Pour soi-disant « restaurer la sécurité du quotidien », une trentaine de policiers sont venus vendredi dernier inspecter les sacs d’une dizaine de lycéens sous les objectifs des journalistes conviés pour l’occasion. Sans rien trouver.
#Etatyprotezanou, c’est un oxymore à lui tout seul. Parce que Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a décidé de « restaurer la sécurité du quotidien » qu’on n’avait pas perdu et supervise « une opération similaire dans la Drôme au même moment », comme le précise le préfet Patrice Latron, une trentaine de policiers en tenue d’intervention, venus du commissariat du Port ou issus de la compagnie départementale d’intervention sont là vendredi dernier devant le lycée Jean-Hinglo du Port à attendre l’heure de la sortie. Il s’agit de poursuivre, ou faire concurrence, aux opérations « place nette », initiées par le ministre de l’Intérieur prédédent Gérald Darmanin, qui n’avaient pas fait preuve d’une grande efficacité.
« A partir d’une cartographie précise et complète de la délinquance », comme l’assure le ministre Retailleau dans le dossier de presse distribué après les fouilles qui parle d’ « actions ciblées », c’est devant le très sage lycée Jean-Hinglo, au Port, que la démonstration de force a lieu. Alors que les chiffres de la délinquance au Port sont en baisse selon son maire Olivier Hoarau, alors que le préfet explique qu’il fallait « choisir un endroit en dehors de Saint-Denis mais pas trop loin quand même » et que « ce n’est pas du tout pour une histoire de statistiques ou de réputation » que l’opération se déroule à cet endroit. Jean-Hinglo n’a guère fait parler de lui dans les pages faits divers, et le proviseur Jean-Marc Spampani confirme que, l’an dernier, une seule exclusion a été décidée, pour une histoire de harcèlement.
Casquette NYPD
Pour Annick Le Toulec, première adjointe au maire de la cité maritime, il va falloir ensuite venir expliquer dans le quartier pourquoi un tel déploiement de force. Dès le matin, autour, certains s’inquiètent. Comme cette dame qui remarque de loin « ils ont des gilets pare-balles ! ». Forcément on pense à une grosse affaire, un dangeureux criminel, un acte terroriste…
Tout le monde a vu le préfet avec sa casquette NYPD* sur les écrans des télévisions. Pour l’occasion, il a choisi un accessoire dans le ton, comme pour se déguiser, ou au contraire pour prendre de la distance avec humour, signe en tout cas que tout cela est une farce, un carnaval, de la communication. Il s’agit d’après le ministre de « lutter contre cette délinquance qui empoisonne la vie des Français ». Je ne sais pas pour vous – il y a certes des quartiers où la vie est difficile, où les voisins sont détestables – mais je ne me sens pas personnellement menacé dans mon quotidien. Et je peine à imaginer comment la recherche de quelques fumeurs de joints dans un lycée va réduire le risque d’être confronté à des incivilités.
La cloche sonne enfin, les lycéens qui ne mangent pas à la cantine se pressent pour rentrer chez eux, première fournée de cinq sacs ouverts et inspectés sans fouille, disposés en ligne en attendant que le chien Novy sorte de son camion climatisé et désigne une sacoche. Cette fois fouillé avec soin, le sac ne contenait rien d’illicite. Ral lodèr ! Sans blague, les policiers attribuent le geste du chien à « des résidus de canabis ». « L’odeur reste pendant six mois », indique le commandant Joseph du commissariat du Port.
Première fournée et on s’inquiète un peu que les cinq contrôlés, choisis par les policiers dans le flux des lycéens sortants à l’heure de midi, soient cinq garçons à la peau très brune. « Moi aussi j’étais inquiète, mais j’ai vu qu’au deuxième tour, les policiers désignaient une rangée d’élèves sans faire de distinction », rassure Annick Le Toulec. Soit.
Le propriétaire du sac suspect aura droit aux questions des journalistes. Parfait dans ses réponses aux collègues pressants et équipés de caméras intimidantes, le jeune homme, manifestement un gentil garçon, a déclaré que « oui, il était rassuré par ce genre de contrôles », et que « non il n’était pas consommateur de stupéfiants ».
« Chope-le ! », entend-on soudain, alors que les policiers s’élancent comme un volée de perdreaux. Au croisement, un motard abandonne son deux-roues et tente de fuir à pied. Tout ça de police pour lui tout seul, bien sûr que le gars a eu peur. Il conduisait sans casque et sans permis sur une moto pas homologuée, d’accord, mais pas volée avouent les policiers un peu plus tard. Juste avant, un automobiliste est testé positif au cannabis, lui aussi roulait sans permis. Rappelons que les tests salivaires sont très sensibles au cannabis, et qu’on peut être testé positif deux ou trois jours après son dernier joint.
Bilan : deux conduites sans permis dont une potentiellement sous effet. Au lycée, rien. Nul doute que « la sécurité du quotidien » va grimper en flèche. Merci à messieurs le ministre et le préfet : #Etatyprotezanou.
Tout juste aurons-nous appris qu’un scanner allait être installé pour inspecter le contenu des conteners au port alors que les saisies de cocaïne et de résine de cannabis explosent. Un équipement pour le coup utile.
Philippe Nanpon
*New York Police Department
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