Le mois dernier, un Loto et des cartes à gratter ont permis de financer dix-neuf projets de protection d’espèces menacées en France. Le lézard vert de Manapany va bénéficier de ce financement.
Au Loto de la biodiversité, les geckos verts de Manapany ont gagné. « L’offre de jeux Mission Nature voit le produit du prélèvement sur les mises revenant normalement à l’État affecté à l’Office français de la biodiversité (OFB) pour le financement de projets de restauration de la biodiversité. La première édition a ainsi permis de collecter plus de 7 millions d’euros en 2023. Pour cette deuxième édition, dix-neuf projets ont été sélectionnés pour bénéficier d’un soutien financier », indique la Française des jeux sur son site internet.
En réalité, le projet d’élevage et réintroduction du gecko vert de Manapany porté par Nature Océan Indien a bénéficié d’un financement de 90 000 euros de l’OFB, lui-même abondé par la Française des jeux. Dix-huit autres projets en France et dans les Dom ont bénéficié du dispositif pour un total de 700 000 euros. A La Réunion, il s’agit de sauver le petit lézard, Phelsuma inexpectata, en danger critique d’extinction, en tout cas de limiter son déclin sur les falaises de Petite-Îles dont l’association de protection des reptiles a la gestion.
« Depuis 2015 et le début des observation à cet endroit, la population des lézards verts de Manapany est en chute très rapide, les deux tiers de la population a disparu », explique Chloé Bernet, biologiste et directrice de NOI. Et les scientifiques ne savent pas avec certitude pourquoi. « On ne voit plus de juvéniles », regrette la jeune femme. Il y a dix ans encore il y avait quelque 150 individus sur la parcelle de trois hectares, il n’en reste aujourd’hui que 50. « Les lézards sont identifiés grâce à la disposition des taches sur leur dos qui est unique pour chaque individu. Et on ne voit pas les adultes qui devraient être là un an après leur naissance. On sait que ce n’est pas un problème de génétique, ni un problème d’alimentation. On pense que ce pourrait être la pollution par les pesticides épandus en amont, et surtout la prédation ». En tout cas, la survie de cette espèce emblématique dépend des actions de conservation. « Si on arrêtait, l’espèce disparaitrait en cinq à dix ans », assure la spécialiste.
Côté prédateurs, en effet, il y a du monde et presque uniquement des espèces exotiques envahissantes (EEE). Et Chloé Bernet d’énumérer le merle de Maurice, le martin, les chats, les rats qui s’attaquent plutôt aux oeufs, les musaraignes (rats musqués), les fourmis, les couleuvres, et depuis peu les Phelsuma lauticada et grandis, cette dernière espèce a été éradiquée du secteur mais pourrait revenir, et puis encore les agames des colons et arlequins, et encore dans une toute petite mesure les papangues. Tout cela n’explique pas pourquoi les juvéniles, et moins les adultes dont l’espérance de vie atteint une dizaine d’années, disparaissent.
Fort de ce constat, Nature Océan Indien prélève les jeunes et les nouveaux nés, puis les fait grandir en captivité avant de les remettre en liberté au même endroit. « On ne peut prélever les oeufs car ils sont collés entre eux et au substrat. Les femelles des lézards verts de Manapany pondent collectivement jusqu’à 200 oeufs dans une crevasse », explique la biologiste.
L’étape suivante sera, en mai de l’année prochaine, de réaliser un véritable élevage en maintenant des reproducteurs en captivité. Une solution qui permettrait de plus de contrôler le sex ratio des nouveaux nés, qui est actuellement largement en faveur des mâles, une anomalie qui ne va aller qu’en empirant avec le réchauffement climatique (*). « Pour se fournir en reproducteur, on pourra s’adresser au marché terrariophile, notamment en Allemagne où Phelsuma inexpectata est couramment élevé en captivité », indique Chloé Bernet. Un juste retour des choses après que les milieux naturels aient été pillés avant la protection des espèces. « Ce lézard bénéficie de la protection maximum, il nous faut des dérogations pour le maintenir en captivité en France », explique la biologiste qui évoque des dossiers dérogatoires longs et difficiles à monter. « En attendant, nous allons poursuivre l’élevage transitoire, et peut-être conserver quelques adultes ».
A l’arrière de la case qui sert de siège à l’association, à Petite-Île, une cinquantaine de terrariums au décors spartiate sont alignés. Chaque cage n’accueille qu’un individu, une branche et un morceau de tube en PVC pour abris. Ils sont nourris quotidiennement de fleurs dont les lézards consomment le nectar, des fleurs de manioc bord de mer, de saliette, le sucre des vacoas et des grillons deux fois par semaine. Ces animaux sont placides et ne se déplacent pas beaucoup. Ils peuvent vivre toute leur vie dans le même arbre, se nourrissant de beaucoup d’insectes.
Philippe Nanpon
(*) Chez les reptiles, le sexe des nouveaux nés dépend de la température d’incubation des oeufs.
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