ur 974 grève à Soliha

[Soliha] Les « actes illicites » d’une « gestion hasardeuse »

AUDIT SUR L’UTILISATION DES FONDS POUR L’AMÉLIORATION DE L’HABITAT

L’audit sur Soliha révèle des  « actes illicites » de plus de 100 000 € versés à un cadre de la Cinor sans numéro de Siret, sans contrat et sans factures conformes. Une troisième plainte, en cinq ans, va pointer un présumé « détournement de fonds publics par négligence » concernant la destination finale de l’argent versé par le Département pour financer l’amélioration de l’habitat.

Soliha, ex-PACT-Réunion, est une association chargée de mettre en oeuvre les chantiers d’amélioration de l’habitat financés par le Département, l’Etat, la CGSS et la Région, au profit des familles les plus modestes.

En son sein, le malaise dure depuis la première plainte déposée en 2020 par l’Union régionale 974 contre la gestion de l’ancien président Giovanny Poire, accusé de prise illégale d’intérêts. Une deuxième plainte en 2022 visait la nouvelle gouvernance bien que celle-ci affirmait alors avoir écarté les prestataires suspects visés par la première plainte.

Aujourd’hui, les révélations de l’audit indépendant réalisé par le cabinet AKP Conseils vont selon toute vraisemblance déclencher une nouvelle plainte alors que l’enquête ouverte par le parquet il y a deux ans semble au point mort.  On peut voir dans ces derniers développements la conséquence de l’une des plus longues grèves jamais observées à La Réunion.

Un audit indépendant des comptes de 2019, 2020 et 2021

En 2022, une dizaine de salariés soutenus par l’UR 974, ont tenu 7 mois de grève pour demander, non pas des augmentations de salaires, mais une meilleure gestion de leur outil de travail. Ils dénonçaient du favoritisme, du management toxique et réclamaient la démission du directeur général, Mickaël Sihou, par ailleurs élu régional de la majorité.

En guise de protocole de fin de grève ils avaient obtenu quelques mesures de réorganisation de la Soliha mais pas la tête de Mickaël Sihou devenu secrétaire général au lieu de directeur général. Leur principale victoire tenait dans la commande d’un audit indépendant qui a fait depuis six mois des allers-retours entre la direction et le cabinet AKP Conseils avant d’être présenté sous sa forme définitive au conseil d’administration de Soliha du 8 août dernier.

Depuis plusieurs semaines, des extraits de cet audit, qui porte sur les années 2019, 2020 et 2021, ont fuité dans la presse, sur Freedom, et dans le défunt JIR. Nous avons également pu le consulter. Au-delà des discussions sur le bien fondé de certaines décisions, l’enquête du cabinet parisien relève « des actes illicites ». 

102 000€ de communication payés à une société inexistante

La lecture des échanges montre que la direction de Soliha a beaucoup insisté sur les termes pour faire la différence entre « illégal » et « illicite » : « Nous avons relevé des décisions de gestion, parfois discutables et portant atteinte à l’activité et a la réputation de l’association. Nous n’avons en effet pas relevé d’actes illégaux qui relèvent du pénal, en revanche certains actes sont illicites et relèvent du civil (ex : Contrat avec le prestataire Coindevel, non inscrit au greffe du tribunal de commerce…). » a fini par répondre le cabinet d’audit.

Extrait du rapport d’audit.

De quoi s’agit-il ? Les auditeurs ont relevé dans la comptabilité de Soliha des dépenses de communication particulièrement élevées : 102 000 € en trois ans (42 k€ en 2019, 25 k€ en 2020 et 35 k€ en 2021). Or l’association n’a pas besoin d’attirer directement des usagers puisque les dossiers de rénovation sont attribués par le biais du Département.

Surtout, le prestataire, Alix Coindevel Conseils, ne disposait pas de n° de SIRET. Ce qui est pourtant une obligation (légale ou licite ?) pour éviter les fraudes sociales et fiscales ; tant pour le payeur que pour le prestataire.

La société n’existait pas et l’adresse indiquée « ne semblait pas correspondre au bénéficiaire renseigné », lit-on dans le rapport d’audit. La direction de Soliha n’a pas trouvé le contrat des prestations en question. Mais elle a d’elle-même réagi. Fin 2021, Mickaël Sihou a envoyé deux courriers à Coindevel Conseils pour lui demander son n° de SIRET. Faute de réponse il a mis fin à ses prestations.

Cumul de métiers entre Soliha et la Cinor

Le détail des prestations de communication demeure très flou mais la présidente de Soliha, Viviane Ben Hamida, répond que « les prestations ont été réalisées par rapport à la commande ». Il s’agissait de «  promotion et de communication de la mutation de Pact Réunion vers Soliha, de promotion de l’amélioration de l’habitat, de la couverture des événements, de la gestion des réseaux sociaux, etc. ».

Il se trouve que le prestataire en communication est également fonctionnaire territorial à la Cinor. Ce qui implique qu’il ne pouvait engager de telles prestations en cumul de son emploi sans l’autorisation de son employeur. D’après les informations glanées auprès de la Cinor, il apparaît qu’Alix Coindevel a quitté le service communication. Il a été rappelé officiellement à ses obligations en avril 2024, soit après l’article paru sur le site de Freedom. Son autorité dit être en attente du retour des pièces justificatives pour statuer sur la suite à donner.

Quoi qu’il en soit, la société Alix Coindevel Conseils a désormais un n° de Siret, consultable sur les annuaires officiels. Reste une anomalie : elle a été créée le 8 mars 2024, soit deux semaines avant l’article de Freedom et plusieurs années après les prestations de 102 000€. 

Réaffectation contestable d’1,8M€ de dettes au Département

La légèreté avec laquelle ont été dépensés plus de 100 000€ et les tentatives de régularisation a posteriori incitent l’avocat de l’UR974, Me Jérôme Maillot, à compléter les plaintes déjà déposées. Ce marché de communication n’est pas le seul à avoir éveillé les soupçons et la colère des ex-grévistes.

Aussi l’avocat définit-il des faits relevés dans la plainte comme un possible « détournement de fonds publics par négligence ». Soliha est certes une association mais elle est financée par des fonds publics. Les collectivités concernées exercent-elles un contrôle suffisant de leurs dépenses ?

En plus, les comptes de Soliha montrent qu’elle n’a pas remboursé au Département 1,8M€ affectés à des dossiers d’amélioration de l’habitat qui n’ont pu être menés à terme pour diverses raisons à cause de la lenteur de traitement (changement de situation ou décès du bénéficiaire). Soliha a décidé de considérer une partie de ces dettes comme « prescrites » et de réaffecter ainsi des fonds dédiés au logement à d’autres destinations alors qu’il n’y a jamais eu d’accord établi sur la prescription de ces dettes. AKP signale d’ailleurs qu’il n’y a aucune certitude quant au fait que le Département ne réclame pas sa dette un jour.

Interrogée en qualité d’élue du Département, Viviane Ben Hamida répond que « le dossier est toujours en gestion par les services opérationnels et juridiques concernés ». Selon Me Maillot, l’absence de décision sur la récupération ou l’abandon de ses créances n’exonère pas la collectivité de responsabilité au cas où cet argent nourrisse des « actes illicites ».

Le rapport d’audit recommande quant à lui la saisine de la Cour des comptes « au regard de cette gestion hasardeuse ».

Franck Cellier

Un audit ciblé sur Mickaël Sihou

Le 8 août dernier, le conseil d’administration de Soliha a validé la communication aux salariés d’une synthèse de la présentation d’AKP Conseils. Ce qui permet à la direction de répondre point par point au multiples griefs relevés par le cabinet d’audit parisien qui a qualifié de « hasardeuse » la gestion de Soliha. Ce que cette synthèse oublie d’ailleurs de mentionner. Comme elle ne mentionne pas la recommandation de saisine de la Cour des Comptes.

Les membres du CA ont également pris connaissance du rapport de gestion 2023 qui affiche un déficit de l’activité de près d’1,3M€. Soit la quatrième année consécutive de déficit (- 1,3M€ en 2020, – 310 000€ en 2021 et – 580 000€ en 2022). Rien de bien rassurant pour une association qui se trouve en procédure d’alerte suite au signalement de son commissaire aux comptes.

Dans les principaux points soulevés par son audit, AKP estime que Mickaël Sihou, DG contesté par les grévistes, a une rémunération excessive : « 70% plus élevé que le salaire moyen de postes équivalents à La Réunion », selon AKP. La direction répond en comparant avec d’autres dirigeants de SPL.

Région Mickael Sihou Soliha
Mickaël Sihou est passé de la fonction de directeur général à celle de secrétaire général de Soliha.

AKP conteste le choix de Soliha de louer de nouveaux locaux au lieu d’en acquérir et calcule que la location des bureaux de la salle Candin à Saint-Denis coûte 78 000€ par an alors que des annuités pour l’acquisition de locaux équivalents s’élèveraient à 55 000€.

« Groupes d’influence »

AKP relève que Soliha a acheté pour 17 000€ de formation à la société Nilgriss présidée par Mickaël Sihou sans convention. La direction répond que le contrat avec Nilgriss formation était antérieur à l’embauche de M. Sihou. Mais celui-ci était déjà membre du CA à l’époque. L’audit évoque également des prestations de formation et des frais de restauration au profit de sociétés détenus par un autre cadre de Soliha.

La direction reproche à AKP d’avoir ciblé la personne de Mickaël Sihou sur plusieurs griefs : salaires, prime, conflit d’intérêt, nombre de mandats, taille de son bureau avec télé, appartenance à la loge franc-maçonne créole… « Il semblerait que le cabinet AKP a largement outrepassé le cadre de sa mission dans un objectif évident de mise en cause, a minima, du travail réalisé par l’ancien Directeur General et plus généralement de sa personne », déplore la réponse de Soliha.

Ce à quoi AKP répond pour se justifier : « Nous comprenons que notre question concernant l’appartenance ou non de M. Sihou à la loge franc-maçonne créole puisse vous interpeller. Le milieu associatif étant un environnement fortement politisé, à notre sens, le fait de faire partie de certains groupes d’influence a un impact plus ou moins direct sur l’orientation stratégique et sur la gestion de l’association ».

F.C.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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