Jeudi dernier, lors d’un rassemblement devant le tribunal de Saint-Pierre pour demander plus de justice pour les enfants, une militante porte une pancarte sur laquelle on peut lire « Mère protectrice protégée, père accusé auditionné, non à l’inversion du crime ». Des mots qui interpellent sur une réalité souvent oubliée, celle des mères qui se voient accusées alors qu’elles tentent de protéger leurs enfants dans les affaires de violences intrafamiliales (VIF).
Qu’est ce qu’une mère protectrice? Dans l’inconscient collectif, on va souvent penser à une maman poule qui couve trop ses petits, qui exagère tout lorsqu’il s’agit de ses enfants. Des préjugés qui peuvent être dévastateurs notamment lorsqu’ils s’imposent dans la procédure judiciaire, et que les pères accusés de violences sur leurs enfants deviennent victimes alors que les mères, qui protègent, sont perçues comme des hors-la-loi notamment lorsqu’elles refusent de présenter leur enfant.
Un système de protection de l’enfance défaillant
Dans le cadre d’une procédure judiciaire suite à la révélation de faits de violences d’un des deux parents, la victime mineure peut faire l’objet de mesures de protection immédiate : placement d’urgence en famille d’accueil, intervention de l’aide sociale à l’enfance (ASE), désignation d’un administrateur ad hoc en cas de défaillance des deux parents.
Pourtant, de nombreuses associations dénoncent une carence dans la mise en oeuvre de ces mesures de protection. Samira Benhamida, fondatrice du collectif les Tricoteuses de France alerte par exemple sur l’absence d’effet juridique concret des signalements.
En 2021, un recensement national des mères protectrices d’enfants victimes d’incestes paternels a pu établir quelques chiffres et surtout révéler un constat alarmant. Dans 40% des situations où le père est accusé de violence envers l’enfant, la mère est condamnée pour non représentation de l’enfant ; 82% des enfants victimes âgées de 4 à 5 ans sont confiées au père en garde exclusive. Dans un article qui relaie l’enquête, la neurothérapeute Rosalie Cardullo, dénonce une justice qui se « rend complice de l’agresseur » et « met en cause la victime et non l’agresseur ».
Le calvaire des « mères protectrices »
On parle des mères protectrices dans les situations où le père est celui qui est l’auteur des violences sur un ou plusieurs de ses enfants. Une situation plus que fréquente dans les violences intrafamiliales peu importe le type de violences (il n’y a pas de chiffre exact mais on sait néanmoins que dans les situations de VIF non conjugale, dans 64% des cas l’auteur est un parent et dans 80% des VIF en général, l’auteur est un homme).
Contactée suite au rassemblement devant le tribunal de Saint-Pierre, Jessy Yongpeng, présidente de l’association EPA (Ecoute-moi, Protège-moi, Aide-moi) qui vient en aide aux victimes de violences et qui accompagne des mamans et leurs enfants dans leur combat juridique, constate que « trop souvent l’idée de la manipulation et de l’instrumentalisation de l’enfant est utilisée à l’encontre des mères » dans les affaires de violence où l’auteur est le père.
Elle reconnaît même que dans de trop nombreux cas où les violences sont constatées et avérées par des éléments concrets (certificat médical, plaintes, témoignages), « la voix de l’enfant est mal interprétée et on fait passer la violence du parent pour un conflit conjugal ».
Dans un article, maître Serge Losappio, avocat à la Cour, explique que les rapports d’expertises sont parfois contestables tant ils se basent par exemple sur des « présupposés idéologiques qui tendent à faire primer l’impératif de non-exclusion du père et de maintien des liens familiaux » ou utilisent des « formules vides de sens véritable » qui vont comparer les abus subis et dénoncés à des conséquences de la « relation pathologique du couple ».
« Je me suis sentie coupable »
Ce calvaire, Alexandra* le vit depuis près de trois ans. Fin 2022, une enquête sociale révèle des faits de violences subis par sa fille alors âgée six ans et dont l’auteur est le père dont Alexandra est alors divorcée. Pourtant, alors même que sa fille raconte que son père l’a forcée à de nombreuses reprises à regarder des films pornographiques, la machine juridique et judiciaire va très vite montrer ses limites.
Le procureur en charge de son affaire change et le groupe d’enquête avance très lentement, sans qu’elle soit informée d’une quelconque avancée. Le juge des affaires familiales refuse sa demande lorsqu’elle tente de faire annuler le droit de garde alternée de son ex-conjoint. L’enfant est alors à nouveau victime, et cette fois-ci raconte un viol. Une nouvelle plainte est déposée par Alexandra et sa fille doit à nouveau revivre les mêmes questions, les même examens médicaux.
Une triple violence
Face à la juge des affaires familiales, elle se voit reprocher son célibat alors que le père, pourtant accusé d’agressions sexuelles multiples, est perçu comme un bon père de famille car en couple et bientôt papa d’un nouvel enfant.
Alexandra explique s’être « sentie jugée » sur sa vie personnelle. On lui reproche également d’utiliser sa fille dans le cadre d’un conflit avec son ex-mari qui va aller jusqu’à porter plainte contre elle pour non présentation de l’enfant. Une technique souvent utilisée dans ces situations-là. Dans le cas d’Alexandra, elle va écoper de 4 mois de prison avec sursis alors qu’elle est toujours sans nouvelles des deux plaintes déposées contre son ex-mari suite aux révélations de sa fille. « J’ai été diabolisée. On nous (les mères) considère comme défaillantes si on s’occupe seule de son enfant. »
Le système, censé protéger les victimes devient alors oppresseur et crée de la violence supplémentaire : la victime subit une nouvelle agression, ses déclarations sont perçues comme des affabulations et la mère, qui protège son enfant, se voit finalement déclarée coupable.
Mobilisation nationale
Le système ici a failli mais malheureusement, ce témoignage n’est pas unique et le combat des « mères protectrices » est aujourd’hui un sujet national. Fondé par Sihem, en janvier 2023, le collectif Insecticide regroupe de nombreuses mères qui ont connu une situation similaire et qui se sont regroupées pour agir collectivement.
Ce mardi à Paris se tenait d’ailleurs une conférence de presse organisée par le collectif pour dénoncer un système qui selon elle « banalise les viols des enfants ». Ce vendredi 23 mai, le collectif sera présent à l’Assemblée Nationale pour prendre la parole devant les députés et lire certains témoignages de mères protectrices qui ont été recueillis dans le cadre de « l’appel des 500 mamans », une pétition collective pour alerter sur cette problématique.
« Il est urgent que l’on puisse s’organiser collectivement pour dénoncer un dysfonctionnement systémique » Sihem, fondatrice du collectif Incesticide.
Présente mardi lors de la conférence de presse, la présidente de l’association EPA se réjouit que des initiatives de ce genre existe alors que sur l’île de La Réunion, elle a créé la page Facebook Metooinceste974 qui propose des groupes de paroles et de soutien sur l’ensemble de l’île. Elle rappelle également que « si la présomption d’innocence est un principe fondamental », il faut privilégier le principe de précaution et donc « ne pas remettre l’enfant au parent mis en cause » tant que la procédure n’est pas terminée.
Le chemin semble encore long pour que le système judiciaire prenne en compte les demandes des collectifs et associations mais l’actualité le démontre, la protection de l’enfance est aujourd’hui un enjeu national.
Olivier Ceccaldi
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