Dans cet article, nous revenons en détail sur une affaire de violences sur mineurs par un parent, qui a été jugée au mois d’avril par la chambre correctionnelle du tribunal de Justice de Saint-Pierre. Une immersion pour mieux comprend les mécanismes en place dans la violence intrafamiliale et plus spécifiquement ici, dans les violences envers les enfants.
Il est un peu plus de 9 heures lorsque M. X* prend place dans le box des prévenus du tribunal correctionnel de Saint-Pierre. Visage fermé, silhouette un peu voûtée, il comparaît pour des faits de violences sur ses deux enfants mineurs — des violences physiques et psychologiques qui s’étalent sur plusieurs mois, mais dont un épisode, survenu en octobre 2024, concentre l’attention ce matin-là.
Des faits de violences têtus
Ce 20 octobre, après deux mois sans voir ses enfants, M. X les reçoit à son domicile. Il boit beaucoup, mêle anxiolytiques et alcool. Au cours de la journée, sa fille Émeline*, 12 ans, et son fils Édouard*, 6 ans, deviennent les cibles de sa colère et de sa violence. Deux gifles assénées au visage d’Émeline ; un épisode surréaliste s’ensuit où, nu, il défèque partiellement sur son fils, dans la douche.
La présidente continue son énoncé des faits. Les témoignages des deux enfants concordent : violences récurrentes, alcoolisation chronique du père, enfermement à clé pendant ses absences. Elle rappelle que plusieurs mois auparavant, un professeur du collège, inquiet à la vue des marques sur le bras d’Émeline, avait déjà déclenché une information préoccupante. Depuis, la séparation parentale s’est durcie, l’accès aux enfants restreint.
Le prévenu : le déni sous couvert de justification
Face à la présidente qui l’interroge, M. X s’explique longuement. Il raconte une histoire différente en expliquant tout d’abord que c’est sa fille qui est venue nue dans la douche alors qu’il y était déjà avec son fils avant d’expliquer qu’en fait non, la gifle est arrivée plus tôt dans la journée à l’extérieur de la maison. Bref rien ne semble clair dans son rappel des faits.
Il ne nie pas avoir giflé sa fille, mais il s’empresse d’en expliquer la cause : « Elle est très dure. J’ai tout essayé. » Son discours oscille entre dénégation et minimisation : il reconnaît des gestes mais les replace systématiquement dans un contexte où l’enfant serait fautive, manipulatrice, provocatrice. Une stratégie fréquente, qui traduit une difficulté — voire une impossibilité — à reconnaître une responsabilité pleine et entière.
Lorsque la présidente lui rappelle que son fils confirme les dires de sa sœur, il botte en touche. Son récit se délite, mais il persiste : ce serait sa fille qui exagère. Derrière ses mots, on décèle les contours d’un schéma mental bien connu des spécialistes des violences intrafamiliales : l’agresseur rationalise, inverse la culpabilité et s’abrite derrière un discours de contrôle parental légitime. Avec cette affaire, on a aussi très rapidement un exemple de la misogynie du comportement du père : si son fils est inattaquable, sa fille, elle, est forcément contre lui.
La double peine des victimes
Pendant ce temps, à la barre, la mère — partie civile — témoigne de la détresse de ses enfants. Émeline fait des crises d’angoisse à la vue du véhicule de son père ; elle oscille entre peur et désir de reconnaissance paternelle. Edouard, plus jeune, subit aussi, bien que le père conserve un droit de visite sous supervision.
L’avocate de la mère et des enfants interpelle également le prévenu et tente de remonter en amont des faits exposés ce jour, elle cherche à démontrer que cette violence n’est pas arrivée tout d’un coup. Elle lui montre des échanges de messages avec son ex-compagne qui questionnent sur sa rationalité, évoque les différences de comportements du père avec sa fille puis avec son fils.
Elle rappelle néanmoins avec force que « ce n’est pas une question de préférence parentale mais bien de violences. » Elle souligne les gestes répétés : claques sur les fesses, coups sur la tête — autant de micro-violences invisibles qui s’accumulent.
« Le prévenu a du mal à comprendre la détresse de sa fille. Il nous parle des bons moments alors que personne ici ne cherche à nier cela. On ne lui reproche pas des faits de préférence mais des faits de violence. » Avocate des plaignants
Quand la défense flirte avec la culture du viol
Mais c’est lors de la plaidoirie de la défense que l’audience bascule dans une autre complexité. L’avocate de M. X multiplie les arguments qui, sous couvert d’humaniser son client, minimisent les violences.
Elle parle d’« un week-end funeste », évoque un homme « fou de joie, qui s’enivre et boit plus que de raison » à l’idée de revoir ses enfants.
Elle évoque un proverbe africain pour expliquer que, dans les conflits parentaux, il n’est pas exceptionnel que les enfants soient « piétinés » — une façon d’évacuer la responsabilité individuelle dans un conflit présenté comme inévitable. Surtout, elle suggère que la fille, « petite femme de son papa avant la naissance de son petit frère », aurait été jalouse et engluée dans les tensions parentales.
« Il y a un proverbe africain qui dit “ Quand deux éléphants se rencontrent, c’est l’herbe qui est piétinée “ malheureusement dans un conflit parental, ce sont les enfants qui trinquent ». Avocate de l’accusé
Ces stratégies rhétoriques rappellent les mécanismes de la culture du viol : dilution de la responsabilité, minimisation de la gravité, culpabilisation de la victime. Ici, transposées dans la sphère familiale, elles contribuent à invisibiliser la parole de l’enfant. Si l’impératif de liberté dans la plaidoirie des avocats est essentiel pour une justice équitable, on peut s’interroger sur l’utilisation de certains mots notamment dans des affaires de violences. Dans un article paru récemment, Mediapart développe de cette notion de « victimisation secondaire » des plaignant.es notamment dans les affaires de violences sexuelles mais que l’on observe dans d’autres cas de violences également.
Cette notion est utilisée en droit européen, notamment par la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui a par exemple condamné la France à plusieurs reprises dans un arrêt rendu le 24 avril 2025. La CEDH considère que dans les trois affaires de violences sexuelles sur mineur sur lesquelles elle avait à statuer, à chaque fois, « les autorités d’enquête et les juridictions internes ont failli à protéger, de manière adéquate, les requérantes qui dénonçaient des actes de viols alors qu’elles n’étaient âgées que de 13, 14 et 16 ans au moment des faits. »
Un jugement équilibré
Au terme de l’audience, le tribunal tranche avec fermeté en suivant la réquisition du ministère public : 12 mois d’emprisonnement assortis d’un sursis probatoire de deux ans avec obligation de soins, de travail, stages de parentalité. L’exercice de l’autorité parentale lui est également retirée ainsi que son droit de contact avec sa fille.
Une peine qui privilégie un accompagnement socio-judiciaire et qui peut questionner alors que l’infraction retenue peut entrainer une peine d’emprisonnement d’une durée de 5 ans et le paiement d’une amende de 75 000 euros.
Un jugement qui tente de concilier sanction et protection. Mais qui, surtout, rappelle combien, dans ces affaires, la reconnaissance pleine et entière des faits par le prévenu reste un combat en soi.
* Noms et prénoms modifiés pour protéger l’identité des victimes et du prévenu
Olivier Ceccaldi
Violences intrafamiliales : chronique d’une audience au tribunal de Saint-Pierre
Dans cet article, nous revenons en détail sur une affaire de violences sur mineurs par un parent, qui a été jugée au mois d’avril par la chambre correctionnelle du tribunal de Justice de Saint-Pierre. Une immersion pour mieux comprend les mécanismes en place dans la violence intrafamiliale et plus spécifiquement ici, dans les violences envers les enfants.
⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation. Vous souhaitez signaler un commentaire abusif, cliquez ici.