[Libre expression] L’empreinte d’une ville, espace-geste-territoire  

L’OEUVRE DE POESIE POLITIQUE D’ANNAF

« L’empreinte d’une ville, espace-geste-territoire »… c’est l’intitulé de l’exposition proposée actuellement par Annaf, artiste plasticienne, à la médiathèque du Tampon. Une œuvre de poésie politique qui interroge et décline de manière sensible le territoire de l’île et de la ville. Installations, séries de dessin, œuvres numériques, sculptures participatives à disposition du public, et une œuvre collective de grande dimension réalisée en résidence d’artiste au RSMA de la Réunion avec les filières Métalliers et Carrossiers… viennent donner corps à une recherche que l’artiste avait entamée il y a quelques années à l’Ecole Supérieure d’Art et qui trouve ici son aboutissement dans une mise en vue signée Yohann Quëland de Saint-Pern. Ci-dessous le texte du commissaire.

L’empreinte d’une ville, 230 sculptures de 9x16x28cm, bois de charpente, encre noire 230 xylographies de 15x22cm,papier 300gr, encre. Installation, dim variable (350 cm x 450 cm), 2017. (détail) photo : Annaf

JE N’AI RIEN À DIRE ET … j’écris quand même sur

Annaf produit des formes

Annaf convoque des gestes

Annaf peint, mais elle emprunte aussi, et rend assez facilement. Cela passe par son usine— mentale—sensible au délire du monde. Le sien, comme bien d’autres, est multiple. Et ça l’amuse (enfin, je crois) et moi aussi d’ailleurs.

Annaf s’amuse (je pense) et moi aussi d’ailleurs.

Ce que j’aime chez Annaf, ce sont les protocoles, plus ou moins jusqu’auboutistes à tendance bouddhiste mais pas que ! Au fond elle sait que Le génie, c’est l’erreur dans le système – Paul Klee.                   

L’empreinte d’une ville, 230 sculptures de 9x16x28cm, bois de charpente, encre noire 230 xylographies de 15x22cm,papier 300gr, encre. Installation, dim variable (350 cm x 450 cm), 2017. (détail) photo : Annaf

Dans Je n’ai rien à dire et titre éponyme de la citation Je n’ai rien à dire et c’est ce que je dis de John Cage, Annaf crée une série de visuels peints (plus précisément appelés acrylique pour papier pour ce qui est de la technique) à partir de petits tampons colorés, ronds ou carrés.

–  Allons-y ! s’est-elle sûrement dit.

–  Organisons une surface, qui traduirait de mes motifs-zarchaïques* les phrases de ces illustres artistes ! – ayant fait leurs preuves, en tout cas c’est sûr, reconnus de leurs pairs. Elle est belle cette proposition de réunir sous cet énoncé énigmatique de John Cage, les grands noms de l’art, tout.es artistes, tout.es ayant quelque chose à dire aux vivants.
Est-ce une manière d’attirer leurs sympathies, la majorité d’entre eux sont morts…
Ou est-ce pour s’y frayer un chemin ?
Annaf fait du dessin.               
Une ligne est un point qui est parti marcher – Paul Klee.
Annaf aime la peinture, et les surfaces colorées.
Painting is by nature a luminous language – Robert Delaunay, et ça lui parle.
Annaf lit.
Elle lit et, j’imagine, aime lire. Elle lit et cette série d’espaces, de surfaces colorées qui en découlent directement, c’est une liste de lecture, une playlist si on s’en réfère à son passé de programmeur en informatique.         

Et on pourrait se dire, mais à quoi cela ressemble ? Et elle a réponse à tout. Car elle est bien accompagnée. Elle a su, en tout cas, pour ce qui l’intéresse présentement, s’entourer, et puis mettre en place ce qui donne du courage aux jeunes artistes, lire et entendre non pas les « praticiens » de la culture (la culture n’a rien à voir avec l’art ou une oeuvre d’art), mais bel et bien, les artistes, ceux qui éprouvent l’art, qui le constituent, qui le pensent et qui le gestent. L’artiste pense en geste.      
Peindre signifie penser avec son pinceau – disait Paul Cezanne.                
L’œuvre processuelle se vit en amont de ce que l’on aura à voir et de ce qui est montré. Elle peut- être une somme, le résultat de, ou des ensembles de possibles.
Le grand ennemi de l’art c’est le bon goût disait Duchamp, ce n’est pas moi qui lui donnerai tort, et puis à quoi bon, il est déjà mort.                         
Dans un article paru en 2010 de Jean-Max Colard “Quand la littérature fait exposition”, l’auteur revient sur une série de propositions ou venait s’opérer un jeu qu’il nomma transmédialité ?   

 

« Annaf semble nous alerter sur les forces en présence. Le combat d’une île au regard de l’activité humaine, toujours prompte à aménager, construire, cartographier, planifier, maîtriser, façonner selon les normes en vigueur et autres programmes mis en place pour administrer le vivant, l’organiser »

Extrait : “La transmédialité” n’est pas une simple juxtaposition dans un espace donné de plusieurs pratiques différenciées, elle désigne davantage une compénétration de ces pratiques, un jeu d’échanges, de change, un enchaînement intégré de processus et d’opérations dans lesquelles la littérature peut se trouver elle aussi engagée, au même titre que les autres médias, au même titre que les images que les artistes récupèrent, recyclent, retraitent dans un circuit tout sauf linéaire. La déhiérarchisation culturelle est ici symptomatisée non par l’intégration de culture populaire dans les formes high de l’art (chose acquise et assimilée au moins depuis le pop art), mais plutôt par la présence dissonante d’une culture « légitime », en l’occurrence ici plutôt livresque, parmi les références plus « illégitimes » et les formes pop de l’art contemporain.  (source :https://www.cairn.info/revue-litterature-2010-4-page-74.htm).

Cette transmédialité est palpable dans la manière dont un certain nombre de processus sont mis en place ici dans cette exposition “l’empreinte d’une ville” (Espace – Gestes – Territoires).“L’empreinte d’une ville” est le traitement par l’artiste d’un document, les actes du colloque : « Villes, Habitat et aménagement » qui s’est tenu à L’Île de la Réunion en 1993. L’artiste en fait une installation composée de 230 blocs de bois de charpente, reprenant les 230 pages de ce livre, le re-déployant dans l’espace sous la forme d’une structure textuelle apparente vidée de son contenu, du bois et du papier : Une Ville est née. Ce livre est devenu un ensemble de sculptures et d’empreintes installées.   

L’interprétation de ce document permet à l’artiste de mieux appréhender la chose Politique, par la manipulation et la convocation de plusieurs gestes à l’œuvre, ici, sculpter, encrer, imprimer, réorganiser en un territoire.  

 

Les Mascareignes : 47 îles que je ne connais pas et 3 connues, 50 peintures, acrylique sur papier 300 gr, de 22 cm x 28 cm installation dim variable, 2017. photo : Annaf

Impressions des îles, 31 sculptures de 9x5x12 cm, béton, papier, mine de crayon Installation dim variable (350 cm x 400 cm)
2022, (détail). Photo Annaf.

Espace—GesteTerritoire

La notion d’Espace est bel et bien une notion abstraite. Il lui faut un corps afin de s’y incarner, mais pas n’importe quel corps. Il lui faut un corps capable de produire des gestes, de poser le champ du possible sous la forme de processus. Ici, le corps de l’artiste. Et c’est de cette somme effectuée de processus que naissent les territoires et toutes sortes de territoires. “Des gestes de territorialisation” se succédant à “des gestes de déterritorialisation”, une politique des Devenirs comme aimait à le penser Gilles Deleuze. Un ensemble processuel qui ne se situerait ni dans la représentation, ni dans l’Histoire, mais bel et bien dans les géographies nomades, et parcourues de lignes de fuite.

Dans le corpus présenté ici de l’exposition, l’attention d’Annaf s’est portée sur le territoire d’une Île, celle qu’elle habite. S’il est une chose que je peux dire, c’est que c’est une belle manière de vivre un territoire, cela en essayant de le saisir, et de le rendre compréhensible aux autres.

Géopuzzle, 12 chassis 40 cm x 40 cm Acrylique sur toile, 2020 – 2021. photo : Annaf

Restitution de résidence d’artiste au RSMA-R, colonne de 7 pièces peintes colonne de 3 pièces brutes vidéo 7’3, 2022 (détail). Photo Annaf

C’est une belle manière et cela n’enlève en rien la pensée critique qui semble poindre. C’est l’idée d’une Île—ville que l’on pressent, qui apparaît et prend place sous nos yeux. Cette dualité est mise en place par l’artiste autant dans les matériaux utilisés (bétons—bois de charpentes—bois de coffrage—papier) que dans les actes de création (sélectionner—cartographier—photographier— tamponner—organiser—tramer—coder).

Ici Annaf semble nous alerter sur les forces en présence. Le combat d’une île au regard de l’activité humaine, toujours prompt à aménager, construire, cartographier, planifier, maîtriser, façonner selon les normes en vigueur et autres programmes mis en place pour administrer le vivant, l’organiser. Cette population se tient alors face à cette terre qu’elle revendique, mais qui se transforme au fur et à mesure de son action. Cette exposition se présente alors comme une pensée de poésie politique offerte à l’île et à ses habitants.

Quoi que tu penses, pense autre chose – Filliou

Yohann Quëland de Saint-Pern, Avril 2022

« L’empreinte d’une ville, espace-geste-territoire », exposition d’Annaf, commissariat de Yohann Quëland de Saint-Pern, Médiathèque du Tampon, jusqu’au 29 juin 22. Entrée libre.

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