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[Génocide par substitution] Stop gentrification n°4 !

L’EKO LA RAVINE

Georges Ah-Tiane, membre du komité Pangar !, prolonge ici la publication d’un dossier approfondi qu’il a réalisé en sur le phénomène de gentrification sur l’île de La Réunion.

Préambule

En tant qu’observateur de la société réunionnaise, j’ai été amené à me pencher depuis quelques années sur le phénomène de la « gentrification » et à comparer ce processus qui existe depuis longtemps ailleurs, à ce qui se produit spécifiquement à la Réunion, surtout en termes de conséquences pour sa population.

J’avais eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises en réaction à quelques « attitudes singulières » et à certaines situations de fait découlant de ce processus.

Autant dire tout de suite qu’il ne s’agit pas ici de faire un réquisitoire contre les français de Métropole dans leur globalité ni de vouloir stigmatiser tel ou tel groupe d’individus en fonction de son origine mais plutôt sereinement et sans parti pris, d’explorer les causes et conséquences de ce phénomène et d’essayer d’en tirer quelques conclusions.

Il serait mal venu d’un pays reconnu pour son vivre-ensemble et son métissage de verser dangereusement dans la discrimination et le racisme.

Cependant, forcément mon analyse risque de prêter à confusion et d’en crisper plus d’un, puisqu’en l’espèce, elle concerne essentiellement les français originaires de l’Hexagone (pas tous fort heureusement). De plus, à la Réunion cette population n’est pas forcément représentative de la France profonde. On observera dans l’Hexagone même, les disparités existantes chez les français que ça soit au niveau social ou culturel. On peut rencontrer aussi ici des métros tout à fait intégrés et des réunionnais désagréables mais on s’en tiendra à des généralités et on s’arrêtera sur certains stéréotypes et comportements acquis de la gent métropolitaine, régulièrement nourrie par une Nation jugée expansionniste et assimilatrice au-delà de ses frontières. En effet, l’affaire qui nous occupe est indissociable du postulat dominant/dominé qui résulte du continuum colonial Français sur le sol réunionnais même si ses habitants y furent rapportés.

Rajoutons à cela que certains maux ne viennent pas uniquement du fait d’exogènes mais d’association d’intérêts et d’acteurs divers, conjugués avec certains effets pervers de la mondialisation qui favorisent les amalgames.

Veuillez donc me pardonner certains « écarts » qui sans doute font écho et résonnance à des frustrations enfouies.

La gentrification à la Réunion n’est pas prise en compte par des acteurs locaux qui ignorent ou parfois accompagnent ce processus.

On développera uniquement les mécanismes propres à l’installation des métropolitains de France à la Réunion. D’autres mouvements venant d’autres pays ou régions peuvent être sujet à analyse mais ne seront pas évoqués ni étudiés ici. Les causes et conséquences étant différentes.

Plaidoyer pour un mieux vivre ensemble

L’exercice est difficile car le concept même du « vivre ensemble « réunionnais est sujet à questionnement. Il apparaît plus comme une intention ou une projection flatteuse que les uns et les autres se prêtent, d’autant plus qu’il est très difficile d’obtenir quelques consensus et unanimité au sein de la population. Manque de cohésion sur la langue, sur la gouvernance, injustices, clientélisme, religions multiples et niveaux de vie éclatées…Je pense plutôt que les réunionnais vivent dans une certaine paix sociale « encadrée » par l’Etat français et ses lois régaliennes, dans une gouvernance de type coloniale ou néo coloniale. On ne le répètera jamais assez.

Ce peuple que l’on chérit et qu’on aimerait voir grandir est à l’image de sa topographie : accidentée, sublime, multiple sur laquelle soufflent selon les endroits et les saisons, les alizés, l’ardeur du soleil, les déluges ou les cyclones. Tantôt torturée, divisée, méprisée, méfiante, tantôt maternelle, solidaire, courageuse, envoûtante, digne. C’est tout cela à la fois qui nous caractérise. Nous sommes définitivement hors normes ! il n’y a pas de phénotype réunionnais, si on prend un peu de recul ou de la hauteur, je dirais que nous sommes dans un processus de créolisation qui n’est pas encore abouti et que la Réunion pourrait être le gardien de certaines valeurs sacrifiées sur l’autel de la mondialisation que sont le respect, la reconnaissance, le civisme, l’honnêteté, la justice, le partage, l’entraide, la solidarité et la fraternité… En lutte avec les effets pervers du mondialisme libéral.

En 1974, Edward Kamau Brathwaite, écrivain d’origine barbadienne, définit la créolisation dans les (ex)colonies, comme une forme d’hybridation culturelle ayant pour but une unification des peuples, quelle que soit l’origine ethnique. Dans son étude, il en parle comme d’une nouvelle culture unique qui tente d’intégrer toutes les influences, qu’elles soient africaines, asiatiques, indiennes, américaines et européennes. Il cite le « maloya » de la Réunion comme étant une fusion de traditions africaines, malgaches, indiennes et européennes. (Voir bibliographie)

On voit bien là que les européens font partie intégrante de cette réunionnité. Certains disent même qu’on ne naît pas réunionnais mais qu’on le devient. A méditer…

C’est donc dans cet esprit que mon plaidoyer prend son sens.

Mais de tous temps et de manière récurrente la question coloniale n’a eu de cesse de préoccuper les objecteurs de conscience et autres intellectuels rebelles.

Qu’il s’agisse de rééquilibrer les rapport dominants/dominés, d’en finir avec les frustrations transmises de générations en générations ou tout simplement de s’orienter vers l’indépendance, les insurgés furent un moment « portés » par le Parti Communiste Réunionnais, seul à s’engager dans la voie de l’émancipation. Le maloya et la misère en furent les vecteurs principaux.

Cette partie de la population réunionnaise, dans les années 60, rassemble les afro-malgache-indo-descendants et toute la classe ouvrière. Elle s’est progressivement inscrite dans la lutte des classes en combattant à la fois le capitalisme rampant et le colonialisme institutionalisé. C’est peut-être à partir de là, qu’il y a eu prise de conscience collective de l’émergence de deux mondes radicalement opposés. La littérature réunionnaise « alternative » nous plongeait subitement dans un monde partial, édulcoré pour les uns et aliénant et douloureux pour d’autres, dénonçant certaines réalités issues de l’histoire commune. Cette histoire « partagée » nous a légué la haine et la vanité d’une part ainsi que l’amour et le respect (et la crainte) d’autre part.

Mais, si certaines positions étaient bien tranchées et identifiées, il y avait aussi les innombrables sang-mêlé ou « assimilés » qui sans vraiment cultiver leur « africanité », vivotaient en toute tranquillité tout en montrant leur attachement à la France, créant parfois quelques tensions (notamment au sujet de la langue maternelle et de la culture française). Ceci dit, les quelques disputes de chapelle n’ont jamais dépassé le stade de joute orale dans un monde où tout finit par rentrer dans l’ordre. L’image d’une île tolérante et en devenir nous colle à la peau. Paul Vergès en fit l’éloge dans son livre « d’une île au monde ».

Il faudrait presque faire de toute cette vitrine, un éco-système social ou un genre de sanctuaire à préserver de toute prédation, on protège bien notre faune et notre flore des espèces invasives.

Ce qui nous amène sur l’épineux sujet de la gentrification.

Ainsi donc, certains équilibres risquent d’être rompus. La population « historique » est amenée à se réduire progressivement au profit de l’installation soutenue des exogènes. Même avec un taux de natalité dans l’île au-dessus de la moyenne nationale, les projections donnent un pourcentage de plus de 25% de métropolitains d’ici 2040 à la Réunion. Quelle région du monde pourrait supporter un tel phénomène ? Si la tendance ne faiblit pas et aucun indicateur ne prouve le contraire, ils formeront bientôt la première communauté influente de l’île, comparativement aux autres groupes ethniques. Les afro-descendants représentent environ la moitié de la population mais ne constituent pas une communauté ni une puissance financière et politique. Il est d’ailleurs assez singulier de constater que ces exogènes qui ne vivent pas en communauté en France hexagonale, ont tendance à se regrouper quand ils se trouvent dans une région qui leur est étrangère : l’effet de l’éloignement sans doute.

Il n’est nullement question de racisme ici. Quand les corses par exemple se préservent des continentaux, quand les bretons ou occitans alertent sur le prix du foncier dû à l’afflux de leurs compatriotes fortunés, on ne parle pas de racisme n’est-ce pas ? Le phénotype blanc ne se réfère pas uniquement à la couleur de la peau, c’est tout un ensemble de traits de caractères ou d’attributs qui en font la consistance. Les yabs sont bien des réunionnais blancs et je le répète, avoir un métro dans la famille ou comme ami a toujours été valorisant : « Mon kamarad zorey » comme disent certains. D’ailleurs certains d’entre eux sont parfaitement intégrés.

L’appréhension se situe au-delà des origines, des religions ou de la couleur de peau des uns et des autres mais il ne s’agit pas de laisser rompre un mode de vie séculaire. Nous avons aussi nos défauts et disparités mais ils sont compris et acceptés. « nou lé pa plus nou lé pa moins ! » comme dit la chanson et c’est cette candeur, cette nonchalance, cette sagacité exaltés par des destins croisés qui font notre richesse. Il ne faudrait pas à terme tourner le dos à « l’héritage culturel » de nos ancêtres qui ont construit le pays de leurs mains, qui ont apporté leurs coutumes et traditions, leurs savoirs dann « kal bato », qui ont endurés vexations, punitions et mise à mort, pour finalement céder la place à d’autres « cultures » dominantes et étrangères. Quand je dis cela j’associe bien entendu les conséquences de la gentrification aux convulsions d’un mondialisme capitaliste en perdition.

Non, il ne faudra surtout pas nourrir la haine envers qui que ce soit mais appréhender les risques réels d’extinction d’un modèle de vie porteur d’espoir, et comprendre les enjeux. Ce plaidoyer n’exclut personne mais se défend de toute assimilation et prédation de l’extérieur.

Partout, l’étranger est bienvenu mais il ne doit pas se substituer ni troubler l’existence de la population qui y vit.

Prenons l’engagement et le pari de préserver ce vivre ensemble.

Quelques chiffres

Source INSEE 2020-2021, enquête sur les migrations, familles et vieillissement :

Au 1er Janvier 2020, la population à la Réunion est de 868.846 ha. 20% de la population sont des non-natifs. Ceux de l’hexagone en représentent les deux tiers, soit environ 13%. 24% de ces non natifs de l’hexagone viennent de l’Ile de France. 2200 hexagonaux en moyenne par an entre 1990 et 2018, s’installent à la Réunion (61600 sur la période).

Le taux d’emploi y est de 44% pour les natifs et de 65% pour les non natifs.

En 2020, 38% des jeunes de 18 à 24 ans ne sont ni en emploi ni en études. 22 des jeunes reçoivent une aide financière de leur entourage contre 35% en 2010.

Liens : file:///C:/Users/User/Downloads/re_ina_74%20(5).pdf

https://archined.ined.fr/view/AYSGGTdUkOqZPUwFsDqF

Selon Philippe Cadet (à partir des chiffres de l’INSEE) : en 2011 les métropolitains représentaient environ 11% de la population. En 2024 ils seraient 14%.  Il reste 86% de réunionnais à la Réunion et c’est sous Michel Debré qu’a débuté cette stratégie de remplacement. Le but était de faire partir les réunionnais en masse et de faire rentrer les métros. Depuis 1963, la France a excisé 185000 réunionnais pour les remplacer par 125000 zoreys (chiffres 2017). Il s’agissait comme disait Joseph Varondin, de « blanchir » ou de « zoreilliser » la population. Sur 10 fonctionnaires qui arrivent, 6 sont des métros. Depuis 1946, dans 3 des 10 outremers français, les populations de souche sont devenues minoritaires dans leurs pays ; les Saints Martinois, les Guyanais et les Kanaks (extraits de « le Grand remplacement » de Philippe Cadet)

Rapport de la fondation Abbé Pierre, l’état du mal-logement à la Réunion 2024 (extraits) :

Plus de 319.000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté (1158€/mois) soit 36% de la population.

153540 demandeurs d’emploi au 4è trimestre 2023, un taux de chômage de 19% (2,7 fois plus important que dans l’Hexagone)

Rapport de la DEETS (Direction de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités) – Les chiffres clés 2022 :

  • La population est de 868.846 Ha au 1er janvier 2022
  • Le taux de pauvreté est de 37% en 2019, 26,7% de la population est au RSA
  • Le taux de chômage de 18,6% au 1er trimestre 2022
  • Il y a 156 000 demandeurs d’emploi 1er trimestre 2022

Le coût de la vie :

  • Des écarts de prix jusqu’à +37% dans l’alimentaire par rapport à l’Hexagone
  • Des loyers parmi les plus élevés de France
  • Le prix de l’immobilier a augmenté en moyenne de 37% en 5 ans

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Georges Ah-Tiane

Membre du Komité Pangar ! (Juin 2024)

Je tiens à remercier : Eric Ismaël, Arnold Jaccoud, Farouk Issop, TYP Emotsion, François Castellon, Jean Marc Vanwascappel et Philippe Cadet pour leurs lectures, corrections et précieux conseils.

Edition « l’Eko la Ravine » ISSN 2677-7940 (Juin 2024)

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A propos de l'auteur

Georges Ah Tiane | Reporter citoyen

Georges Ah-Tiane est impliqué dans la vie associative depuis 1990. En France où il a vécu de nombreuses années, il s’est investi dans la promotion de la culture réunionnaise au travers de nombreux biais : en créant des associations, en enseignant le créole, en mettant en avant le patrimoine culinaire péi ou encore la musique. Il a créé des ponts entre La Réunion et la diaspora installée en France. Il a participé à une radio associative pendant douze ans avant de créer des fanzines ou petits journaux, « carry créole », « la lettre d’art’s ». De retour à La Réunion, il s’est impliqué dans la langue créole et « la conscientisation », avec l’objectif d’analyser la société réunionnaise, comprendre son fonctionnement. Dans le but de « voir quels sont les freins et comment les contourner pour aller de l’avant ». Cette chronique hebdomadaire fait suite à la gazette “kreo-lutionnaire” imprimée, l’Eko la Ravine, qu’il a tenue entre 2019 et 2020.

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