« Parce que le silence n’est plus une option » : la jeunesse face à l’inceste et les violences sexuelles

Ils ont entre 14 et 17 ans et ont porté leur voix jusqu’à l’Assemblée nationale. Pendant huit mois, les 14 membres du groupe miroir de la CIIVISE ont travaillé d’égal à égal avec des experts pour élaborer 23 recommandations contre l’inceste et les violences sexuelles envers les enfants. Leur message est clair : la lutte ne peut se mener sans écouter les jeunes, véritables experts de leur quotidien.

Les 8 et 9 juillet derniers, un souffle inédit a traversé les murs de l’Assemblée nationale. Dans l’hémicycle, ce n’étaient pas les voix habituelles des parlementaires qui résonnaient, mais celles de quatorze adolescents venus des quatre coins de l’hexagone et des Outre-mer. Réunis au sein du groupe miroir de la CIIVISE – la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants – ils présentaient le fruit de huit mois de travail : un rapport dense, exigeant et porteur de vingt-trois recommandations pour mieux prévenir, protéger et accompagner les victimes.

Leur démarche, inédite à cette échelle, répond à une conviction simple mais trop rarement appliquée : pour agir efficacement contre un fléau qui touche un enfant sur dix, il faut écouter ceux qui en sont les premiers concernés. La CIIVISE l’a reconnu dans son éditorial : les adolescents sont « des citoyens acteurs de leur destin, détenteurs de savoirs sur leur expérience et leur monde vécu auxquels les adultes ont rarement accès ». En clair, ils savent de quoi ils parlent. Et dans ce combat, leur parole n’est pas un témoignage parmi d’autres : elle est une expertise.

Donner la parole aux jeunes

Prune Vandaele, 16 ans, habitante de La Réunion et militante de l’association Mon P’ti Loup qui lutte contre les violences faites aux enfants, se souvient avec fierté et gravité de cette aventure : « On voulait prouver aux adultes que nous, les enfants, on n’est pas seulement des enfants. On est capables de parler de politique, de problématiques sociales et économiques, surtout quand elles nous concernent directement. Et honnêtement, ils ne sont pas toujours les mieux placés pour décider pour nous. »

Prune n’en est pas à son premier engagement. Avec Margot, autre membre du groupe miroir, elle est bénévole au sein de l’association Mon P’ti Loup, qui œuvre à La Réunion pour combattre les violences faites aux enfants et, en particulier, l’inceste. Ensemble, elles participent aussi à la rédaction d’un fanzine associatif, dont le premier numéro était entièrement consacré à ce sujet. Un travail d’information et de sensibilisation qui montre que, pour elles, la parole et l’action vont de pair.

Prune, membre du groupe qui a travaillé sur le P'tit Fanzine et secrétaire de l'association. © Olivier Ceccaldi
Prune, membre du groupe qui a travaillé sur le rapport MIROIR en mai dernier lors de la sortie d’un Fanzine sur l’inceste . © Olivier Ceccaldi
Margot, membre du groupe qui a travaillé sur le P'tit Fanzine. © Olivier Ceccaldi
Margot, membre du groupe qui a travaillé sur le sur le rapport MIROIR, en mai dernier. © Olivier Ceccaldi

Une expérience d’égal à égal

Le groupe miroir a été créé en septembre 2024 par la CIIVISE, à la suite d’un appel à candidatures. Des jeunes de 14 à 17 ans, venus de métropole, de La Réunion, de Guyane ou encore de Mayotte, ont été choisis pour travailler en partenariat avec des experts – pédopsychiatres, directeurs d’associations et représentants institutionnels. La rencontre inaugurale a eu lieu à Paris, en janvier 2025, pour se rencontrer, briser la glace et jeter les bases du travail commun. Puis, mois après mois, le groupe s’est retrouvé en visioconférence, deux heures à chaque fois, pour confronter les points de vue, creuser les idées, rédiger.

Pour Prune, cette collaboration a ouvert de nouvelles perspectives : « C’était très respectueux, très informel aussi. Ils essayaient vraiment de nous mettre à l’aise. On avait besoin d’être considérés d’adulte à adulte. Pas comme des élèves qui récitent, mais comme des partenaires qui construisent ensemble. »

La restitution, en juillet, a été un moment fort. Devant la ministre du Numérique et de l’Intelligence artificielle, Clara Chappaz, la haute commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, et des membres de la délégation aux droits de l’enfant de l’Assemblée nationale, les adolescents ont défendu leurs propositions. « On voulait qu’ils soient impressionnés, qu’ils comprennent que notre travail ne devait pas tomber dans l’oubli », insiste Prune.

Rencontre avec Clara Chappaz, ministre du numérique et de l’IA le 8 juillet. © Service presse ministre
Rencontre avec la délégation des droits de l’enfant le 9 juillet à l’Assemblée nationale. © CIVIISE
Equipe miroir de la CIVIISE devant l’Assemblée nationale le 9 juillet. © CIVIISE

Des recommandations ancrées dans le réel

Le rapport ne se contente pas d’énoncer des principes. Il propose des mesures concrètes, issues de l’expérience quotidienne des jeunes. La première, symbolique, est la création d’un permis de pair-aidance : former des adolescents à accueillir la parole d’un·e camarade victime et à l’orienter vers les bons interlocuteurs. « Souvent, la première personne à qui une victime se confie, c’est un ami du même âge. Mais si cet ami ne sait pas comment réagir, la parole peut se perdre », explique Prune.

Le numérique, omniprésent dans la vie des jeunes, occupe aussi une place centrale. Tutoriels obligatoires à l’ouverture d’un compte, limitation des messages privés, vérification de l’âge, équipes de modération disponibles par tchat… Les propositions visent à rendre les réseaux sociaux plus sûrs, sans tomber dans l’illusion de l’interdiction. « Les enfants iront sur les réseaux quoi qu’il arrive, rappelle Prune. Le but, c’est de les rendre plus sûrs, pas de les interdire. »

Enfin, le rapport appelle à une meilleure formation des adultes – enseignants, éducateurs, policiers, médecins – pour qu’ils sachent entendre, croire et protéger les victimes, tout en évitant de leur imposer de répéter leur récit à l’infini.

Quand les jeunes réapprennent aux adultes à écouter

Ce qui frappe dans cette expérience, c’est la réciprocité de l’apprentissage. Les adolescents ont apporté aux adultes un regard direct sur leur quotidien, notamment sur les violences en ligne, parfois méconnues ou minimisées. « On a compris que l’éducation peut se faire dans les deux sens, raconte Prune. Les enfants peuvent apprendre énormément aux adultes. Il n’y avait pas de hiérarchie : on pouvait dire nos idées librement. »

Cette liberté d’expression, encadrée mais authentique, a soudé le groupe. Au-delà des échanges sur des sujets graves, des liens amicaux se sont tissés, renforçant la confiance mutuelle. Et cette confiance est l’un des fils rouges du rapport : pour que la parole des victimes se libère, il faut des espaces où l’on se sent écouté, compris, protégé.

Un appel à ne pas laisser retomber l’élan

Aujourd’hui, le groupe miroir a transmis le relais. Les jeunes savent que certaines recommandations peuvent être mises en place rapidement, tandis que d’autres, plus ambitieuses, nécessiteront des changements législatifs. « Maintenant, c’est aux adultes de jouer », affirme Prune, « mais comme ça a été médiatisé et relayé par les ministres, on espère que ça ne tombera pas dans l’oubli. »

Son message de fin est clair : « Les violences sexuelles, ça touche tout le monde. Trois enfants par classe en moyenne, et encore, c’est ce qu’on sait. En réalité, il y en a plus. Si on ne fait rien, ça augmente. On ne peut pas fermer les yeux. »

Le rapport du groupe miroir, « reflet d’une jeunesse qui se lève, qui refuse le silence et qui agit », n’est pas une conclusion, mais un début. Un signal adressé à tous ceux qui pensent, décident et agissent : pour être à la hauteur, il faut associer les jeunes, non comme figurants mais comme co-constructeurs.

Olivier Ceccaldi

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A propos de l'auteur

Olivier Ceccaldi

Aujourd'hui journaliste, Olivier a tout d'abord privilégié la photographie comme support pour informer notamment sur les réalités des personnes exilées face à la politique migratoire de l'Union européenne. Installé sur l'île de La Réunion depuis 2024, il travaille principalement sur les questions de société.

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