Une enfance réunionnaise Eric Magamootoo

Comment l’enfance réunionnaise d’Éric Magamootoo a « chap lo mail »

LECTURE

Éric Magamootoo n’était jamais venu à la Médiathèque de Saint-Joseph, alors qu’il a été le plus proche collaborateur de Patrick Lebreton lors de son 1er mandat de maire (une longue amitié les lie depuis plus de 35 ans). Il a répondu à l’invitation du directeur de la Médiathèque le mercredi 30 Avril et a présenté son ouvrage : Une enfance réunionnaise – chap lo mail.

En conférence à la Médiathèque de Saint Joseph (photo Médiathèque Saint Joseph)

Pas une autobiographie

Le livre, Une enfance réunionnaise – Chap lo mail, n’est pas une autobiographie à proprement parler. Pas vraiment de dates, pas vraiment non plus de chronologie. Il s’agit plutôt d’un récit de vie, d’un témoignage sur son enfance compliquée, son parcours, la « Rényon lontan ». Il pourrait aussi s’agir d’une sorte de testament littéraire. En effet, c’est après un accident cardiaque grave (infarctus) qu ’Eric Magamootoo a décidé de faire des recherches sur ses aïeux. Son frère Harry, huissier de justice, l’a beaucoup aidé dans ses démarches : archives, évêché, Ile Maurice (Stanley), Inde, etc…. Les informations recueillies ont alors servi à alimenter quelques chapitres de son récit. L’envie, pour ne pas dire le besoin de raconter notamment son enfance, a fait le reste. Cela donne un livre poignant où de nombreux réunionnais peuvent retrouver une partie de leur histoire.

Qui est Eric Magamootoo ?

Sans trop dévoiler le contenu de l’ouvrage, Eric Magamootoo, à La Réunion, tout le monde ou presque en a entendu parler. Avocat dans un grand cabinet de Saint-Pierre, il a rejoint en 2001 son ami Patrick Lebreton (qui venait de décrocher la Mairie de Saint-Joseph) en tant que chef de cabinet, avant de travailler sur le même poste à Saint-Benoît aux côtés de Jean-Claude Fruteau. Il a été pendant de longues années président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Réunion. Aujourd’hui, il coule une retraite heureuse en Grèce, un pays dont il est « tombé amoureux » depuis longtemps, plus précisément dans le Péloponnèse où il cultive des olives. Une bien belle carrière, alors que son enfance dans les bidonvilles de Saint-Denis entre autres, ne le prédestinait pas à un tel parcours. D’où l’expression ajoutée au titre de son livre : « chap lo mail » qui signifie littéralement : échapper aux mailles du filet de son destin.

Des ancêtres mauriciens et malgaches

Il a fallu du temps à l’auteur et à son frère pour retrouver des informations sur leurs grands-parents, arrières grands-parents, … Ancêtres maternels originaires de Madagascar, d’abord esclaves, puis affranchis. Ancêtres paternels, originaires d’Inde, qui ont « fait le voyage » (ô combien compliqué et dangereux) pour s’installer à l’île Maurice comme engagés. Quand on parle d’immigration à la Réunion (mais aussi ailleurs), on en a un exemple parmi tant d’autres : nous sommes tous quelque part issus de l’immigration, le métissage est présent partout, encore plus ici où de nombreuses communautés cohabitent dans le plus profond respect les unes des autres. Qu’on soit zarab, chinois, cafre, malbar, comorien, mahorais, yab, zoreil, le « vivre ensemble » est vraiment l’un des points forts de notre île et l’auteur évoque cela à plusieurs reprises dans son ouvrage…

En animation à Paris (site librairie Riveneuve)

Un zanfan la misèr

La famille Magamootoo a connu d’abord le bon avec commerces et terrains, avant de connaître le moins bon, voire le pire, quand les grands-parents sont décédés jeunes, laissant leurs enfants (les parents d’Éric) se débrouiller seuls. Il leur a fallu d’abord vendre commerces et terrains, et se résoudre à habiter dans différents bidonvilles de Saint Denis.

Enfance difficile, Eric Magamootoo sait de quoi il parle quand il parle de « zanfan la misèr ». Pas toujours de quoi manger, se coucher le ventre vide n’était pas rare, même si la solidarité entre les habitants qui n’avaient rien ou peu était la règle. On partage le peu qu’on a ! Papa chauffeur de taxi, « peu présent à la maison », mais qui apportait un peu d’argent, de quoi faire quelques courses au jour le jour… Et puis, la violence, toujours et partout, avec un papa qui « totochait » souvent (coups, mais aussi ceinture ou ceinturon…) et des enseignants bien différents de ce qu’ils sont aujourd’hui, et qui appliquaient une discipline de fer, souvent avec châtiments corporels, voire humiliations.

L’école, un socle …

Si la violence a fait partie quotidiennement ou presque de sa vie d’enfant, l’école a toujours eu une « vraie » place. Bien que dyslexique, et longtemps en difficultés scolaires, l’auteur a réussi au fil du temps, grâce à la confiance notamment de sa maman, mais aussi d’une grande volonté et d’un travail acharné, à « chap lo mail ». Grandir dans des bidonvilles et finir avocat et président d’une chambre de commerce, c’est un parcours qui mérite le respect. Le scolaire et le travail de certains enseignants, notamment au moment des années lycée, ont aidé à forger l’homme qu’il est devenu. Pour Eric Magamootoo, l’éducation est l’un des socles primordiaux de notre société. Il en parle très souvent dans son livre.

Autre socle primordial, la culture

Et puis ce qui a marqué aussi l’enfant puis l’adolescent, c’est l’ouverture à la culture. L’auteur allait quelquefois au cinéma (il travaillait pour cela « pou gingn in ti moné »). Depuis l’âge de sept ans, il allait assez souvent au cinéma (Ritz, Rio, Plaza) et connaissait Bronson, Belmondo, Lancaster ou Delon. En classe de quatrième, un professeur remplaçant parle aux élèves d’un film diffusé au CRAC (Centre réunionnais d’action Culturel) : Zazie dans le métro. Il en parle à son père, qui grâce à une connaissance qui travaille au cinéma lui permet de rentrer gratuitement.

Un « déclic » ! Il revient régulièrement voir d’autres films (Visconti, Gance, Fellini, Chabrol, Godard) et se forge une vraie culture cinématographique. Il découvre dans la foulée les livres et la musique (Ferré, Nougaro, Brel, Brassens), la beauté de l’art au sens large, mais aussi un certain anticonformisme et une certaine révolte. La culture et l’accès à la culture pour tous sont, pour Éric Magamootoo, primordiaux

Le livre, mes impressions

Le parcours de l’auteur est raconté sans faux-semblants, avec sincérité. La vie dans les bidonvilles est décrite dans sa plus froide vérité, sans concession par rapport à cet héritage colonial. Le témoignage est à la fois personnel, mais aussi historique. La Réunion d’il y a cinquante ou soixante ans, c’était cela. Des quartiers très pauvres, et quelques îlots de maisons avec des gens très riches, ou plutôt à l’aise financièrement. Ces deux mondes ne se mélangeaient pas. L’émotion est souvent présente, l’amour de sa mère est en filigrane tout au long du livre, ainsi que l’espoir dans cette société réunionnaise post-coloniale multiculturelle. Et puis, bien sûr, il rappelle et insiste sur les rôles primordiaux de l’école et de la culture.

Les autobiographies ont parfois des moments un peu « creux ». Ce récit de vie, présenté en chapitres assez courts, et parfaitement ciblés sur un thème, j’ai personnellement trouvé le choix judicieux, bien pensé, car cela évite l’éparpillement.

Dominique Blumberger

Morceaux choisis

« Je n’ai jamais manqué d’amour et de respect pour elle (sa maman), malgré les peurs qui la tenaillaient et qu’elle projetait malgré elle sur moi. Je n’ai jamais manqué de l’amour extraordinaire de cette femme, dont le caractère a été forgé par une société coloniale, fondée sur un ordre social et raciste »

« La Réunion n’était pas encore à cette époque un modèle de « vivre ensemble ». Mais il existait cependant une vraie solidarité entre les gens modestes. J’ai grandi dans un pays où l’on vivait côte à côte, dans le respect de l’ordre établi. Il convenait de ne pas faire de vagues. »

« « Ma drès a ou, ou va voir kom ou va marche droit mon ti kouyon ». Et les coups tombaient, accompagnés d’insultes les plus dégradantes. L’entreprise de dressage et d’humiliation était à l’œuvre et j’en subissais les affres. La violence était la base de mon éducation, les coups de ceinture, de fouet, pour une bêtise, un mot de travers, une mauvaise note, aucune discussion possible. »

« L’expression « mi lé pa ton komor » était et est toujours utilisée pour signifier « Je ne suis pas là pour supporter tes caprices et abus ». […] Il n’y avait pas de distinction avec les mahorais, tous étaient totalement intégrés et acceptés. »

NB : L’ouvrage « Une enfance réunionnaise – chap lo mail » est édité aux Editions Riveneuve

A propos de l'auteur

Dominique Blumberger

Reporter citoyen. Ancien enseignant et directeur à la retraite, Dominique Blumberger a rejoint les rangs de Parallèle Sud quelques mois après son lancement. Passionné de musique, gros lecteur, il propose d’ailleurs souvent des avis sur ce qu’il a lu, il affectionne plus particulièrement les portraits et les reportages.

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