LIBRE EXPRESSION / Raymond Lauret ouvre ses archives pour La kour 420
Mes camarades de l’Alliance m’avaient demandé de prendre la parole pour dire ce qui m’aura marqué, moi qui fus l’un de ses adjoints, tout au long des trois mandats de maire que Paul Vergès exerça au Port de 1971 à 1989.
Quand nous sommes élus en mars 1971, le premier geste du nouveau maire du Port est d’inviter la population et l’ensemble des responsables politiques et sociaux de la cité maritime à bien mesurer le poids de la misère qui est le quotidien de ceux et celles qui habitent le bidonville du Cœur Saignant. L’urgence était criante : il s’ensuivra chaque jour un service de livraison par camion citerne d’eau potable là où le « charoyage par fer-blanc » était la corvée avant d’aller à l’école. Il s’ensuivit également pour tous les enfants des écoles maternelles et primaires de la commune l’instauration d’un petit déjeuner : un verre de lait et du pain au chocolat avant d’entrer en classe. Quelques mois plus tard, ce sera la décision de la gratuité de la cantine pour les enfants dont les parents relèvent des minima sociaux. Et, en toute logique, s’inscrivit dans une délibération municipale qui fera date un plan d’aménagement urbain dont le droit au logement pour les plus pauvres en sera le point fort.
C’est ainsi que démarrera l’énorme programme d’habitat réalisé année après année avec le souci d’une mixité sociale affirmée. Un programme rendu possible par une politique volontariste et soutenue d’acquisition de tout foncier (et il y en avait !) qui n’était pas utilement occupé. Un programme qui permit à de nombreuses entreprises du BTP de se structurer et d’offrir du travail à des milliers de personnes de la région. Un programme qui amena la ville évidemment à se doter de zones industrielles conséquentes.
Une cité dans ce qui s’appelait au départ « la Plaine des Galets » n’aurait pas été vivable si une politique, énorme elle aussi, de plantation n’était pas parallèlement mise en œuvre. On créa donc (une première dans l’île) une pépinière municipale et cela donna des rues et avenues ombragées, un Parc boisé bien plus vaste que le Jardin de l’Etat avec un imposant plan d’eau, le tout au centre géographique de la Commune, toute une ceinture boisée dont on peut aujourd’hui mesurer les belles vertus. Il me plaît de dire ici qu’en 1979, avec les enfants des écoles, collèges et lycées de la ville, avec les employés d’un grand nombre d’entreprises, nous mîmes en terre plus de 150.000 arbres en une mémorable « semaine de la nature ».
La ville se densifiant, l’idée s’imposa qu’il fallait autant d’écoles primaires et maternelles qu’il y avait de gros quartiers. On s’y mit. Et, ma foi, le résultat ne fut pas si mal que çà.
Je n’insisterais pas sur la création d’un Office Municipal du Sport par lequel la ville confiait aux citoyens la responsabilité de définir la meilleure des politiques sportives possible pour les administrés et leur donnait les moyens de réaliser cette politique, le tout dans une relation de totale indépendance avec les élus municipaux . Là encore, c’était innovant car cela permit, par exemple, à des hommes de grande valeur, Albert Mourvaye pour n’en citer qu’un seul, d’exprimer leurs immenses qualités et leur sens du devoir au service du public.
Je passerai vite sur cette marche des chômeurs du Port à Saint-Denis , le Curé de la Paroisse et le Maire en tête pour porter jusqu’à tel ou tel Ministre de passage dans l’île le message de détresse des plus nécessiteux. Je n’insisterai pas non plus sur les repas qui, en fin d’année, réunissaient, tel jour les travailleurs portuaires, tel autre les personnes âgées de la commune, moments vrais de communion entre un Maire et sa population. Et je ne ferais que citer la mise en marche de l’intercommunalité, audace jugée d’abord insolente ou ridicule et puis politiquement dangereuse par le pouvoir de l’époque, mais qui fera son chemin jusqu’au résultat actuel : des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale partout dans l’île et pour toutes les communes réunionnaises, qu’elles soient de droite, qu’elles soient du centre, qu’elles soient de gauche.
Et puis, comment, même en deux petits mots, ne pas se souvenir avec notamment Alain Séraphine et aussi l’ami Claude Berlie-Caillat, de « Village Titan » et de « l’Atelier portois » , prémisses d’une Ecole des Beaux Arts construite juste en face de la magnifique Médiathèque Benoîte Boulard !
Je voudrais maintenant m’attarder un peu plus sur deux points forts d’une réalité qui, en terme d’organisation spatiale dans notre île, ne se vérifie qu’au Port. Il y a tout d’abord cette idée d’une zone cultuelle en plein cœur de ZUP, dans un parc unique où toutes les religions qui le voudraient pourraient y avoir un lieu de culte. Mine de rien, Paul Vergès nous forçait ainsi à nous approprier notre part de devoir vis à vis d’une donnée de l’Histoire de notre peuple, celle d’une population qui, de génération en génération, vit pleinement sa pluralité religieuse. Il est remarquable que ce soit un homme politique qui se dit agnostique qui, le premier et à ce jour le seul dans notre île, a choisi d’inviter plusieurs religions à ne pas craindre de s’installer les unes à côté des autres et à faire le pari qu’elles sauront vivre cette « cohabitation », seulement séparées par de bien symboliques haies végétales. Est-ce seulement parce qu’il porte un profond respect à ceux d’entre nous qui sont croyants ?
Raymond Lauret
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.