Issue de secours : un manga pour sensibiliser aux violences conjugales

Conçu pour les jeunes âgés de 15 à 25 ans, le manga Issue de secours est un livret de sensibilisation. Il a pour objectif d’éveiller les consciences face aux violences au sein d’un couple.

Sur les premières pages, Elena et Vlad semblent former un couple ordinaire. Ils s’installent ensemble, et s’aiment. Tout paraît simple, léger, presque banal. Puis, doucement, l’équilibre se fragilise. Un ton plus froid, un regard qui juge, une liberté peu à peu retirée. La tension s’installe sans bruit et prend de plus en plus de place. Ce n’est pas de la fiction, ni un scénario dramatique, c’est une histoire vraie. Celle de Marion Mansuy, survivante de violences conjugales. Son récit devenu manga de prévention est porté par une urgence : alerter la jeunesse réunionnaise sur le contrôle coercitif. Une violence sournoise et invisible, qui détruit en silence, derrière les portes closes. « Ce que j’ai vécu il y a 30 ans, je ne savais même pas que ça avait un nom », lance Marion Mansuy, autrice du scénario. « Aujourd’hui, les mots existent, les lois aussi. Mais les jeunes, eux, n’ont pas toujours les repères pour comprendre ce qu’ils vivent », précise-t-elle, avec émotion. « Ce manga, c’est une manière de leur dire : tu n’es pas fou, tu n’es pas folle. Tu as le droit de dire non. »

Le respect comme point de départ

Porté par l’association Yourte la Vanille, Issue de secours est une autobiographie romancée, mise en images par le dessinateur anonyme T. Ensemble, avec Marion Mansuy, ils ont construit un récit de 20 pages autour d’un objectif : rendre visible ce qui, trop souvent, reste invisible. « Les scènes les plus difficiles à dessiner, ce ne sont pas les coups », explique Marion. « Ce sont les silences, les humiliations dissimulées, les petits renoncements du quotidien qui marquent l’emprise. Ne plus pouvoir sortir, perdre son autonomie financière, être coupé de ses proches… Ce sont des violences, mais elles ne font pas de bruit. ».

Chaque page du manga agit comme un révélateur. Chaque case est pensée pour mettre en lumière un signe d’alerte : un mot blessant, un regard qui intimide, une liberté refusée. Des détails que l’on minimise, mais qui sont souvent les premiers rouages d’une mécanique destructrice.

Un outil pédagogique réfléchi

Le choix du format manga n’est pas anodin. « C’est ce que les jeunes lisent, ce qui les attire le plus », explique Marion Mansuy. « Je ne voulais pas créer une brochure froide ou un PDF qu’on oublierait. Mon but était de concevoir un objet vivant, percutant, qui reste en main et dans les esprits. » Pour rendre l’ouvrage fiable et utile, Marion a travaillé main dans la main avec des psychologues et des associations spécialisées. Chaque page est commentée par un petit personnage façon « chibi » qui résume les mécanismes psychologiques à l’œuvre ou rappelle la loi : consentement, violences économiques, isolement, chantage affectif. « Ce n’est pas juste une histoire. C’est presque un manuel. Ce qu’Elena comprend à la fin, ce sont les clés qu’on veut mettre entre les mains de tous les jeunes lecteurs et lectrices », souligne-t-elle.

Pensé comme un véritable outil pédagogique, ce manga est aujourd’hui largement utilisé lors d’ateliers de sensibilisation auprès des jeunes. Il a notamment été adopté par l’association Nous Toutes, qui s’en sert dans ses actions de prévention et de formation.

Une île marquée

À La Réunion, les violences conjugales atteignent un niveau alarmant. En 2023, le ministère de l’Intérieur a recensé 14,6 victimes pour 1 000 habitantes. Le département, auparavant en quatrième position, est désormais le deuxième le plus touché de France. En moyenne, 12 femmes déposent plainte chaque jour sur l’île. Des données qui sont à interpréter avec précaution. Toujours selon le ministère de l’Intérieur, seule 14 % des victimes ont saisi les forces de l’ordre en 2022. Autrement dit, la majorité des situations de violence échappent aux statistiques officielles.
« Le maître mot, c’est le respect : le respect de soi, de l’autre. Rien ne justifie qu’on te fasse disparaître, qu’on t’impose le silence ou qu’on t’enferme dans une relation toxique », conclut-elle avec émotion.

Distribué gratuitement dans les lycées, médiathèques et centres jeunesse de l’île, le livret est également disponible en créole réunionnais. Il est accompagné d’une exposition itinérante et d’une bande-son originale, Anxioromance, pour enrichir l’expérience et renforcer l’impact du message.

Nafida Abdillah