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Jean-Noël Savigny, planteur de canne : « Si je devais vivre de mon exploitation, je serais dans le rouge fluo à double trait »

Carole Leveneur et Jean-Noël Savigny sont tous deux agriculteurs et partagent un parcours difficile dans l’exploitation de la canne à sucre. Tous deux déplorent le manque de considération et de valorisation de leur travail. Ils ont accepté de raconter leur difficile quotidien en tant que planteurs de canne, à Parallèle Sud.

Carole Leveneur est éleveuse à La Saline-les-Hauts. Son élevage se compose d’une soixantaine de moutons et brebis. Il y a deux ans, elle a décidé d’arrêter l’exploitation de canne à sucre, faute de rentabilité financière. Jean-Noël Savigny est agriculteur à L’Étang-Salé. Il possède 4,75 hectares de cannes à sucre, mais aujourd’hui, il ne peut pas vivre de la canne. C’est grâce à la location touristique qu’il parvient à se payer à la fin du mois.

Carole et Jean-Noël ont deux histoires différentes mais qui se rejoignent sur un point : tous deux ont misé sur la canne à sucre, et ont été contraints de revoir ce choix, d’adapter ou de transformer leur activité, pour des raisons financières.

Carole Leveneur, agricultrice et éleveuse à la Saline-les-Hauts

Travailler, mais sans pouvoir se payer

Avant d’arrêter, cela faisait vingt ans que Carole Leveneur cultivait la canne. Elle explique comment elle a été forcée d’abandonner cette partie de son exploitation :
« Tous les intrants ont augmenté, toutes les charges à côté ont augmenté, et ce n’est que le prix de la canne qui n’a jamais bougé. Imaginez : vous gagnez 2 000 euros et vous avez 1 000 euros de charges, vous pouvez travailler… mais si on finit par vous demander 2 000 euros de charges, il y a quelque chose qui ne va pas. Il faut bien qu’on mange et qu’on boive à un moment. On a des prêts, des loyers comme tout le monde. »

Pour Jean-Noël Savigny, les recettes de son exploitation permettent d’en couvrir les frais, mais pas de le rémunérer :
« On est le premier maillon de la chaîne, pourtant, on est les derniers à être reconnus. Si je devais vivre de mon exploitation, je serais dans le rouge… même dans le rouge fluo à double trait. »
Ce constat, le cannier de L’Étang-Salé n’est pas le seul à l’avoir fait, car une grande majorité des planteurs de canne ont choisi de diversifier leur activité avec de l’élevage ou du maraîchage.

Un système agricole qui fait le rouleau compresseur sur les agriculteurs

Mais alors, si le système ne rémunère pas les producteurs au début de la chaîne, comme l’affirme M. Savigny , où va cet argent ? Comment est-il réparti ? Est-il possible d’atteindre une souveraineté alimentaire totale sur le territoire réunionnais ?

Nous avons posé cette dernière question à Carole Leveneur : « C’est possible, mais encore faudrait-il que les grandes surfaces jouent le jeu, au lieu d’importer des marchandises de l’extérieur à prix inférieur. Importer des produits que l’on n’a pas à La Réunion, je suis d’accord, à la rigueur, comme l’ail, l’oignon, le chou-fleur. Mais on ne concurrence pas l’agriculture réunionnaise avec l’extérieur. Ce qu’ils oublient, c’est qu’on a les règles, les charges européennes, et même des règles supplémentaires car on est sur une île. On n’est pas à Madagascar, à Maurice ou en Afrique du Sud. Pareil : les entreprises, les industriels et les politiques doivent faire leur part. »

Selon Jean-Noël, les agriculteurs sont obligés de travailler avec les industriels et les grandes surfaces, et de se plier à leurs règles, car ils détiennent un monopole :
« Chacun se bat pour son souper », comme il l’image, mais les agriculteurs sont les perdants de l’histoire.

Des aides qui ne redressent pas la barre

Et les politiques publiques, ont-elles aussi un rôle à jouer dans cette grande mécanique agricole ? Carole Leveneur explique que la Chambre d’agriculture et la DAAF ont accès aux données de tous les agriculteurs. À partir de ces données, l’accompagnement devrait se faire au cas par cas, selon les exploitations. Parfois, les agriculteurs manquent de matériel, parfois leur surface n’est pas assez grande pour être rentable, ou la trésorerie n’est pas suffisante. Pour les terrains en friche, c’est le même problème, selon l’agricultrice : « On entend souvent dire qu’il y a beaucoup de terrains en friche, mais posez-vous la question : pourquoi ? Cela coûte cher de remettre de la canne, et cet argent, l’agriculteur ne l’a pas. Il faudrait réfléchir à prêter l’argent avant, pour réellement soulager l’agriculteur. »

Le planteur de L’Étang-Salé pointe du doigt un mauvais calcul des aides distribuées par les pouvoirs publics. Actuellement, certaines de ces aides sont attribuées en fonction des pertes sur les recettes de l’exploitation (par exemple 20 % de pertes par rapport à l’année précédente en 2024) et non en fonction des factures, ce qui empêche Jean-Noël de les toucher : « Après un cyclone ou pendant les périodes de sécheresse, je passe dans mon champ pour épandre un peu de chimique et irriguer en eau. Je rebooste pour atteindre un équilibre de tonnage. »
Avec cette stratégie, il ne peut pas toucher les aides. Or, les factures d’eau et d’intrants, elles, sont bel et bien présentes.

L’utilisation des pesticides, une obligation ?

Dans tout ce système, vient la question des pesticides, dont la dangerosité n’est plus à prouver, sur le vivant dans sa globalité. L’adoption de la loi Duplomb est venue raviver ce débat, et les agriculteurs se sont retrouvés au cœur de la polémique.
Comment en arrive-t-on à utiliser des pesticides lorsqu’on est agriculteur ? Par déni, méconnaissance ou simple obligation pour éviter de mettre la clé sous la porte ? Carole Leveneur a donné son opinion sur cette question :

« Première chose déjà, il ne faut pas mettre tous les agriculteurs dans le même panier. Ensuite, si vous êtes malade et que vous n’arrivez pas à vous soigner avec une tisane, vous êtes comme tout le monde : vous allez chez le toubib et vous prenez des médicaments. C’est la même chose avec les agriculteurs. Si on doit livrer un hectare de tomates à notre client, qu’on a tout essayé pour combattre les pucerons — c’est-à-dire le vinaigre, le savon noir — et que rien ne marche, on finit par mettre des molécules. Parce qu’il faut qu’on gagne de l’argent, qu’on vive, comme tout le monde. »

Un métier à revaloriser

Alors, une agriculture sans pesticides relève-t-elle d’un monde idéal ? D’un monde où les agriculteurs ne seraient pas contraints de pratiquer leur métier dans des délais toujours plus intenables ou à des prix toujours plus bas ? Comment sont traitées les personnes qui œuvrent chaque jour à nourrir les autres ?

Pour les deux agriculteurs, ce métier est une histoire familiale au départ. C’est de là que la passion est née. Pourtant, aucun des deux passionnés ne s’attendait à toutes ces difficultés.

Jean-Noël Savigny se confie : « Si j’avais su que ça serait si dur, j’aurais même pas mis un pied dans la terre. Mais j’aime mon exploitation, parce que j’ai une porte de sortie à côté qui me permet de vivre. »

Carole Leveneur explique : « Ce n’est pas un métier qui est assez valorisé dans notre société, comme beaucoup d’autres métiers manuels dont on a besoin. En même temps, c’est un métier qui est dur, mais comme chaque métier. Pourtant, c’est aussi extrêmement gratifiant de nourrir la population. C’est quand même mieux que d’être sur un ordinateur et d’espérer gagner de l’argent sur les réseaux sociaux, comme veulent faire les jeunes maintenant. »

Alors, à l’heure du dérèglement climatique, d’une hausse de la démographie et de l’ensemble des autres défis que nous réserve l’avenir, quelle place souhaitons-nous donner à l’agriculture dans nos sociétés ? Et surtout, comment souhaitons-nous traiter celles et ceux qui ont choisi ces métiers de la terre, avec leur lot de difficultés ?

Sarah Cortier

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A propos de l'auteur

Sarah Cortier

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique et persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits, Sarah a rejoint l'équipe de Parallèle Sud. Elle souhaite participer à ce travail journalistique engagé, et apporter de nouveaux regards sur le monde.

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