«Si rien n’est fait d’ici 2100, la Réunion ne sera plus habitable» alarme l’enseignant-chercheur Mathieu David

Réunir les acteurs du bâtiment autour des enjeux de transition de l’habitat et de l’économie circulaire à La Réunion : telle était la volonté de la SCIC réunionnaise Alvéoles, ce jeudi 13 mars, à l’occasion d’une journée d’échanges nommée « Fondation I ». Vieille de dix mois, cette structure s’est donné pour objectif de transformer le secteur de la construction durablement, en prenant le rôle de catalyseur d’innovations. Parallèle Sud a assisté à la première table ronde de la journée, sur le thème de l’habitat insulaire en 2050.

A l’occasion du lancement officiel d’Alvéoles, organisé dans la salle du Kerveguen, à Saint-Pierre, plusieurs tables rondes étaient organisées. La première portait sur l’habitat de demain dans un contexte insulaire. A cette occasion, plusieurs intervenant.e.s tou.te.s impliquées dans les questions de transition dans les secteurs du bâtiment et de l’énergie, on pris la parole sur le sujet.

La table ronde a débuté par un bref rappel du dérèglement climatique que nous vivons, à l’échelle globale et locale. À La Réunion, en 2050, et selon les résultats du projet Brio, rapportés par le physicien et enseignant-chercheur Mathieu David, nous aurons six mois de jours chauds, avec des températures pouvant atteindre les 38 degrés. L’île sera classée dans la limite des zones habitables, et si rien n’est fait d’ici 2100, elle passera en zone non habitable. En cause : un dérèglement climatique qui prend racine dans de multiples causes, qui s’entremêlent et s’auto-alimentent, et dont les symptômes sont violents, notamment à La Réunion. De quoi avoir peur, surtout lorsque l’on a en tête les images des toits qui s’envolent, des murs des maisons écroulés, des tôles envolées, au passage récent de Garance.

Saint-Gilles inondation Garance
Une semaine après le passage de Garance, les stigmates sont encore visibles à Saint-Gilles. (Photos PhN)

Des solutions pensées pour un climat déréglé

Dans un monde où il fera plus chaud, plus humide, où les pluies seront plus fortes et les vents des cyclones plus violents, quelles solutions a-t-on pour que les bâtiments résistent et nous protègent du risque climatique ? Maareva Payet est responsable « Recherche et Développement et Qualité Environnementale des Bâtiments » chez LEU Réunion (Laboratoire d’Écologie Urbaine), structure partenaire de la SCIC.

Parmi les solutions proposées par le laboratoire, Mme Payet présente la protection solaire des bâtiments, les stratégies de ventilation naturelle et la végétalisation. Cette dernière a un effet régulateur sur la température et l’humidité de l’air, par exemple. Mais, pour faire face aux cyclones, les innovations devront porter sur la gestion des fortes pluies, la lutte contre les infiltrations d’eau, la résistance des bâtiments aux vents extrêmes, etc.

Par ailleurs, Mathieu David tient à préciser un point : réfléchir aux habitats de demain ne veut pas dire tout miser sur la construction de nouveaux bâtiments résilients, mais bien adapter le bâti existant. « 2050, c’est dans 25 ans. Tous les bâtiments qui nous entourent existeront toujours dans 25 ans, et en 2100. Il va falloir modifier l’habitat, mais aussi et surtout l’environnement. Il faut que les aménageurs plantent des arbres. On l’a bien vu avec Garance : toutes les crues se sont passées dans des endroits artificialisés. Pareil pour nos transports, car la voiture est le premier bétonneur. Donc, il va falloir repenser nos modes de vie. »

Table ronde « L’habitat insulaire en 2050 »

L’habitat de demain, avec les techniques d’hier ?

Les discussions lancées et les innovations présentées, l’heure est aux questions. Une main se lève et interpelle les intervenant·e·s : « Vous parlez d’innovations, de biomasse, de végétalisation des toits, mais qu’en est-il des connaissances des anciens depuis déjà trois siècles ? Des techniques utilisées depuis des décennies sur notre île pour créer de l’énergie et construire les habitats ? Avant d’innover, pourquoi ne regardez-vous pas ce qui a déjà été fait ? »

Mathieu David, en aparté, nous donne son avis : « C’est vrai que, quand les pays occidentaux ont passé les années 50, ils ont balayé tout ce qui avait été fait avant et se sont dit qu’ils allaient faire mieux… en faisant n’importe quoi. Nous, c’est l’inverse : on reproduit ce qu’ont fait les anciens, c’est juste que l’on met de nouveaux mots dessus. » Pourtant, il explique aussi que le contexte a changé, notamment la démographie. « Avant, on était dans un modèle extensif ; aujourd’hui, on est passé à l’intensif. À La Réunion, à l’époque où l’on construisait en biomasse, il y avait moins de 100 000 habitants. Avec le boom démographique que l’on a connu, on ne peut plus appliquer ce qui se faisait avant. Par exemple, on est obligés de faire des étages, de construire en ligne, pour bétonner le moins possible. »

Pour faire valoir les connaissances des anciens, il faudra intégrer la population dans ces projets d’aménagement et de rénovation des habitats. Se pose alors la notion d’acceptabilité sociale.

Murs végétalisés, Greenskin
Mathieu David, enseignant chercheur physicien

Habitats résilients et acceptabilité sociale

Olivier Naria, vice-président de la communauté d’aglomération Civis s’exprime sur ce point. La démarche du choix des investissements à venir concernant l’habitat sur le territoire de la Civis devra être co-construite avec les habitant·e·s. L’idée n’est pas de tout réinventer, de tout refaire, mais de réfléchir ensemble, sur la base de l’acceptabilité sociale des projets d’habitat. « Les futurs projets d’habitat n’auront pas de sens s’ils ne conviennent pas aux bénéficiaires. Il faut les intégrer, comme cela a été fait avec le projet de rénovation urbaine de l’éco-quartier de la Ravine Blanche, et se poser les bonnes questions, c’est-à-dire : à quel coût se fait le projet, et pour quelles familles ? »

Là aussi, Guillaume Hoareau, directeur général de la SCIC Alvéoles, insiste sur la dimension sociale : « Nous souhaitons faire du design thinking, c’est-à-dire intégrer, via des ateliers, l’avis de la population. On va travailler avec les bailleurs sociaux, pour aussi avoir accès aux usagers. Maintenant, il faut que les collectivités territoriales, les acteurs publics, etc. nous rejoignent dans le projet. »

Pour le moment, Alvéoles a accompagné huit projets par différents leviers : le conseil en transition énergétique pour des acteurs du bâtiment, l’accompagnement dans le développement de solutions innovantes pour la construction en climat tropical, et le programme d’accélération pour soutenir des projets considérés à impact. Autour de la table, Benoît Dumortier, cofondateur de GreenSkin, est venu témoigner de l’accompagnement d’Alvéoles dont il a bénéficié pour développer son concept : des toitures et murs végétaux biosolaires, alliant panneaux végétaux et production photovoltaïque.

Sarah Cortier

A propos de l'auteur

Sarah Cortier | Etudiante en journalisme

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique, Sarah souhaite désormais se former au métier de journaliste qui la fait rêver depuis toujours. Persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits et d’apporter de nouveaux regards sur le monde pour le faire évoluer, Sarah souhaite participer à ce travail journalistique engagé aux côtés de Parallèle Sud.

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