Des tests salivaires anti-stupéfiants ultra sensibles au cannabis, des contrôles sur le chemin du travail… Et si la nécessaire lutte pour la sécurité routière cachait une traque des fumeurs de joints ?
Depuis quelques années, les automobilistes sous effet de substances sont détectés et sanctionnés, tout comme ceux qui ont consommé trop d’alcool pour conduire. Tout comme ? Pas tout à fait puisque, pour ce qui concerne le cannabis, le test salivaire peut virer plusieurs jours après la consommation. Il n’y a pas de dose acceptable. C’est si vrai que la consommation de CBD peut aussi être sanctionnée. Alors, ne s’agit-il que de sécurité routière ? Ou de lutte contre la consommation de drogue ? Nous avons rencontré il y a quelques jours un psychologue clinicien spécialisé dans l’addictologie. Aujourd’hui, c’est un gendarme qui témoigne.
« D’après moi, si le test est positif, c’est que l’effet perdure, même trois jours après la consommation. C’est ce que je pense, mais il faudrait demander à un médecin.» Alexandre Develay est le chef d’escadron qui commande l’escadron départemental de sécurité routière de La Réunion. Son métier, son « seul objectif », c’est de « faire baisser l’accidentologie sur les routes de l’île ». C’est en effet nécessaire. Mais, entre les consommateurs de cannabis positifs plusieurs jours après un dernier joint et les fumeurs de CBD, eux aussi possiblement positifs alors que le produit est légal et non psychotrope, ces tests ne sont-ils pas un peu trop sensibles pour n’être que des outils de sécurité routière ? On en doute quand le gouvernement pensait il y a quelques mois à étendre l’usage des tests aux piétons, ce que même la très droitière radio Europe 1 refuse. Ou ces tests ne seraient-il pas en partie un prétexte pour lutter contre la consommation de drogue.
« En ayant fait usage de substances »
Dans le panel d’outils des gendarmes qui luttent contre les chauffards, il y a les tests salivaires pour détecter les conduites sous stupéfiants. La loi dit exactement : « Conduite d’un véhicule en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants ». Même si c’est l’année dernière ? « Non, répond le militaire avec le sourire. Mais tant que le test est positif, oui. Je pense que les conducteurs ne seront pas à 100% de leurs capacités, même s’ils ont consommé il y a plusieurs jours », estime-t-il. Peut-être a-t-il raison. Le docteur David Mété, addictologue, affirme pour sa part et pour répondre au chef d’escadron Develay que l’effet du cannabis ne dure que six à huit heures.
Notre interrogation sur ces tests est arrivée après une conversation de bar. Notre voisin s’était fait prendre en allant au travail, à 8 heures du matin, son dernier joint remontait à la veille au soir. « Sans consommer, j’ai été positif pendant un mois », nous avait confié ce fumeur d’habitude. Les tests salivaires sont-ils trop sensibles ? Détectent-ils les seuls conducteurs sous effet?
La prise de sang est conseillée
La semaine dernière, nous avons interrogé Jacques Navon, psychologue clinicien à la Kaz’ Oté, spécialiste des addictions. Le professionnel évoque plusieurs de ses patients, privés de permis à la suite d’un contrôle anti-stupéfiants longtemps après le dernier joint. Il aimerait surtout savoir quelle est la sensibilité de ces tests, quel taux est acceptable. On parle de 15 ng (nanogrammes) par ml (millilitre) de salive, mais les chiffres de 5 ng et même 3 ng circulent également. En réalité, la consommation de cannabis étant interdite, il n’y a pas de seuil en deçà duquel la conduite automobile est possible. Et le produit est détectable, normalement jusqu’à 6 à 8 heures pour un usage occasionnel, mais plusieurs jours après la dernière prise si l’usage est régulier. Jacques Navon, comme David Mété, en tout état de cause, conseillent à qui serait testé positif au test salivaire de demander une prise de sang pour confirmer le diagnostic.
Les tests salivaires détectent aussi les opiacés, la cocaïne, les amphétamines et la mèthamphétamine. Toutes ces drogues sont détectables pendant 24 heures. Les tests systématiques sont opérés sur demande du préfet, du commandant d’unité, d’escadron ou de la gendarmerie à La Réunion. « Les tests peuvent également être décidés à l’initiative du militaire », explique le chef d’escadron. Ils sont systématiques en cas d’accident mortel, en cas de blessés, et très réguliers en cas d’accident. « Au début des tests, ils n’étaient effectués en plus de ces cas seulement si des signes, comme les yeux rouges ou une odeur dans le véhicule, laissaient penser à une consommation, maintenant la seule raison plausible suffit », souligne Alexandre Develay. Pour autant, chaque test prend une quinzaine de minutes. Alors, en cas de contrôle d’ampleur, il faut aux gendarmes choisir leurs cibles et les « signes extérieurs » devront aider à sélectionner les conducteurs à tester.
Positif avec le CBD
Même le CBD peut faire virer le réactif. « Le CBD, en théorie, a un taux trop faible, il ne répond pas aux pré-requis règlementaires. Si c’est du CBD, c’est qu’il contenait plus que les 0,3 % de THC autorisés, s’il est à moins de 0,3 %, le test doit être négatif », assure Alexandre Develay, qui se souvient aussi qu’ « au tout début des tests, il y avait un seuil, un taux autorisé ». Et si le CBD est trop fort en THC, comment pourrait le savoir le consommateur ? Sanctionner dans ces dosages infimes s’apparente à condamner pour consommation d’alcool la prise d’un sirop contre la toux. « La consommation de cannabis, contrairement à l’alcool, étant interdite en France, les tests de la gendarmerie détectent « la moindre trace ». Le conducteur s’exposera à de lourdes sanctions pénales », peut-on lire sur le site d’un vendeur de tests en ligne. Mais pas la consommation de CBD, en vente libre et « sans effets psychotrophes » rappelle Jacques Navon. « Taux trop faible » d’un côté, « moindre trace » de l’autre, on ne sait toujours pas quel est le taux acceptable. En réalité, le taux de THC dans le CBD est contrôlé avant la mise sur le marché, moins de 0,3 %, mais la présence de la molécule psychotrope, même en faible quantité, est toujours présente, et le test salivaire très sensible.
Pour autant, le commandant des gendarmes motocyclistes est formel : « Il y a très peu de faux positifs ; si l’Etat nous donne ce test, c’est qu’il est bon ». Sauf peut-être si l’Etat veux, en plus d’améliorer la sécurité routière, lutter aussi contre la consommation. A 10 ou 15 euros le test, plus le coût de l’analyse de sang (Alexandre Develay assure que c’est à la charge de l’Etat), le coût de l’opération n’est pas négligeable. Pour autant, les gendarmes n’ont pas besoin de rationner les contrôles. «Nous ne sommes pas limités en nombre de tests, nous les utilisons avec justesse», souligne le militaire qui précise que «le risque d’accident mortel est multiplié par 1,65 sous l’effet du cannabis, et beaucoup plus avec les autres drogues».
En cas de test positif, on risque jusqu’à deux ans de prison, 4500 euros d’amende, six points de retrait sur son permis de conduire qui sera de plus suspendu jusqu’à trois ans. Le permis peut mêm être supprimé avec interdiction de le repasser pendant trois ans et confiscation du véhicule en cas de récidive. Plus de permis, c’est aussi plus de travail pour beaucoup de Réunionnais. C’est quand même cher payer pour une conduite automobile en toute possession de ses moyens, c’est ce que disent les médecins.
Philippe Nanpon
⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation.