Jacques Navon, psychologue clinicien Kaz' Oté addictologue addictions toxicomanies

[Stupéfiants] « On ne fait pas la guerre à la drogue, on fait la guerre aux drogués »

TESTS SALIVAIRES

Avec les tests salivaires, on peut être contrôlé positif au cannabis très longtemps après avoir consommé, et même en ayant fumé du CBD. Jacques Navon, psychologue clinicien spécialiste des addictions, nous dit ce qu’il en pense.

Police et gendarmerie, dans le cadre leurs missions de sécurité routière, contrôlent à toute heure du jour ou de la nuit le taux d’alcoolémie des automobilistes. Et depuis quelque temps, la consommation des drogues illégales au volant. Tant mieux, il est inconcevable que la route puisse être empruntée par des conducteurs sous effet de substances psychotropes, qui ne soient pas en pleine possession de leurs moyens et de leurs capacités à conduire.

Pour autant, à lire les comptes rendus des interventions, on s’interroge sur le nombre inquiétant de conducteurs sous l’emprise de produits stupéfiants. Parfois deux fois plus que d’automobilistes alcoolisés. Nous avons interrogé Jacques Navon, psychologue clinicien à la Kaz Oté (*) sur ce phénomène.

Jacques Navon, comment expliquer que, lors d’un contrôle en pleine journée, deux fois plus d’automobilistes sont contrôlés positifs aux stupéfiants que ceux en état d’alcoolémie ?

J’ai tendance à penser que les gendarmes sont des gens honnêtes. C’est vrai que ce genre de constats peut surprendre. Effectivement, les tests pour l’alcool et ceux pour les stupéfiants sont deux tests différents. Est-ce que ces tests sont ciblés ? est-ce que les deux tests sont systématiquement réalisés ? est-ce qu’on a fait ce contrôle sur des jeunes au retour de la plage ? 

On ne connait pas le nombre de consommateurs de stupéfiants illégaux. Dans votre expérience professionnelle, les consommateurs de cannabis ou de cocaïne sont en quelle proportion par rapport aux buveurs ?

Par définition, on n’a pas de statistiques sur le nombre de consommateurs de produits illicites. Mais chez nous à la Kaz’ Oté, centre de soins en addictologie, nos patients les plus nombreux viennent pour des problèmes d’alcoolisme, et pas très loin derrière pour la consommation de cannabis. En troisième position vient le tabagisme. Mais nous ne recevons que les consommateurs à qui l’addiction pose problème, et ceux qui nous sont adressés par la justice. Pour autant, en France, on estime à quatre millions le nombre de consommateurs réguliers de cannabis, régulier veut dire au moins deux fois par semaine.

Jacques Navon, psychologue clinicien Kaz' Oté addictologue addictions toxicomanies
Jacques Navon, psychologue clinicien à la Kaz’ Oté.

Que pensez-vous de l’efficacité des tests salivaires ?

De notre point de vue de centre de soin, ces tests posent un problème par rapport au droit. J’ai 68 ans et mon permis de conduire depuis près de 50 ans. Si un gendarme me demande si j’ai grillé un stop, sans préciser quand, je devrais bien lui répondre que probablement oui, en 50 ans ça a bien dû m’arriver. Dois-je être verbalisé pour une faute passée ? En droit français, seule une faute constatée peut être verbalisée. 

Ce n’est pas le cas avec les tests salivaires ?

Un fumeur de zamal occasionnel peut être détecté positif au THC (la molécule psychotrope du cannabis) pendant deux à trois jours. Et jusqu’à un mois pour un fumeur régulier après le début de son abstinence. L’effet du cannabis dure quelques heures, selon la personne, ainsi que la qualité et la quantité prises (Ndlr : une dizaine d’heures selon nos recherches sur internet). On risque six points de permis et 1400 euros d’amende. En France, il me semble, il faut définir un taux règlementaire qui serait de 15 nanogrammes par mililitre de salive. Comme le test salivaire ne détermine pas de taux, il faut demander une prise de sang en cas de contrôle positif. On me dit que les tests pourraient déceler jusqu’à 5 ng. C’est-à-dire qu’un consommateur de CBD, qui n’est pas psychotrope et est autorisé à la consommation, pourrait être décelé positif par le test salivaire. Ça pose un second problème. Et que dire des gens qui conduisent sous benzodiazépines (NDLR: anxiolytiques) remboursés par la sécurité sociale ? que dire de ces tests qui ne décèlent pas les médicaments détournés ? ni les nouvelles drogues de synthèse ?

Il y aurait des gens condamnés alors qu’ils ne sont pas sous effet au volant ?

Je connais des gens, des artisans, professions libérales, électricien ou infirmière, qui ont perdu leur permis à cause de ça. Qui ont dû passer à la voiturette électrique ou employer un chauffeur. Des routiers aussi qui perdent leur emploi, des retraités qui ne peuvent plus aller faire leurs courses. Quand on fait des contrôles systématiques à 8h30 le matin, ou même en début d’après-midi, on ne fait pas la guerre à la drogue ni même aux chauffards, on fait la guerre aux drogués. Ces tests sont l’indicateur de cette politique. On perd son permis, son travail, on ne pleut plus payer son loyer, la pension alimentaire, on mange mal…

Est-ce que, au moins, ça dissuade les consommateurs de cannabis de consommer?

Beaucoup se disent « foutu pour foutu, je continue ».

Vous pensez que ces tests manquent de précision. Qu’ils ne donnent pas satisfaction. Mais est-ce qu’il faut changer la loi ?

La loi de 1970 est, de l’aveu même des juges, inapplicable. Si on l’appliquait, la moitié de La Réunion serait en prison. Comment faire payer 1400 euros d’amende à quelqu’un qui est au RSA ? Comment faire payer une amende de 450 euros pour consommation simple ? Et pour les automobilistes, il faut payer 2500 euros pour repasser le permis, des tests psychotechniques à 90 euros… 

C’est mieux ailleurs ?

Partout où la consommation de stupéfiants a été régulée, les gens consomment moins, que ce soit en Espagne, au Portugal, en Allemagne, au Canada ou dans les Etats américains où ça existe. Ce n’est pas en culpabilisant les consommateurs de drogues ou d’alcool qu’on peut les aider. C’est ridicule de dire que les consommateurs sont complices des trafiquants. 

Entretien Philippe Nanpon

(*) Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie. Prise en charge des addictions avec ou sans substance.

Drogues

Drogues à La Réunion 974.

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.

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