IMMERSION
Immersion dans une maraude de l’ARPSH qui ont lieu tous les vendredis soir dans un quartier dionysien et ont pour objectif d’apporter un soutien global aux travailleuses du sexe (TDS) avec plusieurs intervenants : un assistant social, une avocate, un salarié de l’association et une sage-femme.
Suite à l’entretien réalisé avec l’ARPSH (Association Réunionnaise Pour la Prévention des Risques liés à la Sexualité et aux Harcèlements) en août dernier au sujet du parcours de sortie de prostitution, j’ai souhaité participer à une maraude de l’association pour mieux comprendre son action. Ces maraudes ont lieu tous les vendredis soir dans un quartier dionysien et ont pour objectif d’apporter un soutien global aux travailleuses du sexe (TDS) avec plusieurs intervenants : un assistant social, une avocate, un salarié de l’association et une sage-femme.
Jason Imache est chargé de projet et animateur de prévention depuis bientôt deux ans au sein de l’ARPSH, ce soir c’est lui qui organise la maraude. Il me donne rendez-vous une heure avant au local de la rue Saint-Jacques afin de me préparer.
La dernière fois qu’une personne extérieure participait à une intervention c’était un policier de la BAC ( Brigade anti – criminalité ) et les filles n’ont pas osé l’approcher.
Caisses de préservatifs et de lubrifiant
Pour les risques, je dois savoir que je pourrais être insultée par les TDS qui sont parfois réfractaires aux nouvelles têtes. Et le véhicule de fonction a déjà été caillassé . « L’ARPSH n’était pas visé, on était au mauvais moment au mauvais endroit, mais certains passants désapprouvent nos actions et peuvent nous critiquer. »
L’assistant social est malade, il sera absent ce soir. Sarah, la sage-femme nous rejoint. Puis c’est au tour d’Alexandra*, l’avocate de s’ajouter à la petite troupe. Nous sommes fin prêts pour partir, les thermos sont remplis de thé et les caisses remplies de préservatifs et de gel lubrifiant.
Nous roulons dans Saint-Denis à la recherche des TDS, certains spots habituels sont déserts.
« Il y a du monde qui fait la fête aujourd’hui », remarque Jason.
Envie de sortir de la prostitution
Il arrête la voiture pour la première fois, pour une jeune femme seule dans un coin de rue. Elle prend volontiers les préservatifs, les bleus sont mieux, et lubrifiants proposés. Au cours de la discussion, légère comme on parlerait à n’importe quelle connaissance de son boulot, l’envie de sortir de la prostitution émerge.
Jason attrape la perche tendue pour évoquer le parcours de sortie de prostitution que l’ARPSH est seul habilité à réaliser à La Réunion. « On peut t’aider pour ça si tu veux , tu pourras toucher une indemnité et avoir des ateliers pour rentrer dans la vie active ». Mais pour cela, il faut pousser la porte du local. Elle semble réticente, évoque sa mère très croyante et ses enfants tous dans l’ignorance. Son activité de prostitution se passe en pleine rue mais c’est franchir le seuil de l’ARPSH qui pourrait faire basculer sa confidentialité.
Difficile de porter plainte
Dans une rue parallèle, deux autres femmes un peu plus âgées.
« Tu veux quoi comme gâteau, thé glacé ou chaud ? », demande Alexandra.
Je me prends au jeu et aide à servir. Les deux filles nous annoncent qu’il y a eue une agression près de l’église cette semaine. Un homme déjà connu pour ça. Cette fois-ci, les policiers sont intervenus.
Dans la voiture, Alexandra m’explique que les personnes prostituées portent très peu plainte.
« Elles sont mal accueillies partout ». Elle a même dû changer de stratégie avec l’assistante sociale pour que les TDS continuent de venir à l’association, en laissant la plainte en option pour celles qui le souhaitent.
Subventions en baisse
On continue notre tour. On rencontre une dizaine de TDS. Personne ne m’insulte, les échanges sont cordiaux, parfois timorés. Je découvre que certaines ont des couleurs de vêtements fétiches que les intervenants connaissent, que les musulmanes ne travaillent pas pendant le ramadan, que si la voiture est toujours en position de départ ce n’est pas par négligence mais pour partir en vitesse en cas de problème. Partout, on distribue les préservatifs fruités, classiques, les lubrifiants, un verre de thé, un gâteau. Un gâteau et pas deux car les subventions de la préfecture baissent.
Et partout, les femmes nous demandent quand seront mise en place les alarmes sonores à goupille pour se protéger. C’est une idée d’Alexandra, pour que les agressions, les vols, les viols cessent. Pour que le mot soit passé : on ne peut plus agresser les prostituées impunément. Même si l’ARPSH a effectué un travail avec la police, avec des référents dans les commissariats, la problématique n’est pas réglée. Ces alarmes devraient être distribuées en janvier, en échange les filles devront venir au local pour une mini-formation.
Peur de l’agression, du vol, du viol…
Et les clients ? On ne les voit pas, seulement un, sous effet, qui nous réclamera un gâteau et nous narguera un peu avec ses billets oranges.
Dans une rue plus passante, des jeunes semblent inquiéter deux TDS. A chaque fois, la crainte d’une agression, d’un vol ou même d’un viol. Et aussi de faire fuir le client en s’accaparant leur espace de travail pourtant espace public.
L’équipe est connue, appréciée et même attendue. Et je découvre que ces femmes pour qui la prostitution est parfois la source de revenu principale, doivent souvent cacher leur réalité à leurs proches et craindre pour leur sécurité avec un passant ou un client.
Cette activité, bien souvent dénigrée par la société, revient régulièrement dans le débat politique pour décider de la légitimité de sa présence dans l’espace public. Pourtant, plus on l’éloigne des rues passantes, plus le risque d’agressions augmente.
Léa Morineau
* le prénom a été modifié
Si vous souhaitez en savoir plus, retrouvez l’entretien réalisé avec Marthe de Laclos et Adrienne Mansard, deux membres de l’ARPSH, au sujet du parcours de sortie de prostitution.
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