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[État de la pauvreté] Pas de président pour faire la guerre à la misère

320 000 PAUVRES À LA RÉUNION

Faut-il attendre que l’extrême-droite soit aux portes du pouvoir pour faire la guerre à la misère ?

Tout au long de notre série sur « la peste », étudiant la montée de la vague d’extrême-droite dans les votes et dans les esprits, la pauvreté est apparue comme le terreau des idées radicales. « Les gens crèvent la dalle », s’exclame Eric Ismaël, président du comité Pangar dans l’émission « Siave & piment ».

Mais la pauvreté, c’est quoi ?

Statistiquement, l’Insee retient le critère monétaire. Le seuil de pauvreté s’établit à 60% du niveau de vie médian, il équivaut en France à 1 120€ par mois. « 1 120 euros pour une personne occupant seule son logement, 1 680 euros pour un couple sans enfant, et 2 350 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans. D’après cette définition, 36 % de la population réunionnaise est pauvre en 2020, contre 14 % des habitants de l’Hexagone », dit l’Insee dans son Panorama de la pauvreté à La Réunion publié en octobre 2023. Soit 320 000 personnes. Seules Mayotte et La Guyane affichent des taux de pauvreté supérieurs.

Ici 51 % des ménages de moins de 30 ans sont pauvres. Une famille monoparentale sur deux est pauvre. Les pensions de retraite figurent parmi les plus faibles de France. Les régions les plus touchées sont l’Est, le Sud et les hauts de l’île. Là où, effectivement, les scores du RN sont les plus élevés.

Le Président n’a pas déclaré la guerre à la misère

Le dernier éclairage de la fondation Abbé Pierre insiste sur le taux de chômage (19%), 2,7 fois plus important qu’en France et le poids des aides sociales sans lesquelles 1 Réunionnais sur 2 serait sous le seuil de pauvreté. Il dénonce des loyers du privé parmi les plus élevés de France avec une augmentation de 8% en un an et la très faible production de logements sociaux qui a été divisée par trois entre 2020 et 2024.

« L’hébergement d’urgence ne fait plus face à l’urgence de la mise à l’abri pour toute personne en détresse et sans solution, explique la Fondation. À La Réunion, les demandes au 115 sont passées de 34 334 en 2020 à 59 240 en 2023, avec 28 % de ces demandes qui étaient non pourvues. » 

Épousant l’analyse des électeurs elle reproche au président de la République de ne pas déclarer la guerre à la misère alors que la « bombe sociale » était annoncée par son ministre du logement, Olivier Klein en 2022. « Nous entrons dans un temps de résistance face à la résignation, aux renoncements, à la stigmatisation, à la mise en concurrence entre les femmes et hommes précaires sans distinction de statuts, à la « bataille idéologique » de l’extrême droite, à une forme de radicalité des orientations gouvernementales, à l’abstention électorale… », commente-t-elle.

La crise est « systémique », elle a plongé en 2024 les personnes les plus vulnérables dans une situation encore plus difficile que l’année précédente.

Pourquoi on nous remet dehors ?

Et la Fondation Abbé Pierre cite les trois sans-abri décédés lors du passage du cyclone Belal en janvier dernier : « Ces dernières semaines, plusieurs personnes sont décédées à la rue dans une forme de résignation, voire d’indifférence. Nous pensons à toutes les personnes aux parcours chaotiques, connues de tous les acteurs, sans que nous ne parvenions collectivement à proposer des alternatives. Nous pensons également aux trois personnes décédées durant le passage de Belal, sans analyse des dysfonctionnements structurels qui poussent des personnes à potentiellement « refuser une mise à l’abri » le temps du cyclone.

Et à l’inverse, toutes les autres personnes qui ont accepté d’être hébergées sont remises à la rue sans solution dès la levée des alertes. Elles trouvent refuge dans nos accueils et nous demandent : « pourquoi on nous remet dehors ? ». Une occasion manquée d’utiliser ces solutions temporaires comme un tremplin pour mettre en œuvre la stratégie du Logement d’abord. »

Construire des logements

Jocelyne Gardiol, présidente d’Emmaüs Grand-Sud, confirme la tendance. La Boutique Solidarité de Saint-Joseph, par exemple est venue en aide à 425 personnes en 2023 contre 403 l’année précédente. Il s’agit en majorité d’hommes (330 pour 95 femmes) au RSA ou dépendant de l’allocation adulte handicapé, mais aussi des « travailleurs pauvres » qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts.

Emmaüs les aide à se refaire une santé et des papier. Parfois ils débutent une démarche d’insertion dans l’un des chantiers de l’association. Le magasin de Pierrefonds, qui proposent toutes sortes d’articles recyclés, ne désemplit pas.

« On voit bien que même avec un Smic on ne s’en sort pas. C’est tout le système qui est à revoir, commente Jocelyne Gardiol. La première chose à faire, c’est construire des logements pour les gens. C’est pas possible qu’il y ait un tel mal-logement dans un pays comme la France. En plus, ça créerait des emplois ».

Franck Cellier

LA PAUVRETÉ C’EST QUOI ? TÉMOIGNAGE DE THIERRY ALBA

« J’étais inexistant comme si on m’avait oublié ! »

« Ça peut arriver à tout le monde »… La pauvreté ne se limite pas à une statistique ou à un seuil de revenu. N’importe qui peut se retrouver les poches vides. C’est ce que confie Thierry Alba. Un « ga la kour », bien connu pour avoir été l’un des acteurs du Téat la Kour, dans les années 1990-2000.

Qui pouvait imaginer que le jeune homme dynamique, journaliste au Quotidien, au Jir, à Radio Est, etc. Se retrouverait un jour à la rue ? Il a bossé à la mairie de Saint-Denis et à la Région. Il menait sa barque comme on dit. « J’ai eu des sacrés problèmes de santé, vers 28 ans. On m’a diagnostiqué une tumeur au cerveau. »

Les traitements (médicaments, radiothérapie, chimiothérapie) lui ont tiré toute son énergie. Son couple s’est séparé. Il a changé d’appartement et cherché une autre voie professionnelle en devenant community manager (formé en France pendant un an) et créateur de contenu. Mais l’expérience a fini en faillite. Le propriétaire de la boîte a disparu un vilain matin avec la caisse et le matériel.

« Je bossais à mi-temps et je comblais avec « l’argent handicapé » (1 400€ par mois en tout). Je me suis retrouvé comme un con.  D’un coup, j’ai perdu mes droits. Je n’ai pas pu toucher les Assedic et je n’arrivais plus à payer mon loyer qui s’élevait à 180€ une fois déduite l’allocation logement. Quand j’avais 30 ou 50€ je les gardais pour manger. »

Les meubles sur le trottoir

Il en était rendu à mendier des parts de pizza. « J’étais inscrit au fichier des mauvais payeurs de la Banque de France. Deux jours avant la date d’expulsion, j’ai déposé toutes mes affaires sur le trottoir. J’ai rendu mes clés au gardien de l’immeuble. Il ne me restait que ma petite 206. »  Thierry Alba a alors assisté aux allers et venus d’un gars qui venait récupérer ses affaires. Le malheur des uns fait le (petit) bonheur des autres. « Les biens matériels, c’est des conneries », lance-t-il, préférant aujourd’hui s’en remettre à l’Eternel.  C’était le 9 juillet 2022.

« J’étais inexistant comme si on m’avait oublié ! » Il doit alors vivre avec 350 € par mois, ça va durer un an et demi avant qu’il puisse obtenir un RSA à 460 € et, surtout, un petit appartement social à Sainte-Suzanne le 27 décembre 2023. Un fonctionnaire municipal, reconnaissant ses qualités, a « débloqué » son dossier. Sans cette intervention providentielle, Thierry ne sait pas comment il s’en serait sorti.

Abris de nuit

Pendant les six premiers mois de sa vie de SDF, il a pu squatter chez des proches. Mais il s’agissait de coups de main provisoire. Il a dû se rabattre sur les abris de nuit du chef-lieu, ceux de la ruelle Turpin et de la rue Monthyon. « J’appelais la journée pour réserver une place. Quand il n’y avait pas de place, je me payais une nuit en pension ou je dormais dans ma voiture ».

« La rue est tellement dangereuse que dormir dehors n’est pas une alternative correcte pour une personne seule »

Les lits ou les repas servis aux sans-abris, c’est mieux que rien… mais c’est quand même très dur à accepter. « j’ai  vu des gars gueuler à cause de la mauvaise qualité des repas. Même les chiens errants refusaient de manger la nourriture qui était servie ». On y côtoie la folie : « Des gars te regardent fixement sans parler ou se mettent à hurler dans la nuit ».

L’alcool et la mort

Dans ses abris, chacun a une chambre avec une porte et un verrou et peut prendre une douche. « N’importe qui peut y aller. Mais il n’y a pas assez de places. Il y en a 8 ou 9 ruelle Turpin et 14 à Monthyon. Il en faudrait beaucoup plus. La rue est tellement dangereuse que dormir dehors n’est pas une alternative correcte pour une personne seule », insiste Thierry Alba qui préconise la mobilisation de grands dortoirs avec une surveillance des personnes hébergées.

Depuis qu’il a à nouveau des clés, Thierry Alba relève la tête. Il n’a pas encore retrouvé un travail mais se débrouille pour payer ses factures. « Dieu m’a fait tenir. Il donne les plus grosses épreuves aux plus forts. J’ai retrouvé confiance. » Il a surmonté ses problèmes de santé et cherche un job à mi-temps toujours dans la communication et le community management.

Lui a survécu à l’épreuve mais il a aussi croisé des compagnons d’infortune. Certains se sont perdus, se sont noyés dans l’alcool et sont morts. « À tout moment, tu peux basculer. J’ai perdu des camarades là-bas. Il est parti et moi je suis là, dans le bonheur. J’aurais été content de l’accueillir. Il aurait pris le bus et serait venu me voir mais voilà… L’alcool l’a tué. » 

F.C.

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A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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