Patrice Guichard, diététicien

Déconstruisons les stéréotypes autour de l’alimentation végétale

PODCAST : PARLONS VÉGÉTARISME ET VÉGANISME AVEC PATRICE GUICHARD

Après notre visite dans les cuisines du restaurant Les Bons Enfants Végétarien à Saint-Pierre, nous nous intéressons aux nombreux stéréotypes qui pèsent sur le végétarisme et le véganisme. Démêlons le vrai du faux avec Patrice Guichard, diplômé d’un BTS diététique.

Plat végétarien
Le restaurant « Les Bons Enfants Végétarien » propose à ses clients un plat végétarien à base de tofu, de champignons et de légumes.

Parallèle Sud : Vous êtes diététicien, est-ce que vous pouvez me raconter votre parcours, comment vous en êtes arrivé là aujourd’hui ?

Patrice Guichard : Avant, j’étais cuisinier de métiers et puis je me suis orienté plutôt dans les ateliers, envers des publics difficiles, éloigné de l’emploi. J’ai travaillé en tant qu’animateur et à chaque fois, même en m’éloignant de la cuisine, le support à l’alimentation était très présent. J’ai continué à me former à l’intérieur mais plutôt au départ dans le volet animation avec un BPJEPS en animation culturelle et de fil en aiguille, j’ai continué à construire d’autres outils jusqu’à l’ingénierie de formation. Par la suite, je me suis posé la question de comment aller encore plus loin dans une nouvelle dimension de l’alimentation. J’ai décidé de passer mon BTS diététique et maintenant, je suis diététicien libéral en auto-entreprise et j’interviens notamment sur l’accompagnement des sportifs, la prévention alimentaire, la restauration traditionnelle et collective. 

Parmi les personnes que vous accompagnez, quelle proportion est végétarienne et / ou végane ? 

Je fais de l’accompagnement fonctionnel pour tout type de pathologies, mais également l’accompagnement des sportifs. La plupart des personnes que j’accompagne qui sont dans cette dynamique de régime végétal, vegan ou végétarien, ce sont plutôt les sportifs.  En 2024, j’accompagnais peut-être six personnes, sur les six, on peut dire que la moitié avait des questionnements concernant l’alimentation végétarienne. 

Et pour quelles raisons est-ce qu’elles viennent vous voir ? Quelles difficultés peuvent-elles rencontrer ?

La difficulté n’est pas tant dans le choix du régime alimentaire, mais plutôt dans l’optimisation de performances, notamment sur des sports d’endurance. Mais, ensuite, c’est vrai que quand nous abordons toute la matrice alimentaire, à ce moment-là, il apparaît évident qu’une alimentation équilibrée et variée, sans parler vraiment d’alimentation végétarienne, mais plutôt de régime flexitarien, en mixant un petit peu les deux, devient à leurs yeux quelque chose d’assez intéressant. 

État des lieux préalable

Pour vous, qu’est-ce que le végétarisme et le véganisme ? Comment vous pouvez le définir avec vos mots ?

Alors, il faut savoir que le végétarien, lui, ne mange pas de viande, mais il consomme les produits dérivés des animaux. On considère que le végétarisme, c’est de dire pas de viande et pas de poisson. Contrairement au végan qui, lui, ne consomme pas aucun produit d’origine animale. Et c’est là que ça commence à devenir complexe et en même temps intéressant pour nous, c’est-à-dire comment accompagner au mieux les personnes qui s’orientent vers une alimentation totalement végétale. Bien sûr, en observant s’il y a des contre-indications médicales, s’il y a des risques potentiels, s’il y a des carences qui vont exister. Donc, il y a tout un accompagnement qui peut être pluridisciplinaire, mais un accompagnement en profondeur pour être sûr qu’il ne va rien manquer en termes d’apport pour les personnes. 

Et justement, de quoi est-ce que le corps a besoin pour être en bonne santé?

On parle d’une alimentation riche, variée et équilibrée. Donc, à ce niveau-là, nous, diététiciens, on va bien sûr définir un certain nombre d’apports qu’on appelle les repères nutritionnels qui ont été définis par l’ANSES, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail. 

Chaque personne étant différente, on a notre propre souci de calcul. Par exemple, on va parler des protéines. Il va falloir, par exemple, de l’apport énergétique total. Ça va être un pourcentage. En général, on est entre 10, 15, 20%. Ça va dépendre si la personne fait une activité particulière. Mais pour une personne lambda, on doit être, par exemple, sur les protéines à 0,80 gramme par poids de corps. C’est ce dont a besoin le corps en termes de matrice alimentaire. Chaque type de protéines va être différent. Il aura une fonction spécifique dans l’organisme. Il va fabriquer différentes enzymes. D’autres vont transporter des molécules à d’autres endroits du corps. Il a un rôle primordial. Après, tous les aliments qu’on va manger vont passer par le trachus digestif et la protéine ne sera pas ingérée directement, mais elle va être plutôt digérée, découpée en petits morceaux, en éléments plus simples, qui vont par la suite être les matériaux de base. Il faut imaginer les protéines comme un collier de perles qui serait coupé au fur et à mesure et ensuite redispatché au niveau du corps pour former les ongles, les yeux, la peau, les tissus, le sang également et plein d’autres fonctions. Ça, c’est sur la partie au niveau des macronutriments des protéines. 

Après, il y avait les lipides qui sont bien souvent accusés à tort. Il faut savoir que c’est indispensable de mettre des lipides dans son alimentation qui sont répartis en différentes grandes familles. Il faut comprendre qu’il y a les acides gras saturés, les acides gras monoinsaturés, les acides gras polyinsaturés dont les sources sont différentes et variées. Donc, que ce soit dans l’alimentation d’origine animale ou d’origine végétale, il faut équilibrer tous ces apports-là au niveau lipidique. 

Les glucides, eux, sont considérés comme le surplus de la ration. Pourtant, en général, c’est 50% de la ration. Et là, il est intéressant au niveau énergétique d’avoir tout ce qui est céréales, tubercules, légumes racines, légumes secs également, qui font à la fois office de protéines et les fibres alimentaires qui sont essentielles pour notre microbiote avec tous ses apports en antioxydants, minéraux, en oligo-éléments aussi. 

Une question de quantité et de qualité

Et enlever la protéine animale du régime alimentaire, est-ce que ça a un impact sur la santé?

Je dirais que ça pourrait être plutôt positif. Mais la question est plutôt une question de quantité et de qualité.  Parce que même dans un régime normal, ou flexitarien ou végétarien ou végan, ça va dépendre de la qualité même du produit. C’est-à-dire qu’une consommation excessive de viande qui a été élevée en batterie avec des antibiotiques, avec des médicaments, avec par exemple même des OGM, ça veut dire que ce sont autant de ce que nous appelons perturbateurs endocriniens que nous allons nous-mêmes par la suite manger. Donc peut-être diminuer sa consommation de viande. Mais encore faut-il que celle-là soit de bonne qualité. 

Après enlever la protéine animale pour la remplacer par celle du végétal, il faut comprendre aussi que c’est une question d’absorption, de valeur biologique, par un phénomène qui est appelé le facteur limitant, qui se situe dans les protéines. Rappelez-vous ce collier de perles avec plusieurs petites perles dessus. Certaines perles au niveau de l’alimentation des protéines végétales vont être plus petites, ce qui va abaisser toute l’absorption de ces protéines-là. Dans ce cadre-là, on va parler d’une complémentation protéique, c’est-à-dire associer les facteurs limitants entre eux avec par exemple, on parle souvent bien sûr de légumes secs et de céréales (…) qui permettrait de faciliter mieux l’absorption.

Il faut savoir aussi que la différence entre la protéine animale et la protéine végétale, c’est bien sûr la matrice alimentaire et tout ce qu’il y a à l’intérieur en termes de minéraux, d’oligo-éléments et de vitamines. Mais également on parle de l’indice PRAL pour le Potential Renal Acid Load qui mesure le potentiel acidifiant. Le corps se réveille le matin dans sa construction, il va commencer à être plutôt acide le matin, il va passer différentes phases pour finir basique le soir, donc du coup ces indices PRAL (…), nous donnent une évaluation de qu’est-ce qui est acide pour le corps et qu’est-ce qui est basique pour le corps. Donc pour limiter tout ce qui est inflammation, rhumatisme, c’est vrai qu’il est intéressant à ce moment-là d’opter pour une alimentation, alors je pèse mes mots en disant une alimentation végétarienne, je parlerai plus d’alimentation flexitarienne.

Et donc par quoi compenser les protéines animales ?

On va compenser les protéines animales par d’autres sources de protéines, protéines végétales, qu’on va retrouver dans les légumineuses. Les oléagineux également. Également les céréales et ensuite bien sûr comme je vous le disais, pratiquer la complémentation protéique. Dans la substitution de la protéine animale vers la protéine végétale, on parle bien sûr de protéines mais également de matrice alimentaire, c’est-à-dire il y a d’autres éléments à l’intérieur qui sont super importants comme le fer par exemple et on sait que le fer qui peut provoquer de l’anémie, des carences martiales, on va pouvoir le retrouver également dans l’alimentation végétale au niveau des haricots secs, des lentilles, flocons d’avoine, des légumes à feuilles verts, même du chocolat, des fruits secs également et des aliments qui sont riches en fer.  Pour l’absorption de fer, ce qui peut être intéressant, c’est de l’associer à la vitamine C. 

On parle de matrice alimentaire quand on parle aussi de calcium. On peut le trouver dans les lentilles, dans les sardines en boîte si tant est qu’on mange également les arêtes avec, dans les légumes feuilles.  Dans l’alimentation végétarienne ce qui va poser le plus gros problème c’est en effet la vitamine B12. C’est une vitamine dit hydrosoluble qui est présente malheureusement uniquement dans l’alimentation animale et très peu au niveau du végétal. Mais on va quand même la trouver au niveau de la spiruline et quelques algues de nori. Mais vraiment la source principale ça va être la source animale.  Alors le rôle de la vitamine B12 ça va être la construction, la synthèse des globules blancs, des globules rouges, elle va participer à la cicatrisation, des éléments du système nerveux, la synthèse de l’ADN. 

C’est aussi la vitamine D qui s’acquiert ici à La Réunion, on n’a pas trop de problèmes parce qu’elle est synthétisée par les rayons ultraviolets, mais elle s’acquiert également par les apports végétal et bien sûr animal, mais dans l’apport végétal on va plutôt les trouver dans les champignons, les céréales, les légumineuses ou encore les levures, avocats, champignons, les algues, la laitue.  C’est une vitamine assez importante, une pro-hormone on appelle ça, parce qu’elle va participer également au métabolisme du calcium en permettant son absorption au niveau de l’intestin et puis elle est très importante au niveau de notre système immunitaire. 

Et où est-ce qu’on peut trouver ces alternatives ?

Il faut bien regarder au niveau de la composition de ces produits, s’il n’y a pas trop d’édulcorant, qu’il n’y a pas trop d’additifs également. Je préconise plutôt d’avoir un choix éclairé à ce moment-là et de dire où trouve-t-on des protéines, donc c’est ce qu’on vient de dire un petit peu dans les légumes secs, notamment le tofu, certaines protéines de soja texturées. 

Et que doit comporter une assiette végétarienne ou végane pour apporter tout ce dont le corps a besoin ?

Le corps a besoin de plusieurs choses sur cette assiette composée. Et encore une fois, l’idée c’est de prendre plaisir à cuisiner, de prendre plaisir à varier pour avoir des assiettes colorées, gourmandes, parce que chaque aliment va apporter son lot, ce que nous on appelle les antioxydants, des polyphénols, etc. qui sont situés un peu au niveau des pigments, des différents légumes, des différents fruits également. 

Pour la composition on va dire d’une assiette végétale, moi je préconise d’avoir un équilibre à la journée, un équilibre à la semaine également, avec des légumes pour l’apport en fibres, en vitamines, en minéraux et calcium également au niveau des légumes verts, des légumes à feuilles vertes, des fruits également pour les vitamines, minéraux, les glucides, des céréales et des tubercules.

Donc dans la famille des féculents, nous avons trois têtes de fil avec les céréales, donc tout ce qui est blé, quinoa, semoule, ça peut être le pain, des biscottes, etc. Nous avons également les légumes secs qui ont cette double casquette, enfin triple casquette même on pourrait dire, à la fois de fer, féculents, protéines et matrice alimentaire au niveau des vitamines, oligo-aliments et minéraux. 

 Nous avons également ensuite les tubercules, dont nous raffolons ici à La Réunion, avec tout ce qui est patates douces, songes, maniocs, il faut savoir remettre dans son assiette parce que c’est important pour les apports justement en glucides, en fibres, notamment sur les céréales complètes. 

Les légumineuses dont on vient de parler, c’est vraiment pour cet apport en vitamines, en fibres et en fer. Et encore une fois, je souligne que dans les légumes secs, il y a ce qu’on appelle des antinutriments, on en a discuté au niveau des oxalates et de l’acide phytique, donc il est important de pouvoir laisser tremper ensuite pour pouvoir jeter cette eau. 

Et pour l’assimilation du fer, il va être important également de rajouter des éléments de la vitamine C. La vitamine C est une vitamine thermosensible, c’est-à-dire qu’il va partir à la cuisson ou au chauffage, donc il va être important de pouvoir mettre dans son alimentation aussi une petite salade de carottes, une salade de courgettes, avec des huiles d’assaisonnement de bonne qualité, riches en oméga 3 par exemple. 

Et ce qui est intéressant c’est d’avoir aussi des fruits, des graines oléagineuses dans son alimentation, une petite poignée par jour par exemple, pour avoir ses lipides de bonne qualité, protéines, vitamines, liposolubles, et les minéraux également. 

Cake aux lentilles corail

Et est-ce que vous pouvez nous partager une recette adaptée à un régime végétarien ou végan ?

Au niveau de la préparation on va faire tremper toute la nuit, jeter l’eau, rincer et ensuite une fois que ce sera rincé on va mélanger les 100 ml d’eau tiède avec la levure sèche et laisser activer pendant 10 minutes. 

Ensuite on va égoutter et mettre le tout dans le mixeur, c’est-à-dire les lentilles, le sel, l’huile et le reste de l’eau. On va mixer une première fois, ensuite on va rajouter le mélange de la levure et mixer une deuxième fois. On va ensuite verser la pâte dans un moule couvert de papier sulfu, saupoudrer de quelques graines, laisser reposer et enfourner 45 minutes à 180 degrés, laisser refroidir sur une petite grille et ensuite on peut couper donc des morceaux 100, 150 grammes, si on veut manger comme repas on peut partir sur du 200, 250 grammes également. 

 L’important ça va être ce qu’on va rajouter autour avec une petite salade de cresson, quelques graines, on peut rajouter des juliennes de carottes et faire des petites vinaigrettes avec des huiles sympas comme une vinaigrette passion, prendre des agrumes aussi et peut-être aussi une sauce tomate parce que la tomate cuite va libérer ces polyphénols qui peut être intéressant comme la lycopène à ce moment là. 

Et pour finir quels conseils vous pouvez donner à une personne qui commence un régime végétarien ou végan ?

Déjà d’identifier pourquoi est-ce qu’on veut modifier son alimentation comme on le disait en entrée, c’est-à-dire est-ce que c’est question d’éthique, de bien-être animal, ou pour sa santé, etc. 

Donc bien identifier son projet, de réaliser un bilan sanguin, de rencontrer son médecin en l’informant de cette volonté peut-être de changer d’alimentation. Alors pourquoi je dis rencontrer le médecin ? Parce qu’on ne sait pas quels sont les antécédents, donc il faut mesurer ces antécédents, regarder s’il n’y a pas de pathologie chronique à côté et regarder s’il n’y a pas de contre-indication à adopter un nouveau régime également. 

Quelques conseils pratiques bien sûr de diététiciens, ça va être se nourrir de façon variée, légumes, légumineuses, céréales complètes, des fruits, des graines, des oléagineux comme les noix, les amandes, les noisettes, les pistaches, pignons de pin, graines de sésame, graines de lin broyées et quelques aliments spécifiques comme des algues marines, des champignons, des épices beaucoup, des herbes aromatiques, des graines germées de levure maltée, lactofermentée également. La lactofermentation va permettre de venir alimenter le microbiote en probiotiques et en prébiotiques. 

 Toutefois dans cette alimentation variée, variez aussi les couleurs, prenez plaisir à varier les couleurs crues, cuits, demi-cuits parce que c’est autant de richesse en antioxydants. On pourrait utiliser aussi de l’ail, de l’oignon, des arômes, du persil, de la coriandre. Consommer des huiles de qualité également, de première pression à froid, biologique de préférence, en choisissant pour les assaisonnements comme les huiles de noix, colza, de lin, de chanvre pour le rapport en oméga 3 et préférer, comme on le disait en amont, une huile d’olive pour les cuissons à basse température ou à l’étouffée, pour préserver au maximum les propriétés. 

A éviter, ça c’est pour tout le monde, que ce soit un régime animal ou régime végétal, les aliments très sucrés, le sel, l’alcool en abondance, les préparations industrielles courantes, là on va trouver des édulcorants ou encore des additifs, notamment dans les simili carneux ou les simili fromage.  Préférer les aliments frais, non transformés, si possible biologiques, de saison également, parce qu’il y a une dimension environnementale, c’est-à-dire on mange une alimentation pour s’identifier à sa santé mais également à son éthique environnementale. 

Et enfin pour optimiser l’absorption de fer : prendre des boissons ou des aliments contenant de la vitamine C au cours des repas, l’eau légèrement citronnée ou du jus de citron dans les crudités. Et surtout aussi, parce qu’on parlait d’anti-nutriments, il y a aussi les tannins, notamment sur le thé et le café, à éviter une heure après le repas, parce qu’ils vont diminuer l’absorption de fer. 

Pour les sportifs, la complémentation peut être envisagée suite à un diagnostic avec un professionnel de santé, un médecin du sport ou un diététicien, notamment sur la B12, la D, les oméga 3 et l’iode. Parce qu’en effet lors d’une activité sportive, on aura beaucoup plus de dépenses, donc il va falloir beaucoup plus d’apports à ce moment-là. 

Ce podcast a été réalisé par Maï Noël

Végétarien à La Réunion

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