🔎
Aurar dialyse du rein santé

[Pollution] Quand les pesticides attaquent les reins des planteurs

THÈSE SUR LA CINAC MALADIE RÉNALE CHRONIQUE DU PLANTEUR À LA RÉUNION

31 dialysés réunionnais ont été diagnostiqués en 2020 comme pouvant souffrir d’une maladie rénale provoquée par l’exposition aux pesticides, glyphosate et paraquat en tête. La thèse de la néphrologue Juliette Belanger décrit pour la première fois cette affection identifiée dans les années 1980 au Sri-Lanka et en Amérique du Sud.

Agriculture canne à sucre pesticide engrais
Les pesticides utilisés dans les champs de cannes sont suspectés d’avoir provoqués des affections rénales graves chez les planteurs.

Les pesticides utilisés en agriculture ont-ils des conséquences sur la santé des planteurs réunionnais ? Et de la population en général ? Cette question se pose après que le Cirad a confirmé la présence des pesticides agricoles dans les eaux situées en aval des plantations comme révélé dans notre édition du 15 octobre.

La réponse semble évidente. Le ministère de la Santé affiche les « liens entre l’exposition aux pesticides et le risque d’apparition de pathologies cancéreuses, neurologiques ou encore de troubles de la reproduction, en particulier en milieu professionnel. » Mais… le débat n’est pas clos quant à la quantification du risque. Le lien de cause à effet ne serait pas établi… Il faudrait prendre en compte toutes les autres expositions (médicaments, alcool, tabac, rayonnements ultraviolets, etc.) pour affirmer qu’un pesticide serait directement responsable d’une maladie…

Cette zone d’incertitude permet en tout cas aux lobbies de l’agrochimie de continuer à commercialiser des produits potentiellement néfastes pour la santé. La prolongation de l’autorisation pour l’utilisation du glyphosate (Roundup) en est l’exemple le plus flagrant.

La Cinac, une maladie identifiée dans les années 1980

Heureusement la connaissance progresse. Ici, la néphrologue Juliette Belanger a contribué, à son échelle, à faire bouger les lignes avec la publication en 2020 de sa thèse sur une maladie jamais observée auparavant à La Réunion : la « Cinac ». Derrière cet acronyme, se cache une maladie rénale provoquée par l’exposition des planteurs aux pesticides. Elle a été identifiée sous le nom de Chronic Interstitial Nephritis in Agricultural Communities (Cinac), en français néphrite tubulo-interstitielle chronique dans les communautés agricoles. Cette maladie a été repérée dans les années 1980 chez les riziculteurs du Sri-Lanka et les planteurs de cannes à sucre du Salvador.

Juliette Belanger, néphrologue à l'Aurar
Juliette Belanger, néphrologue à l’Aurar.

Sous la supervision du professeur belge, Marc DeBroe, spécialiste des Cinac dans le monde, Juliette Belanger, alors interne à La Réunion depuis 2015, s’est penchée sur le cas des agriculteurs dialysés. Elle a recensé 1725 dialysés en avril 2020. 983 ont été screenés. Elle a resserré son panel sur 36 d’entre eux, agriculteurs et anciens agriculteurs. L’origine de leur maladie rénale restait indéterminée. Ils ne souffraient pas de diabète, d’hypertension artérielle, de maladie génétiques ou auto-immunes. On pouvait les considérer comme ayant été intoxiqués.

Elle les a questionnés sur les pesticides qu’ils utilisaient, la durée et la fréquence de leur exposition. Elle a ainsi pu mettre en évidence 31 cas dont la pathologie correspondait aux cas de Cinac décrits dans la littérature médicale. Ceux-ci ignoraient l’origine de leurs maux alors que la néphrologue se référait aux informations biologiques, à l’imagerie médicale, à la relative jeunesse du patient, à ses analyses d’urine et à l’évolution rapide et grave de la néphrite pour suspecter les pesticides. 

La suspicion sur les pesticides se précise

Dans son enquête, Juliette Belanger a identifié le glyphosate, le paraquat, chez 90% des patients puis le 2.4D. Elle évoque également les insecticides comme la deltaméthrine. « C’est la première étude qui a décrit la présence de Cinac à La Réunion, souligne-t-elle. Elle a mis en lumière les pesticides utilisés et leur mode d’utilisation, des pulvérisateurs sur le dos, sans protection. »

Depuis la publication de sa thèse, Juliette Belanger poursuit son travail au sein de l’Aurar dans l’Ouest. Elle sait reconnaître les cas suspects et renforce le faisceau de preuves de la présence du Cinac sur l’île grâce aux biopsies pratiquées sur les malades avant que l’affection ne s’aggrave. Elle confronte ses diagnostics avec les travaux de ses confrères.

À La Réunion, la forte prévalence du diabète pourrait masquer la place de la Cinac dans les maladies rénales. Mais elle n’innocente pas les pesticides. Une étude de l’Institut national de recherche pour l’agriculture et l’environnement (Inrae) sur les rats a même démontré que l’exposition des rats à un cocktail de six pesticides favorisait le diabète de type 2…

Pesticides détectés dans les fruits et dans l’eau

Le monde agricole ne semble pas prendre la dangerosité des pesticides très au sérieux. Il tarde en tout cas à répondre à nos sollicitations depuis la parution de notre article sur la pollution chronique des eaux de Petite-Ile. Le docteur Belanger regrette pour sa part que les formations sur les bons gestes à adopter s’adressent aux chefs d’exploitation mais pas forcément aux employés qui pratiquent les épandages.

Elle déplore également le manque de données sur la présence de pesticides dans l’alimentation. Pour sa thèse elle s’était référée aux seuls chiffres des exportations. Ils ne sont pas glorieux pour les ananas et les agrumes. Les ananas, dont 46% viennent de La Réunion sont les fruits pour lesquels on trouve le plus de dépassement des limites maximales de pesticides : 66% des échantillons analysés contenaient des résidus de pesticides et 9,6% dépassaient les limites maximales (source : Générations Futures d’après les données de la DGCCRF). Pour les oranges (43% en provenance de La Réunion), 81% des échantillons contenaient des résidus de pesticides et 3,6% dépassaient les limites. « On peut donc imaginer, d’après ces chiffres, que la présence de pesticides dans les aliments produits et consommés à La Réunion n’est pas négligeable », lit-on dans la thèse.

Pesticides retrouvés dans les ananas. (Source : Etat des lieux des résidus et pesticides dans les fruits et légumes en France, Générations futures)
Pesticides retrouvés dans les ananas. (Source : Etat des lieux des résidus de pesticides dans les fruits et légumes en France, Générations futures)

Sans parler de la contamination des eaux dont les contrôles réalisés en 2018 mettaient en évidence la présence de résidus de pesticides sur 27% des captages.

En fait, la thèse du docteur Belanger, en plus de signaler la présence d’une maladie du rein due aux pesticides chez les planteurs qui les ont manipulés, pose la question du risque plus général pour l’ensemble de la population. « Il est établi que la Cinac se retrouve également chez les femmes et les enfants des agriculteurs », relève la néphrologue. Reste à poursuivre les recherches sur l’utilisation des pesticides et leurs conséquences sur l’environnement et la santé.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

Ajouter un commentaire

⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation.

Parallèle Sud

GRATUIT
VOIR