent de formation ou d’entrepreneurs qui se lancent des parcelles d’expérimentation de 1000 m2 alimentées en eau et prêtes à planter.
Même si elle a grandi avec des parents agriculteurs, Coralie Hoarau a du tout réapprendre elle-même. C’est une ancienne architecte reconvertie après quinze ans d’activités. « Ma famille ne m’avait jamais vu une gratte à la main, donc certains pensaient que je ne pouvais pas planter. Quand j’étais enfant, mes parents étaient très complémentaires. Mon père avait vraiment l’esprit paysan alors que ma mère aimait plutôt les tisanes, les orchidées… »
Biodynamie
« Ici, nous, le bio, on s’en fout », lâche Coralie Hoarau. « Ca devrait être naturel pour tout le monde de ne pas mettre d’engrais, de restaurer le sol. Dans les Jardins de Fond Imar, on se rapprocherait plutôt du label Démeter qui est le label de la biodynamie. La biodynamie part du principe qu’une exploitation agricole ne doit pas importer d’engrais, de graines, de nourriture animale ou humaine. Tout est fabriqué sur place donc on doit réfléchir différemment les parcelles. On est loin d’une vision productiviste. »
« Ici, nou travay avèk la lune », explique Armanda. La lune i mont pou tout sak lé su tèr kom le bann brèd… Kan la lune i dsann, tout le bann légim sou tèr lé konserné : manioc, patate, songe, laiy… La lune 3/4 i fo nou taiy tout sak la plant sou la tèr. La lune joue un rôle très important. Kan la lune lé o plin, i fo prévwar le bann plan pou planté. » Armanda a appris ça de sa parents, il y a longtemps, et le pratique personnellement chez elle de manière intuitive sans suivre de calendrier comme ici. « La natir fé war anou ke lé pli for ke nou. » « Si ou respek ali li respek aou », pointe Patrick. Corentin, 19 ans, actuellement en stage dans le cadre de ses études, approuve en écoutant attentivement ses aînés. « C’est vrai que les traditions se perdent, moi j’ai fait un BPJeps pour préserver nos traditions. »
Un tremplin
Quels que soient les parcours, les Jardins de Fond imar interviennent un peu comme un tremplin pour ses usagers. Actuellement, six d’entre eux sont d’ailleurs absents du site, en formation apiculture. Clarisse, 43 ans, se rapproche du petit groupe et glisse sur le ton d’une confidence. « Mi koné pa si zot i koné… Isi, nou pe fèr nout formasiyon é kré in mikro lantropriz kan nou kit. Ma fin gany le térin avèk mon papa. »
Pour l’équipe d’encadrants, c’est une belle réussite de se dire que les salariés en insertion sont en mesure de trouver un emploi et même, mieux, de le créer en sortant d’ici. « En fait notre objectif c’est aussi que les gens qui travaillent sur cette terre puissent ensuite reproduire tout ça ailleurs », souligne Coralie Hoarau.
Jéromine Santo-Gammaire