Un plan de relance agricole fléché vers les plus gros acteurs ?

EXPORTATION DE MANGUES – INTERVIEW DE LA DAAF

Comment fait-on quand on est petit et sans réseau pour percer dans un milieu accaparé par de gros acteurs ? Siva Grondein et sa compagne ont mené un véritable parcours du combattant depuis 2020 pour défendre leur technique de traitement des mangues contre la mouche des fruits. Leur expérience, portée par un élan d’abnégation et de persévérance, illustre bien les ententes latentes, et les attentes tacites du milieu agricole.

Boris Calland, le directeur adjoint de la Daaf Réunion (Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt), n’était pas encore en poste au moment où France AgriMer a attribué deux millions d’euros à la SCA Fruits pour sa technique de traitement contre la mouche des fruits, dans le cadre du volet agricole du plan de relance. S’estimant lésé, le concurrent, Siva Industrie, avait déposé un recours au tribunal administratif de Saint-Denis. En décembre 2024, le tribunal a ainsi donné raison à Siva Grondein et à sa technologie homologuée par l’Europe. Sur le dossier du traitement de la mouche des fruits, la Daaf intervient à la fois sur le plan technique et sur le plan sanitaire. Boris Calland a accepté de répondre à nos questions.

    Avez-vous une réaction au nom de la Daaf après la décision du tribunal administratif ? France AgriMer n’a pas interjeté appel dans les deux mois, la décision est donc bien définitive…

    Boris Calland : La décision annulée n’est pas l’octroi de l’aide à la SCA Fruits, mais le refus d’aide à Siva Industrie.

    Il s’agissait d’un appel à candidature avec un guichet, un processus de sélection. Bien sur, il y a eu une réflexion pour se dire qu’il n’y avait pas la place pour deux acteurs qui faisaient la même chose, sans doute. Mais rien n’obligeait à choisir entre les deux. Ce qui a été annulé pour vice de forme, c’est la décision de rejet mais, je tenais à faire cette précision, l’aide de la SCA Fruits n’a jamais été attaquée et n’est pas remise en question.

    On était en échange avec France AgriMer mais le processus était géré à Paris, pas ici à La Réunion. Ils ont pris acte de la décision du tribunal. Je ne veux pas préjuger de ce que fera le guichet national. Mais je pense qu’ils vont lever le vice de forme. Y aura-t-il ensuite une différence sur la décision finale ?

    A noter également que Siva Grondein a obtenu en 2024 une aide de 200 000 euros au guichet France 2030.

    Entre 200 000 euros et 2 millions, l’écart est quand même conséquent…

    Bien sur, le montant est moindre. Mais ce n’était pas non plus le même montant d’investissement ni la même capacité en terme de débit. Sa machine a un débit deux fois plus faible que celle de la SCA Fruits. La sienne aurait une capacité de 300kg par cycle, celle de la SCA de 600kg par cycle. Donc ça peut paraître logique que la subvention pour une machine plus grosse soit plus importante.

    La SCA Fruits a obtenu les 2 millions d’euros du plan France Relance, pourtant sa machine n’est pas homologuée par l’Europe…

    Pour pouvoir exporter les mangues, il faut garantir qu’elles n’aient pas la mouche des fruits. Nous parlons là de deux processus différents pour détruire la mouche des fruits. Du côté de Siva, nous avons une solution aggréée au niveau de l’Europe. Du côté de la SCA Fruits, le process correspond au cahier des charges.

    En quoi consiste le cahier des charges ?

    Les mangues doivent être traitées à 46° au moins, pendant 30 minutes. Les deux machines le respectent.

    Nous avons donc une technologie officiellement reconnue par l’Union européenne et pour l’autre, nous mettons en place un processus de suivi et des contrôles renforcés pour vérifier que tout fonctionne comme il se doit. Dans ce cadre, nous reconduisons l’agrément provisoire.

    La SCA Fruits nous indique qu’ils travaillent pour que leur technologie intègre la liste des solutions validées par l’Union européénne.

    Un agrément provisoire renouvelé à chaque fois, est-ce normal ?

    C’est un agrément provisoire, certes, mais rien ne m’interdit qu’il soit renouvelé.

    Il y a un dernier débat qui est légitime : il s’agit de celui sur l’impact organoleptique des deux solutions. Siva Industrie estime que sa méthode conserve mieux le produit. Nous, on n’est pas là-dessus, ce qui nous occupe, c’est la destruction de la mouche des fruits. On n’interdira pas une solution parce qu’elle fait un produit moins bon que l’autre. C’est à chaque entreprise d’expliquer à ses clients leurs pratiques. Les clients tireront leurs conclusions. Ca devient un sujet commercial quelque part.

    Le plus inquiétant ce sont sans doute les photos qui montrent des fruits piqués sur les étals de l’hexagone…

    Je suis un peu surpris, je n’ai pas connaissance d’une telle alerte.

    Ce sont des alertes que nous avons l’habitude de traiter, qu’il faut prendre avec une certaine distance, ne pas tomber dans le ladilafé. Mais dans ces cas là, on peut avoir des contrôles ciblés avec nos homologues de l’hexagone. Mais pour l’instant, ce n’est pas quelque chose qui a eu lieu.

    Que penser du fait que ce sont toujours les mêmes acteurs qui obtiennent les aides publiques ?

    On a regardé la qualité du projet industriel mais aussi du business model, l’approvisionnement en produits et en debouchés potentiels. C’est là-dessus que s’est fait la différence. La SCA Fruits avait une production parmi ses adhérents alors que Siva Grondein devait trouver un approvisionnement. En termes commerciaux, la SCA avait quelque chose de plus élaboré.

    C’est une analyse cohérente pour que le projet soit crédible. La situation aujourd’hui, c’est que les deux acteurs ont pu faire leurs investissements.

    Avez-vous les chiffres des exportations de mangues ?

    On a commencé ce travail mais on n’a pas encore les chiffres.

    Il y a eu une reprise de l’exportation de mangues mais c’est resté sur une quantité limitée. La SCA Fruits s’est appuyée sur Colipays, Siva a aussi fait ses propres colis.

    En 2023/24, on a eu une petite exportation, en raison notamment d’un cyclone précoce. On a fait une meilleure année cette année.

    L’autoclave par ruissellement d’eau de la SCA Fruits est-il toujours opérationnel? Il semblerait qu’il ait été déplacé.

    Oui, il me semble que la machine a été déplacée, mais elle a fonctionné lors de cette saison de mangues.

    Propos recueillis par Jéromine Santo-Gammaire

    A propos de l'auteur

    Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

    En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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