[La Kour 420] Les mensonges sur la mort de Rico Carpaye

La Kour 240 journal multimédia de quartiers du Port

HISTOIRE DU PORT

Assassinat de Rico Carpaye… Ma lettre au préfet de l’époque. Raymond Lauret, 1er adjoint du maire du Port, Paul Vergès dans les années 1970 et 1980, ouvre ses archives pour nous replonger dans les coulisses de cette histoire douloureuse.

Rappel des faits : le 14 mars 1978, au Port, le jeune Rico Carpaye (17 ans) est laissé pour mort, écrasé et trainé par une voiture lors d’un défilé post-électoral. Le député Jean Fontaine (qui siégera plus tard dans les rangs de l’extrême-droite) accompagné du maire de Saint-Paul Paul Bénard entendaient parader dans les rues du Port. Cette provocation avait viré à l’affrontement

Dans sa lettre ouverte au préfet de La Réunion Bernard Landouzy, le 17 mars 1978, Raymond Lauret souligne la responsabilité — et les mensonges — de la préfecture quant à la gestion de ces événements.

Monsieur le Préfet,

Vous avez rendu publique «la chronologie des événements (du 14 mars dernier) établie par la préfecture ». Vous tentez de dégager votre responsabilité, en mentant purement ou par omission.

Vous affirmez que, dès mardi, vous saviez qu’un «cortège » devait quitter Saint-Paul dans l’après-midi pour se diriger vers Le Port, que vous aviez obtenu des précisions sur l’organisation et l’itinéraire du cortège ainsi que sur le déroulement des réunions.

Vous omettez de dire que vous ne vous êtes pas assuré que les pouvoirs municipaux étaient informés de cela et que vous n’avez pas cru nécessaire de le faire.

Vous savez, Monsieur le Préfet, qu’à 16 heures, les élus du Port ont appelé le commissariat de police alors qu’ils venaient d’être informés de ce qui se. préparait. Vous savez qu’alors je vous ai téléphoné. Ni vous, ni votre directeur de cabinet n’étaient disponibles. J’ai demandé à votre secrétaire que vous même ou monsieur Goudart me rappelle d’urgence. Quelques instants après, votre directeur de cabinet était en liaison téléphonique avec moi. Vous savez qu’il m’a déclaré qu’il n’entendait pas nier le pouvoir de police du maire et qu’il donnait aussitôt les ordres au commissaire de police et au commandant de Gendarmerie du Port pour que les termes de la réquisition que la mairie du Port allait prendre aussitôt soient exécutés.

Armés de sabres à canne, d’armes à feu

Par télégramme, je vous ai confirmé notre entretien, il était 16h30 environ.

Vous savez encore, Monsieur le Préfet, qu’aussitôt, deux lettres de réquisition ont été déposées au commissariat de police et à la brigade de Gendarmerie ordonnant la déviation du cortège par la RN1, à la hauteur du rond-point des Tétrapodes.

Vous savez, Monsieur le Préfet, et cela vous omettez de le dire dans votre relation chronologique des événements, qu’à 17h20, monsieur le commissaire de police du Port m’a téléphoné, qu’il m’a dit que vous veniez de l’appeler ; que vous l’aviez assuré – vous teniez ces assurances de monsieur le maire de Saint-Paul – qu’il ne s’agissait pas d’un immense cortège, mais simplement de quelques voitures – une vingtaine tout au plus – qui accompagnaient monsieur Fontaine qui venait remercier ses électeurs.

Il était 17h20. Le cortège devait arriver à 17h30. J’insistais auprès de monsieur le commissaire de police lui disant notamment que vingt voitures, cela représente déjà un cortège de plus de cent mètres et, qu’en tout cas, je ne me fiais pas à la parole de M. Bénard.

Dix minutes après, les 110 véhicules du cortège, bourrés de gens dont certains armés de sabres à canne, d’armes à feu, criant des slogans amplifiés par des haut-parleurs et précédés de deux agents motorisés de la force publique, étaient dans les rues du Port. Ordre avait donc bien été donné pour que la réquisition du maire ne soit pas exécutée.

Votre «chronologie des évènements» cache ces points essentiels qui établissent clairement les responsabilités.

Mieux, vous avez choisi des termes – «concertation », «aucun arrêté d’interdiction n’est pris…» – qui sont une déformation de la vérité. C’est faux, il n’y a pas eu de concertation. Il y a eu une opposition nette de la mairie à la tenue de ce défilé. Il y a eu un télégramme très net lui aussi de la mairie venant confirmer la conversation téléphonique que j’ai eue avec votre directeur de cabinet. Il y a eu deux lettres de réquisition.

Je vous accuse, Monsieur le Préfet

Mais je sais, Monsieur le Préfet, que derrière le fonctionnaire il y a un homme. L’homme que vous êtes ne peut pas ne pas être mal à l’aise. Les obligations de votre fonction ne peuvent pas supprimer la certitude que l’homme que vous êtes a de la responsabilité du préfet de La Réunion.

Je crois, Monsieur le Préfet, que vous avez eu la faiblesse de vous fier à la parole des organisateurs de la provocation. C’est vrai, ils sont protégés, impunis, arrogants, très puissants. Mais fallait-il malgré tout leur céder ?

Vous avez par ailleurs choisi, Monsieur le Préfet, la thèse du guet-apens. D’autres ne vous ont pas attendu pour le faire. Les mêmes mensonges qu’ils ont employés apparaissent dans votre «chronologie des évènements ». Qui donc renseigne qui dans ce pays ?

Vous trouverez – c’est si facile – vingt témoins pour dire qu’un jet de galets a accueilli le cortège de M. Fontaine. Vous savez que des nervis du maire de Saint-Paul sont descendus de leurs véhicules, sabres à canne ou galets en main, ont lapidé des maisons, poursuivi et frappé les gens qui étaient sur le bord de la route et qui avaient commis le crime de répondre «vive Vergès » aux «vives Fontaine» que diffusaient les haut-parleurs du cortège.

Vous savez qu’aucun guet-apens n’a été monté et qu’une population agressée s’est défendue. Vous savez aussi que la suite des évènements entre dans la logique des intentions des organisateurs de l’expédition punitive camouflée en réunion de remerciements. Ce sur quoi nous avions attiré votre attention..

Je vous accuse, Monsieur le Préfet, de déformer les faits, de publier une «chronologie des évènements» que vous savez fausse, de cacher à l’opinion ce qui montre votre responsabilité.

Et je rendrai cette lettre publique.

Sans doute aurai-je droit à vos juges et à votre police.

J’ai obéi à ma conscience.

Qu’ils obéissent à vos ordres.

Raymond Lauret

PS : Raymond Lauret raconte quelle fut la réaction du préfet : En décembre , le président de la CCI invite la mairie du Port à un déjeuner de fin d’année dans un hôtel de Boucan-Canot à Saint-Paul. A 12h10, le préfet arrive. Il salue chaque personne présente, en commençant par l’autre bout. Quand il arrive devant moi, il me prend la main et la serre chaleureusement et me glisse à l’oreille: « Je comprends parfaitement la réaction  que vous avez eue en mars dernier et votre lettre…Vous avez eu raison… » J’en ai déduit que ce préfet avait dû subir, peut-être à son insu, les comportements de certains de ses collaborateurs…

A propos de l'auteur

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la kour 420 est le webmagazine des quartiers du Port réalisé par des reporters-citoyens portois.

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