[Plages à vendre] « Oui » de Saint-Paul et « non » de la Région

DÉCLASSEMENT ET VENTE DU DOMAINE PUBLIC MARITIME

Plus complexe qu’elle n’en a l’air, la vente de la plage à l’hôtel Lux révèle deux discours opposés : la Région dénonce la cession à bas prix du patrimoine réunionnais à des intérêts étrangers. La commune de Saint-Paul favorise la procédure pour pérenniser les emplois et l’activité touristique.

Hotel Le Lux DPM L'Ermitage la Saline les bains
Hotel Le Lux.

Le ciel s’est assombri entre les îles Soeurs depuis que la Région Réunion s’élève contre la vente du domaine public maritime (DPM) au groupe mauricien Ireland Blyth Limited qui détient l’hôtel Lux à Saint-Gilles (mais aussi Run Market et Edena). Les élus ont défendu dans une motion le « patriotisme économique réunionnais » contre lequel se dresserait l’Etat, accusé de « brader La Réunion ». Huguette Bello a annoncé sur Réunion la 1ere que le prix de vente du terrain pied dans l’eau s’élèverait à 28  M€ pour 7 ha. « Cela revient à 400€/m2 quand les prix sont déjà à 1000€/m2 à Plateau-Caillou ». La motion adoptée en commission permanente l’autorise à intenter un recours contre la procédure de cession du DPM.

Région Réunion Huguette Bello
La motion adoptée en commission permanente autorise la présidente de la Région à intenter un recours contre la procédure de cession du DPM.

En remontant le film, il apparaît que ce « patriotisme économique » n’était pas de mise lors de l’examen du projet de vente des pas géométriques aux hôtels saint-gillois. Au contraire, la commune de Saint-Paul a complètement validé la procédure en renonçant à son droit de préemption sur les terrains du DPM que l’Etat destine au Lux, mais aussi au Boucan Canot.

Lors de la commission de 50 pas géométriques qui a validé le projet de déclassement du DPM puis de sa vente aux exploitants des hôtels, Irchad Omarjee, délégué à la gestion économique du territoire communal a pris le parti de l’hôtelier mauricien.

Irchad Omarjee, délégué à la gestion économique du territoire communal de Saint-Paul : « Soit on lui vend le terrain, soit c’est la fin du Lux. Le choix est vite fait. »

« J’ai émis un avis favorable parce que le Lux est exploité depuis de longues années et nous avons besoin de pérenniser les emplois de l’activité touristique. Dieu sait combien il manque d’hôtels dans l’Ouest. Le Lux a besoin de faire des investissements or son bail arrive à échéance en 2031. Soit on lui vend le terrain, soit c’est la fin du Lux. Le choix est vite fait. », affirme l’élu saint-paulois.

Le patriotisme économique de la dernière heure

Il précise que « l’avis défavorable de la Région n’était pas lié aux raisons qui figurent dans la motion, son représentant n’a jamais évoqué le patriotisme économique le jour de la commission ». 

Ludovic Robert, directeur régional des finances publiques, en charge de la vente du patrimoine de l’Etat, précise lui aussi que les réserves du représentant de la Région portaient sur la protection de l’environnement et du DPM et non sur la défense du « patriotisme économique ». Il se garde bien d’émettre un jugement sur la motion régionale mais il s’emploie à défendre l’option de la vente des pas géométriques aux hôteliers.

Premier argument : La vocation du terrain en question est inscrite dans les documents d’urbanisme pour promouvoir l’activité hôtelière.

Deuxièmement : Les activités touristiques du Lux (et du Boucan Canot) sont installées depuis une cinquantaine d’années.

Troisièmement : Le Lux a besoin de maîtriser son foncier au-delà de l’échéance de son bail emphytéotique afin de moderniser l’hôtel pour rester compétitif, attractif.

Enfin : La loi littoral votée en 1986 interdirait, selon le DRFIP, tout renouvellement et toute concession d’un bail emphytéotique ou non sur le DPM. Ce que ne manquent pas de contester les défenseurs de l’environnement rappelant que l’esprit de la loi littoral est de protéger les espaces naturels côtiers contre le bétonnage.

Logique économique contre lecture politique

« L’exploitant du Lux a fait ses preuves, il emploie 200 personnes et fait vivre un millier de Réunionnais, remarque Ludovic Robert. Si on dit non à la demande du Lux de maîtriser son foncier, on aura un hôtel qui se dégradera. Il y aura moins de fréquentation et moins d’employés. Et en 2031, l’Etat récupérera un hôtel dégradé qu’il n’a pas vocation à gérer. Le risque, si on ne vend pas, c’est 200 familles au chômage et une nouvelle verrue comme l’Ex-Maharani à côté du Boucan Canot. »

Le haut fonctionnaire confirme le montant de la vente annoncé par Huguette Bello. Mais il assure que « l’Etat n’a pas bradé le terrain ». Pendant un délai, qui reste à négocier, l’acquéreur devra verser sa plus-value à l’Etat au cas où il revendrait le terrain à un tiers. Le prix a été fixé suite à une double expertise par un cabinet privé et les fonctionnaires sous l’autorité de Bercy (ministère des Finances). Leur calcul prend en compte les prix du marché mais aussi les constructions réalisées par le locataire et ses prévisions économiques. Comme quand un bailleur social accorde une priorité à son locataire pour lui vendre son logement…

Sauf que le groupe mauricien IBL, actionnaire du Lux, ne relève pas vraiment des minima sociaux… Et les logiques économiques auxquelles ont adhéré l’Etat et la commune de Saint-Paul se confrontent aujourd’hui à une « lecture politique » de la Région qui a bien compris l’aspect hautement sensible de l’avenir du Domaine public maritime.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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