Syndicat national des journalistes
Déclaration du Syndicat national des journalistes lue par Vincent Lanier, secrétaire général, lors de l’hommage rendu aux journalistes « morts pour l’information », sur la place « Ghislaine Dupont – Claude Verlon – Camille Lepage » à Paris, ce mardi 3 mai 2022, pour la journée mondiale de la liberté de la presse.
Mesdames, messieurs,
C’est avec grand plaisir, et toujours un peu de tristesse, que nous nous retrouvons ici, en ce jour particulier, sur cette place Ghislaine Dupont – Claude Verlon – Camille Lepage, que nous avions inaugurée il y a trois ans. Ici dans ce qui a été un quartier historique de la presse, et à quelques dizaines de mètres du siège du Syndicat national des journalistes.
Il y avait un beau soleil il y a trois ans, comme aujourd’hui. Il y avait aussi de l’émotion, au moment de se souvenir de nos trois amis, consoeurs, confrère, trop tôt disparus. Il y avait eu les mots très personnels et très émouvants d’Isabelle Carré, comme aujourd’hui les paroles de Laurence Lacour, pour l’association des Amis de Ghislaine et Claude. Il y avait eu aussi les mots toujours justes et mesurés de Maryvonne, la maman de Camille.
Le SNJ avait dit, et redit aujourd’hui sa fierté d’apporter sa pierre à l’édifice de la mémoire, du souvenir de ces trois travailleurs des médias morts pour l’information.
Ghislaine, Claude et Camille sont morts pour l’information, comme tant d’autres. Et comme pour tant d’autres meurtres de journalistes, leur mort reste à ce jour inexpliquée, leurs auteurs sont en liberté.
Sans la vérité il ne peut y avoir de justice. Sans la vérité, c’est l’impunité des assassins et leurs donneurs d’ordre qui triomphe. La lutte contre l’impunité des assassins de journalistes est un des combats qu’il faut mener, pour protéger les journalistes.
En cette journée mondiale de la liberté de la presse, il n’est pas inutile de rappeler que la France, malgré les beaux discours, n’a toujours pas ratifié la convention de la fédération internationale des journalistes contre l’impunité et pour la sécurité des journalistes. C’est une anomalie, que le président Macron et son futur nouveau gouvernement seront bien inspirés de corriger.
En cette journée mondiale de la liberté de la presse, nos pensées vont aux reporters de guerre qui sont tombés ces dernières semaines en Ukraine. Toute la lumière devra être faite sur les circonstances de ces morts. Le SNJ salue le travail exemplaire des nombreux envoyés spéciaux qui couvrent la guerre d’invasion russe au péril de leur vie, pour informer au mieux les citoyens. Leur rôle est d’autant plus nécessaire, face à un conflit qui est aussi une guerre de l’information, et de la désinformation.
En cette journée mondiale de la liberté de la presse, nos pensées vont aussi au journaliste français Olivier Dubois, retenu en otage au Mali depuis plus d’un an maintenant, comme deux autres journalistes maliens, Hamadoun Nalibouly et Moussa M’Bana Dicko.
Et en France, comment se porte la liberté de la presse ? Ces derniers mois et ces dernières semaines nous ont démontré que la liberté n’était jamais acquise. Le journalisme est un sport de combat, la liberté de la presse doit se défendre tous les jours.
Il y a eu quelques avancées, comme la loi qui a renforcé le statut protecteur des lanceurs d’alerte. Mais il reste tant à faire.
Peut-on se satisfaire des 20 alertes déposées en moins de deux ans par les syndicats de journalistes sur la plateforme du Conseil de l’Europe pour des cas d’atteinte à la liberté d’informer, des menaces ou des violences visant des journalistes ?
Peut-on se satisfaire des quelque 200 cas recensés de journalistes violentés ou empêchés de travailler par les forces de l’ordre, principalement lors de la couverture des mouvements sociaux , pendant le précédent quinquennat ?
Peut-on se satisfaire de journalistes verbalisés, voire parfois même poursuivis, pour avoir simplement fait leur travail de couverture d’une manifestation, fût-elle interdite ?
Peut-on se satisfaire de l’état de la concentration des médias, dans ce pays, aux mains de quelques milliardaires, gavés d’argent public, et de la confiscation d’une chaîne d’info en continu, transformée en organe de diffusion d’une idéologie nationaliste et xénophobe ?
Peut-on se satisfaire d’une loi sur la protection des sources qui permet toujours des perquisitions, et des poursuites contre des journalistes, sur le délit de recel de violation du secret de l’instruction ?
Que d’écueils! Loi Sécurité globale, secret des affaires, procédures-bâillons, des journalistes pris pour cibles par des manifestants, entravés dans leur travail par les forces de l’ordre, espionnés par un logiciel espion, convoqués par la DGSE…
Un vent mauvais a soufflé sur la liberté de la presse ces dernières années, en France, alors que l’état de la profession, minée par une précarité endémique, ne cesse de se détériorer.
Au-delà des classements, et des petites phrases, la dégradation des conditions d’exercice des métiers du journalisme, et de la liberté de la presse, en France, est une réalité palpable, ressentie tous les jours, dans les rédactions. Il est grand temps que le discours politique change à l’égard des journalistes et des médias, et que ces discours se traduisent par des actes.
Vive la liberté de la presse !
SNJ