LIBRE EXPRESSION
Imaginez-vous au travail, en train de préparer une réunion importante. Votre collègue, atteint de diabète, sort discrètement son lecteur de glycémie sous la table, ajuste son insuline, puis reprend le fil de la discussion. Ce geste, s’il attire parfois la curiosité, est généralement accepté, compris, et même respecté. Mais si, à la même table, une personne bipolaire traverse une phase de dépression et peine à se concentrer, à sourire ou à participer, que va-t-on penser ? Trop souvent, ce sera l’incompréhension, le jugement : « Il exagère, il n’a pas la tête au travail, il n’est pas fiable… » Voilà toute la violence du handicap invisible.
Vivre la bipolarité au quotidien : des obstacles silencieux
Pour une personne bipolaire, chaque journée est une épreuve d’équilibriste. Se lever le matin peut demander un effort colossal, surtout lors des phases dépressives où la fatigue et la perte d’énergie sont écrasantes. Aller faire les courses, répondre à un message, ou simplement sourire à ses proches deviennent des montagnes à gravir. À l’inverse, lors des phases d’exaltation, l’énergie déborde, les idées fusent, mais l’entourage peut être déstabilisé par cette agitation soudaine, cette impulsivité, ces projets irréalistes. Les relations familiales, amicales ou professionnelles en souffrent, car les autres ne voient rien, ne comprennent pas toujours, et finissent par s’éloigner.
Prenons l’exemple de Tibo, qui témoigne :
« La société, et particulièrement le monde du travail, induit que je cache mes symptômes, que je veille à ne pas trop tâcher mon milieu avec ma maladie. Ce cadre dissonant dans lequel je suis forcé d’évoluer renforce les effets délétères de la maladie. »
Le diabète : un autre handicap invisible, mais mieux compris
Le diabète aussi est un handicap invisible, mais il bénéficie d’une reconnaissance sociale bien différente. Anaïs, jeune étudiante diabétique, raconte comment elle devait s’isoler pour faire ses injections d’insuline, craignant le regard des autres. Mais, au fil du temps, elle a pu expliquer sa maladie, trouver des aménagements, et se sentir acceptée. Un diabétique peut demander à s’absenter pour une hypoglycémie, ou refuser un gâteau lors d’un anniversaire, sans être jugé. Le diabète est intégré dans la vie quotidienne, au point que certains, comme Alexandra, affirment :
« Il est important pour moi que le diabète ne m’empêche pas de vivre. Pour cela, je dois faire du diabète une partie intégrante de mon existence. »
À La Réunion, l’isolement renforcé
À La Réunion, la situation est encore plus complexe. Le diabète y est reconnu comme un fléau, mobilisant l’attention des institutions. Le diabète est un véritable fléau à La Réunion, où la prévalence atteint 13,6 % chez les adultes, soit plus de deux fois la moyenne observée en métropole. En 2022, ce sont près de 86 500 Réunionnais qui étaient pris en charge pour leur diabète, un chiffre qui sous-estime la réalité puisque de nombreux cas restent non diagnostiqués.
Mais la bipolarité reste taboue, peu diagnostiquée, peu prise en charge. Les personnes concernées vivent souvent dans le silence, redoutant le rejet, la stigmatisation, ou même la moquerie. Les crises sont cachées, les traitements pris en secret, les absences justifiées par des « maux de tête » ou des « problèmes familiaux ». Le handicap invisible devient alors un poids qui isole et use, jour après jour.
Le droit à la banalité : un combat pour la dignité
Nicolas Demorand, en révélant sa bipolarité, nous rappelle l’essentiel : chacun devrait avoir le droit de dire « je suis bipolaire » aussi simplement que « je suis diabétique » ou « j’ai la grippe ». Le droit à la banalité, c’est le droit de ne plus se cacher, de demander de l’aide sans honte, d’être reconnu et respecté dans sa différence. C’est aussi notre responsabilité collective : accueillir la parole de l’autre, adapter notre regard, et faire de la société un espace où chacun peut vivre pleinement, avec ou sans handicap invisible.
Parce que demain, au détour d’un couloir d’entreprise, d’une salle de classe ou d’un repas de famille, ce sera peut-être vous, ou l’un de vos proches, qui aurez besoin de ce droit à la banalité. Ouvrons les yeux, tendons la main, et refusons que l’invisible soit synonyme d’oubli ou d’exclusion.
« La maladie est pour moi un état, j’ai décidé maintenant d’en faire un combat. »
(Nicolas Demorand)
Frédérique Welmant
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