Marie Germaine Périgogne, président de la FEDD raconte son retour aux sources.

Enfants de la Creuse : l’histoire vraie d’un déracinement d’État

Arrachée à sa terre natale dans les années 60, Marie-Germaine Périgogne a grandi sous une fausse identité, loin de La Réunion et de sa famille biologique. Victime du programme controversé des « enfants de la Creuse », elle a mené un combat acharné pendant plus de six ans pour faire reconnaître sa véritable identité. Aujourd’hui, à 62 ans, elle témoigne, milite, et incarne la quête de justice et de mémoire d’une génération oubliée.

Saint-Paul, septembre 2024. C’est un moment qu’elle attendait depuis plus de 60 ans. Dans la mairie de Bois-de-Nèfles à Saint-Paul, à La Réunion, Marie-Germaine Périgogne reçoit enfin son véritable acte de naissance, après une vie passée sous une identité d’emprunt. Une cérémonie sobre mais intense, où le maire lui remet un bouquet de fleurs, un poème, et un paquet de racines de vétiver, symbole d’enracinement et de mémoire.

« J’ai ressenti une joie immense, mêlée à une grande crainte. C’était une seconde naissance mais le chemin pour la vérité était encore long », confie-t-elle, les yeux embués.

Une enfance déplacée

Son histoire commence comme celle de milliers d’autres enfants réunionnais entre les années 1960 et 1980, dans le cadre d’un programme orchestré par l’État français. Officiellement destiné à « sauver » des enfants issus de milieux précaires, ce dispositif a déplacé quelque 2 000 mineurs de La Réunion vers l’Hexagone, souvent à l’insu de leurs familles.

Placée en pouponnière à l’âge de deux ans, Marie-Germaine quitte son île avec ses cinq frères et sœurs. Mais dès leur arrivée à Guéret, la fratrie est séparée. Malnutrie, elle est hospitalisée avant d’être confiée à une famille d’accueil. « J’ai vécu des violences, j’avais les pieds en sang, je me cachais sous une table pour me sentir en sécurité », raconte-t-elle. À 7 ans, elle est adoptée par un couple installé à La Brionne, dans la Creuse.

Une identité niée

Dans ce village de quelques centaines d’âmes, elle est la seule enfant noire. « On me répétait : « Je suis ta mère, je suis ton père« , mais je ne leur ressemblais pas. J’étais harcelée à l’école, traitée de négresse. On voulait effacer toute trace de mes origines », se souvient-elle. Sa mère adoptive l’emmène régulièrement chez le coiffeur pour lisser ses cheveux, dans une tentative de « blanchiment » culturel.

C’est à l’adolescence qu’elle découvre la vérité. En fouillant dans un placard, elle tombe sur un document qui la bouleverse : elle s’appelle Marie-Germaine Périgogne, née à La Réunion. Le choc est brutal. « Je me suis effondrée. Pendant toutes ces années, on m’avait menti. »

Une quête de justice

Ce n’est que bien plus tard, à l’âge adulte, qu’elle entame des démarches pour faire reconnaître son identité. Les obstacles sont nombreux : silence des administrations, documents introuvables, blocages judiciaires. Pendant six ans, elle multiplie les lettres, les audiences, les appels à l’aide.

En 2023, elle décide de se rendre au ministère de la Justice à Paris. À son retour à La Réunion, elle est convoquée par le tribunal de Guéret et en février 2024, la juridiction accepte enfin d’annuler son acte de naissance falsifié. Quelques semaines plus tard, un décret officiel entérine son droit à retrouver son nom, prénom et lieu de naissance d’origine.

Une reconnaissance tardive

De retour sur son île natale depuis 2021, ce n’est qu’en septembre 2024 qu’elle reçoit son véritable acte de naissance lors d’une cérémonie officielle à la mairie. « C’est indescriptible. J’ai pleuré. Je me suis sentie entière », souffle-t-elle.

Mais cette renaissance s’accompagne aussi d’un vide. « Psychologiquement, c’est violent. Je deviens à nouveau réunionnaise, je redeviens Marie-Germaine, mais je laisse derrière moi 60 ans d’une autre vie. Ça te bouleverse complètement. »

Retrouvailles et militance

En parallèle, elle parvient à retrouver son père biologique, qu’elle rencontre pour la première fois en 2020. « Il m’a dit : « Je suis ton papa« . On a pleuré. Il m’a avoué qu’il me voyait à la télévision, mais qu’il avait trop honte pour me contacter. » Selon lui, Marie-Germaine aurait dû rester à La Réunion avec sa grand-mère paternelle. Les services sociaux en ont décidé autrement.

Depuis, elle est devenue une figure du combat pour la reconnaissance des « enfants de la Creuse ». Directrice de campagne pour la fondation suisse Guido Fluri, elle milite pour une loi de réparation à l’Assemblée nationale aux côtés de juristes et d’associations. Le collectif demande des réparations financières et symboliques, l’intégration de cette histoire dans les manuels scolaires, et des excuses officielles de l’État français.

Une histoire encore taboue

Si le sujet commence à être reconnu, notamment grâce à l’action de figures comme Karine Lebon ou Érika Bareigts, il reste largement méconnu. « Quand certains Réunionnais disent : « Mais ils ont réussi, pourquoi se plaignent-ils ?« , je leur demande d’imaginer qu’on leur enlève leurs enfants du jour au lendemain, sans jamais donner de nouvelles. »

La majorité des enfants déplacés n’ont pas eu la chance de « réussir ». Beaucoup ont connu des parcours chaotiques, marqués par la précarité, les ruptures familiales et les troubles psychologiques. « On a été traités comme des objets », résume-t-elle.

Écrire pour exister

Aujourd’hui, Marie-Germaine finalise l’écriture d’un livre autobiographique. « J’ai été contacté par un éditeur et si tout va bien, le livre sortira à la fin de l’année. Mais à tous les enfants déplacés je recommande l’écriture même si ce n’est jamais publié. J’écris pour laisser une trace. Pour moi, pour mes enfants. » Elle multiplie également les actions locales à La Réunion, comme des commémorations ou des interventions dans les écoles.

« Je découvre enfin mon île, ses couleurs, ses odeurs. Je me sens chez moi. Je suis enfin revenue. »

Une loi pour tourner la page

Prochaine étape : faire adopter une loi de réparation. Le texte, présenté le 26 mars dernier par la députée Karine Lebon, est en attente d’inscription au calendrier parlementaire. « Il faut que ça aboutisse. Les enfants de la Creuse sont fatigués. Mais on tiendra jusqu’au bout », promet Marie-Germaine Périgogne.

Olivier Ceccaldi

Ajouter un commentaire

⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation. Vous souhaitez signaler un commentaire abusif, cliquez ici.

Articles suggérés