INTERVIEW DE JOCELYN CAVILLOT DE L’OBSERVATOIRE DES PRIX, DES MARGES ET DES REVENUS
L’écart de prix entre l’Hexagone et La Réunion est de 37%. Il a augmenté de moitié en 12 ans. On sait qui en souffre. Mais qui s’en met plein les poches ? Jocelyn Cavillot nous livre le résultat des enquêtes de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus dont il est le vice-président. Le constat demeure pessimiste face à des acteurs économiques de plus en plus puissants pour imposer leur loi.
Jocelyn Cavillot, vice-président de l’observatoire des prix, des marges et des revenus, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis toujours inspecteur des finances publiques ainsi que responsable syndical au sein de Solidaires Finances publiques. Et je m’investis dans l’Observatoire des prix pour l’intérêt général d’un territoire marqué par un fort taux de chômage, des rémunérations plutôt faibles par rapport à l’Hexagone et des prix problématiques. Cet observatoire existe depuis 1997 mais il n’a pris de l’ampleur à La Réunion qu’à la suite du grand mouvement contre la vie chère aux Antilles et à La Réunion mené par le LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon) et le Cospar en 2009.
Qu’est ce qui vous a motivé à vous intéresser à la constitution des prix à La Réunion ?
Nous avons toujours dit : justice sociale = justice fiscale. Je voulais agir au-delà de la fiscalité. Je ne veux pas pointer de secteurs en particulier mais apporter un regard un peu plus complet sur notre modèle économique particulier. Il faut intégrer les intérêts des acteurs économiques, des consommateurs ainsi que des pouvoirs publics. Certaines politiques publiques ne profitent qu’aux acteurs économiques sans avoir de répercussions sur le pouvoir d’achat.
En 2009, La Réunion a embrayé sur les Antilles à propos de cette question de la vie chère, ce qui a provoqué le vaste mouvement du Cospar. L’histoire est-elle en train de se répéter ?
Si on ne fait rien, l’histoire se répète. On est toujours dans la même problématique de la vie chère et de l’inflation. Il y a eu les Gilets jaunes, il y a eu le Covid qui a fait monter les prix et ils ne sont pas redescendus. Les salaires n’ont pas augmenté au niveau de l’inflation. Et à La Réunion, beaucoup de personnes n’ont pas de revenus du tout à part les minima sociaux. L’écart a continué à se creuser.
L’impact fiscal plus faible à La Réunion
Parlons chiffres, qu’en est-il aujourd’hui de l’écart des prix entre La Réunion et l’Hexagone ?
Selon l’Insee, sur l’alimentaire, qui est la base la plus importante pour les plus pauvres, l’écart est estimé à 37% plus cher à La Réunion par rapport à l’Hexagone. En 2010, la même étude montrait un écart de 24%. En une douzaine d’années, l’écart a augmenté de 50%. En plus les revenus sont en moyenne de 20% à 30% inférieurs.
Les sans-emplois sont les plus affectés par la vie chère. Et pour avoir un emploi à La Réunion, bien souvent il faut avoir une voiture sur laquelle les écarts de prix sont aussi particulièrement importants. Quelle analyse portez-vous sur ce marché en particulier ?
C’est la mobilité en général qui pose problème. C’est le premier poste de dépense des ménages. Admettons qu’il y ait le prix de la voiture, de son transport, de son octroi de mer, est-ce que ça justifie des surcoûts de 30% à 50% ? En plus il y a un déficit manifeste du transport collectif. Le « tout voiture » et ses besoins en travaux routiers cannibalisent les moyens des politiques publiques sur les transports.
Quelle est la cause de cet écart : l’octroi de mer ?
C’est un impôt qui taxe nos importations c’est-à-dire 75% à 80% de ce que nous consommons. En moyenne son taux est de 7,5% du prix d’arrivée au port CAF (Coût + assurance + fret). Mais il y a 18 taux différents de 0 à 63%. On a comparé les rendements de l’octroi de mer et de la TVA. La TVA rapporte en moyenne 750 million d’euros soit 2,5% des chiffres d’affaires déclarés. Et, sur la même base, l’octroi de mer perçu nous amène à un taux de 2,4%. Sur la grande partie des produits alimentaires, l’impact fiscal est beaucoup plus faible à La Réunion que dans l’Hexagone.
En fait, le problème, c’est surtout l’opacité de l’octroi de mer. Les acteurs économiques accusent l’octroi de mer pour dire que leurs marges ne sont pas responsables d’un tel écart. Allons rendre le dispositif transparent pour que le consommateur voie clairement le montant de l’octroi de mer sur sa facture.
Il faut scinder les deux missions de l’octroi de mer : le financement des collectivités et la protection de la production locale. Mettons en place une taxe régionale qui a pour vocation le financement des collectivités publiques. Et maintenons l’octroi de mer sur les seuls produits importés qui sont en concurrence avec la production locale.
Proposition d’une taxe régionale
Mettre une taxe régionale sur les produits sera impopulaire.
Mais ce ne sera pas une taxe en plus. Elle remplacera l’octroi de mer sur les voitures par exemple. D’après nos évaluations, la pression fiscale devrait même baisser en restant sur le même objectif de rendement global de 2,4%. C’est la proposition que nous ferons lors de la plénière du 4 octobre.
Pouvez-vous nous aider à y voir un peu plus claire entre les surcoûts raisonnables comme le fret et ces fameuses marges des opérateurs économiques ?
C’est l’essence de nos travaux sur la transparence. Notamment dans la grande distribution. On ne nous dit pas toute la réalité des choses. Entre le producteur — qui se trouve généralement en Europe — et le consommateur réunionnais, il y a 14 intermédiaires, 14 étapes : services, importateurs, distributeurs, transporteurs, acconiers,. Contre seulement 4 intermédiaires pour le consommateur de l’Hexagone.
Et nous sommes dans un système d’oligopoles avec des prix qui suivent une courbe d’opportunité et non pas une courbe de coûts réels. Il n’y a pas de réelle concurrence.
Dans toute cette complexité, il nous faut démêler les fils pour voir qui prend quoi. On a des acteurs qui ont intégré la filière de manière complète verticale, d’autres de manière horizontale et d’autres de manières verticale et horizontale.
Mais vous êtes impuissants. On vous oppose le secret des affaires.
On a acquis une certaine crédibilité et on a la loi de régulation économique de 2012. Mais, oui, la loi sur le secret des affaires permet aux acteurs économiques de ne pas parler de leurs marges. Mais on voit bien que nous n’avons pas un marché de taille suffisante pour que le jeu de la libre concurrence fonctionne. Des acteurs économiques en position de force appliquent les marges qu’ils veulent.
Sur le marché de la grande distribution nous sommes dans un duopole assumé. Deux acteurs tiennent 60% à 65% du marché et en ajoutant un troisième ils sont à 80% du marché. C’est toujours en pleine mutation.
Face à ces faits qui sont têtus, notre groupe de travail veut faire la transparence pour tirer les sonnettes d’alarme dans tous les secteurs concernés : la grande distribution, les importateurs, les transporteurs…
« Le consommateur ne peut que crier »
Le bouclier qualité prix n’était-il pas censé préserver le pouvoir d’achat des consommateurs réunionnais ?
Ce bouclier a été un outil pertinent. Ce sont 153 produits qui couvrent les besoins élémentaires des ménages. Ce n’est pas satisfaisant, il manque entre 20 et 30 produits selon nous. Mais c’est utile pour les consommateurs, encore faut-il que les distributeurs exposent les produits du BQP comme leurs produits de marque et ne les cachent pas au fond des rayons.
Existe-t-il une mesure forte pour réduire les écarts de prix entre l’Hexagone et La Réunion ?
Il faudrait déjà demander aux acteurs économiques d’être raisonnables et agir sur le coût des transports. Mais quand on réduit les coûts, avons-nous la garantie que les acteurs économiques le répercutent ou en profitent pour augmenter leurs marges ?
Donc il faudrait pouvoir contrôler les marges.
Bien sûr. Il faut mettre en place l’outil. On a bien vu ce que la baisse de la TVA a provoqué dans la restauration. Ça refroidit l’idée des chèques en blanc. Les acteurs économiques ont démontré qu’ils n’étaient pas aussi sérieux qu’ils le prétendent.
Dans nos territoires, sans régulation, la concurrence ne peut pas fonctionner. Il y a toujours un acteur qui domine. C’est le cas dans le transport aérien où il y a un acteur dominant qui donne le la et l’autre qui est obligé de suivre. L’exemple des carburants est un bon modèle qui associe régulation et liberté commerciale.
Hélas, aujourd’hui les acteurs économiques dictent leur loi au pouvoir public et le consommateur ne peut que crier sans avoir de levier pour agir.
Ça doit vous mettre en colère ?
J’ai moins de colère avec le temps. C’est en démontrant comment fonctionne ce système par des études incontestables que l’ont peut ouvrir les discussions et faire avancer les choses.
Entretien : Franck Cellier
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