Prune, de l'association Mon pt'i Loup interprète plusieurs morceaux à la guitare pour évoquer les violences envers les enfants.

« Les jeunes sont capables de parler de politique et de sujets de société » : interview de Prune Vandaele, 16 ans, membre du groupe miroir de la CIIVISE

À 16 ans, Prune Vandaele, originaire de La Réunion et militante de l’association Mon P’ti Loup, a participé au travail du groupe miroir de la CIIVISE dont le rapport a été présenté en juillet devant des députés et membres du gouvernement. Elle raconte cette expérience unique qui a permis à des adolescents de travailler main dans la main avec les décideurs, et explique pourquoi la parole des jeunes est essentielle pour mieux protéger les enfants des violences sexuelles.

Q : Peux-tu expliquer ce qu’est le groupe miroir et comment il est né ?

Le groupe miroir a été créé en septembre 2024 par la CIIVISE, la Commission indépendante contre l’inceste et les violences sexuelles. La commission est interministérielle et a été mise en place par le gouvernement pour lutter contre ces violences. Ils ont eu l’idée de créer ce groupe parce qu’ils sentaient qu’il manquait quelque chose : la parole des principaux concernés, les victimes.
Un appel à candidatures a été lancé et j’en ai entendu parler un peu par hasard. On s’est retrouvés à 14 jeunes, pas forcément tous victimes de violences, venant de métropole et d’Outre-mer. Le but était vraiment de donner la parole aux jeunes sur des sujets qui les concernent directement, comme les dangers des réseaux sociaux ou comment aider les autres à notre âge qui seraient victimes d’actes de violences, sexuelles ou autre.

Q : Pourquoi l’appeler « groupe miroir » ?

C’est un miroir des adultes, mais aussi un miroir de ce que nous vivons au quotidien. On voulait leur apprendre des choses qu’ils ne connaissent pas toujours : nos souffrances, notre quotidien.

Q : Comment se sont déroulés ces mois de travail ?

On s’est d’abord rencontrés en présentiel en janvier 2025 à Paris pour apprendre à se connaître et créer des liens. On a travaillé sur des thèmes à la fois imposés et choisis, par exemple le numérique. Ensuite, on s’est retrouvés chaque mois pendant deux heures en visioconférence, pendant huit mois. En juillet, on s’est revus à Paris pour finaliser le rapport.

Q : Que représentait pour vous la présentation du rapport à l’Assemblée nationale et devant des représentants du gouvernement ?

C’était très important. Pendant ces deux jours, on a rencontré toute la CIIVISE, mais aussi la ministre du Numérique et de l’Intelligence artificielle, Clara Chappaz, et la haute commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry. On voulait vraiment être à la hauteur, les impressionner, pour que nos huit mois de travail ne tombent pas dans l’oubli. On voulait leur prouver que nous sommes matures, capables de parler de politique et de sujets de société. C’était aussi important qu’ils comprennent qu’ils sont pas forcément les mieux placer pour prendre des décisions qui nous concernent et que c’est mieux quand on peut directement répondre à leurs questions.

Q : Qu’attendez-vous maintenant que le rapport est remis ?

Nous avons formulé 23 recommandations, certaines faciles à mettre en œuvre, d’autres plus complexes car elles nécessitent de changer la loi. Maintenant, c’est aux adultes de les relayer. On espère que ça ne sera pas oublié, d’autant que ça a été bien médiatisé et relayé par les ministres sur leurs réseaux. On sait que cela prendra du temps mais on espère tous et toutes que ce rapport va être pris en compte. C’est aussi pour cela qu’on a besoin que notre travail soit relayé par les médias nationaux et locaux.

Q : La première recommandation concerne la « pair-aidance ». De quoi s’agit-il ?

On s’est inspiré de ce qui existe dans le milieu médical, où une personne en rémission vient aider une personne malade. Ici, le « pair » n’est pas un adulte mais un jeune du même âge. C’est aider un·e ami·e victime à accueillir sa parole et l’orienter.
Souvent, la première personne à qui une victime parle, c’est un ami, un proche à qui l’on fait confiance. Mais si cet ami ne sait pas comment réagir, la parole peut se perdre. C’est ce qui m’est arrivé : une amie m’a parlé d’une agression qu’elle avait subie en ligne, mais je ne savais pas quoi faire. On veut donc former les jeunes à savoir écouter et orienter. Donc cette recommandation, pour qu’elle fonctionne, il faut également renforcer la prévention et cela passe par des heures dédiées, en milieu scolaire, à de la sensibilisation sur les violences faites aux enfants et sur l’écoute et l’orientation des victimes.

Q : Vous avez aussi travaillé sur les réseaux sociaux. Pourquoi ?

Le numérique, c’était le thème « imposé » lors de la première séance de travail. Mais très vite, on s’est rendu compte que sur les 14 membres du groupe de travail, chacun avait été témoin ou avait reçu une révélation de violences à travers ce canal. Les réseaux, c’est à la fois génial et dangereux. On peut y rencontrer des gens, partager des passions, mais il y a énormément de cyberpédocriminalité.
On est aussi conscients que les enfants iront sur les réseaux quoi qu’il arrive. L’important, c’est donc de les rendre plus sûrs. Nous, on veut une prévention 2.0, plus interactive, qui englobe aussi les jeux vidéo et les forums. On a développé des propositions sur plusieurs axes : plus de prévention auprès des enfants mais aussi des adultes, plus de respect du droit à l’image des enfants notamment dans l’utilisation de leurs images par les parents mais aussi un travail plus complet sur comment aider les jeunes qui se retrouveraient dans une situation d’emprise vis à vis d’une personne adulte via les réseaux.

Q : Est-ce que les enfants sont assez écoutés sur ces sujets et plus largement sur les questions de société ?

Non. Les politiques ne reconnaissent pas assez qu’ils ont besoin de nous. La CIIVISE a créé le groupe miroir pour ce sujet précis, mais ça devrait exister dans tous les ministères. On veut être sollicités partout, y compris en Outre-mer. Un jeune de La Réunion ne vit pas les mêmes réalités qu’un jeune de Paris ou de Mayotte.

Q : Qu’as-tu personnellement retenu de cette expérience ?

D’abord, les liens créés avec d’autres jeunes qui partagent mes convictions. Ensuite, j’ai vu qu’on pouvait apprendre aux adultes, et eux à nous. Il n’y avait pas de hiérarchie : on pouvait s’exprimer librement. J’ai aussi appris beaucoup sur la politique et sur moi-même. Et surtout, on s’est sentis utiles : ce qu’on a fait peut aider d’autres enfants.

Q : Si tu avais un message à adresser en conclusion ?

Aux jeunes : engagez-vous, que ce soit dans des associations, des projets citoyens ou pour l’écologie. Ça rend fier et ça donne le sentiment d’être reconnu.
Aux adultes : écoutez-nous et relayez notre rapport. Les violences sexuelles touchent tout le monde, dans toutes les classes sociales. Trois enfants par classe en moyenne, et encore, c’est ce qu’on sait. Sans action, ça ne peut qu’augmenter.

Entretien réalisé par Olivier Ceccaldi

Crédit photo de couverture : Prune Vandaele, lors d’une manifestation contre l’inceste, devant le tribunal de Saint-Pierre . © Olivier Ceccaldi

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A propos de l'auteur

Olivier Ceccaldi

Aujourd'hui journaliste, Olivier a tout d'abord privilégié la photographie comme support pour informer notamment sur les réalités des personnes exilées face à la politique migratoire de l'Union européenne. Installé sur l'île de La Réunion depuis 2024, il travaille principalement sur les questions de société.

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