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[Grand-Anse] Les scientifiques disent non

COURRIER AU PRÉFET 

Dix-huit scientifiques spécialistes des récifs coralliens et de l’érosion côtière ont cosigné un courrier remis au préfet pour dénoncer le projet d’agrandissement du bassin de Grand-Anse et de contester l’acceptation juridique du-dit projet vis-à-vis du Code de l’Urbanisme.

Dix-huit scientifiques, tout ce que La Réunion compte de spécialistes en corail et en érosion littorale, s’élèvent contre le projet d’agrandissement du bassin de baignade de Grand-Anse. D’ordinaire discrets et mesurés, ces personnalités ont remis au préfet un courrier qui dit leur mécontentement, notamment quand le maire de Petite-Île affirme que la communauté scientifique ne voit rien à redire au projet. 

Grand-Anse Petite-Ile vue aérienne bassin de baignade
A Grand-Anse Petite-Ile l’agrandissement du bassin de baignade pourrait mettre en péril le récif corallien.

« Ce manque d’éléments probants ne permettrait pas l’acceptation juridique d’un tel projet au vu du statut de Grand-Anse et de son bassin, classé comme espace naturel remarquable du littoral. Le site étant protégé de tout aménagement par le Code de l’Urbanisme, les dérogations à ce code imposent, entre autre, de prouver que l’aménagement ne porte pas atteinte à la préservation des milieux, disent-ils dans leur communiqué envoyé aux rédactions. Or, aucunes des multiples études n’est en mesure de le démontrer. » Voilà qui est clair et, si l’aménagement de l’actuel bassin n’a pas provoqué de catastrophe écologique, rien ne dit qu’un agrandissement de celui-ci aura les mêmes effets, bien au contraire. « Dans un tel contexte, le principe de précaution, inscrit dans l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004, devrait être appliqué. Une procédure juridique devrait être engagée au Tribunal Administratif pour juger de la cohérence du projet au vu du cadre réglementaire en vigueur », précisent les auteurs du courrier au préfet.

« Pour qu’une déclaration d’utilité publique (DUP) soit conforme à la règlementation en vigueur, il est impératif que le projet d’aménagement et le dossier d’enquête démontrent clairement qu’aucun préjudice ne sera causé à la préservation des milieux naturels », souligne le courrier. Manifestement, pour les dix-huit signataires, ce n’est pas le cas. 

Aucune étude n’est présentée

Dans le dossier de concertation publique, la commune de Petite-Île souligne, pour justifier de nouveaux enrochements, que « les relevés réalisés fin 2018 font état d’une tendance à la diminution de la biodiversité par rapport à de précédents relevés effectués en 2004. Cause possible ? La destructuration progressive de la protection. Il est donc nécessaire de renforcer les enrochements ». Plus loin, « La consolidation de la protection doit également permettre de préserver les colonies coralliennes présentes dans le bassin ». Cependant, « aucune étude n’est présentée pour détailler cette hypothèse », regrettent les scientifiques. Qui évoquent d’autres hypothèses possibles comme « le dérèglement climatique, l’impact du bassin versant artificialisé, les différentes pratiques des usagers dans le bassin ou encore l’accroissement de sa fréquentation ».

Mais ce n’est pas tout. Si le récif corallien le moins abimé de l’île pourrait souffrir des travaux, la santé des baigneurs pourrait aussi être mise en péril. Ainsi, l’ARS (Agence régionale de santé) « a donné un avis sanitaire réservé en argumentant que le renouvellement des eaux dans le bassin de baignade agrandi n’assurerait pas une eau de bonne qualité pour la baignade ». Qu’à cela ne tienne, la mairie de Petite-Île assure que ce seront en 12 heures et non plus en 24 heures que l’eau du bassin sera renouvelée. « Il semble essentiel de savoir quels paramètres ont ainsi été adaptés pour obtenir cette réduction », s’inquiètent les dix-huit scientifiques. 

Erosion

Par ailleurs, la plage de Grand-Anse subit une érosion marquée. « La construction du bassin en 1985 a aggravé cette situation en privant la section sud de la plage d’une partie de son réservoir sédimentaire (…) L’agrandissement du bassin devrait accentuer le déficit sédimentaire de la plage en isolant davantage celle-ci de sa source principale de sédiments », pointe le groupement d’universitaires. 

Enfin, le projet ne prévoit pas de dérogation espèce protégée. Notamment pour ce qui concerne les tortues marines. Pourtant, « la dernière observation de ponte de tortues marines date de 1999, il y a 25 ans ». La descendance de ces tortues, devenues adultes, devrait revenir bientôt pour pondre sur cette même plage. « Or, avec l’extension du bassin, c’est plus d’un tiers de la frange littorale qui sera physiquement inaccessible », relèvent les biologistes. 

Philippe Nanpon

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.

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