Cyclone Chido à Mayotte © Mayotte Hebdo

À Mayotte Chido meurtrit sans distinction les Comoriens et les Français

ÉDITO

Le cyclone meurtrier Chido révèle les failles de la départementalisation de Mayotte qui a accentué les inégalités entre les populations comoriennes et françaises.

À nos familles comoriennes et françaises à Mayotte.

On a tous une mère, un fils, une fille, un cousin à Mayotte. Chido a dévasté l’île comme rarement. L’oeil du cyclone et ses murs de rafales à plus de 200 km/h ont tout saccagé. Et le jour d’après angoisse toute une région. Déjà 14 morts recensés officiellement et un préfet qui déclare dimanche soir sur le plateau de Mayotte la 1ère : « Je pense qu’il y a plusieurs centaines de morts, peut-être approcheront nous le millier. »… Et pas de communications possibles pour savoir comment s’en sont sortis, la mère, le fils, la fille, le cousin… 

Vue aérienne de Tsingoni après le passage de Chido.
Vue aérienne de Tsingoni après le passage de Chido.

Ah si, la photo aérienne prise par un drône au-dessus de Tsingoni dans les heures qui ont suivi le cyclone tourne sur les réseaux. Elle est inquiétante parce qu’elle montre des dizaines de cases décapitées… et rassurante parce que quelques-unes, plus solides que les autres, ont résisté. Or c’est dans l’une de ces maisons en dur que loge le fils.

Et les autres ? Et après ? Le premier avion de l’armée française a atterri sur la piste de Petite-Terre dimanche en fin d’après-midi. Il faudra trois à quatre jours pour que les bateaux français arrivent. Mayotte ravagée aura besoin d’eau potable, de nourriture, de soins, de médicaments, et de bras pour rétablir les réseaux puis se reconstruire.

Les rescapés de Wuambushu rattrapés par Chido

Dans son grand malheur, le 101e département doit se raccrocher aux déclarations d’un Premier ministre à peine réveillé des nuits tumultueuses de sa récente nomination et à celle d’un ministre de l’Intérieur démissionnaire qui va débarquer dès que possible en pensant (surtout) à soigner son image. Comme son prédécesseur Gérald Darmanin, Bruno  Retailleau rêvait de détruire au bulldozer les bidonvilles que Chido a soufflés. Wuambushu (1), était pensé comme leur cyclone anti-migrant, leur Kärcher. 

L’oeil du cyclone Chido a traversé Mayotte du 13 au 14 décembre.

Si l’horreur de la dévastation peut avoir une première conséquence positive, c’est d’avoir extorqué  aux élus et ministres va-t-en-guerre leurs premiers mots de compassion vis-à-vis des « personnes en situation irrégulière », qui doivent être secourus comme les autres. « Une vie est une vie », ont-ils fini par reconnaître (dixit le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville au Monde). Ben tiens !

Il est temps de comprendre que les mères, les fils, les filles et les cousins à Mayotte ne sont pas que français. Ils sont majoritairement comoriens, particulièrement anjouanais venus de l’île voisine de 70 km, elle aussi meurtrie par Chido mais à bien moindre mesure. (5 maisons détruites à Anjouan et 11 pêcheurs portés disparus en Grande Comore. Source : Wikipedia) Ce sont eux, Comoriens, qui vivaient dans les bidonvilles.

La géographie est têtue

Le président des Comores, Azali, dont on n’ignore rien des dérives dictatoriales, a vite assuré que « Nos pensées et prières accompagnent nos frères et sœurs de Mayotte en ces moments difficiles. Nous sommes prêts à collaborer avec les autorités françaises et les organisations humanitaires pour soutenir les efforts de secours. » Il est dans son rôle puisque Mayotte est comorienne…

Photo : Mayotte Hebdo

La géographie est têtue. Elle rappelle que 70 kilomètres, c’est à quelques heures de bateau. C’est à côté. Dans un monde, qui ne serait pas ravagé par la misère post-coloniale, 70 kilomètres c’est un saut de puce pour un hélicoptère transférant des blessés vers un centre d’urgence lorsque l’hôpital de Mamoudzou est rendu inutilisable.

Dommage que Mayotte n’ait jamais voulu coopérer avec les voisins comoriens au prétexte de la vieille querelle diplomatique. Les euros investis dans un hôpital digne de ce nom à Anjouan auraient non seulement limité les dangereuses évacuations sanitaires clandestines en kwassa-kwassa d’Anjouan vers Mayotte, mais ils auraient aussi offert la réciprocité lorsque Mayotte est à terre. Parce que « une vie est une vie ».

La misère plus meurtrière que le cyclone

Ce n’est pas l’heure de demander des comptes ? Eh bien si et tant pis. Parce qu’on a tous une mère, un fils, une fille, un cousin à Mayotte, demandons combien a coûté l’illusoire fermeture des frontières depuis le visa Balladur de 1995, le tout-répression, le centre de rétention administrative, le record national des reconduites, les tensions ? Combien aurait-il fallu dépenser pour construire des logements et des infrastructures solides ?

Les Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron peuvent-ils se vanter d’avoir départemenalisé un territoire couverts de bidonvilles, de clans ennemis, d’écoles sous-dimensionnées ? Une île bleu-blanc-rouge où le français est une langue étrangère pour une bonne part des habitants ?

Il est évident que Chido meurtrit  bien plus cruellement les familles comoriennes que les familles françaises. Respectons leur tristesse et leur colère. C’est davantage la misère que les rafales de vent qui ont blessé ou tué leurs proches. 

Solidarité en 1934, régime d’exception en 2024

Il faut remonter à 1934 pour trouver un cyclone aussi dévastateur que Chido. Dzaoudzi, Pamandzi et Petite-Terre, Mtsapéré, Boueni et Mzouazia en Grande-Terre avaient disparu. (Cf Nicolas Legoff : Les Comores et l’aléa cyclonique dans le contexte des changements climatiques : la vulnérabilité différenciée d’Anjouan et de Mayotte). A l’époque, on avait appelé ce cyclone Disseli en hommage au colon ayant alors organisé l’aide alimentaire pour contrecarrer la famine.

La coopération entre les îles (Anjouan, Grande Comore, Mohéli et Mayotte), certes organisée par les autorités coloniales, avait permis de gérer la crise post-cyclonique. Les îles moins touchées, comme Mohéli, avaient envoyé vivres et matériels aux Mahorais. Les bras pour reconstruire et replanter étaient arrivés des îles voisines.

Les communautés traditionnelles locales avaient organisé la solidarité en 1934. 90 ans après, il faut d’urgence donner des pouvoirs « d’exception » au préfet de Mayotte pour lui « permettre de faire face aux risques en termes d’ordre public… » Vive le progrès et vive la France ! Triste ironie.

Franck Cellier

(1) Wuambushu : opération policière en cours depuis avril 2023, ayant pour objectif de combattre l’immigration clandestine à Mayotte.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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