Sorti depuis 5 mois sur les plateformes de streaming, l’EP Kozman interroge le Réunionnais sur l’importance de faire pays. Rencontre avec Socko lo Kaf et Soleïman Badat, les deux artistes à l’origine de ce projet.
(Crédit de la photo mise en avant : Blackcésar)
Dans les rencontres, la magie est parfois au rendez-vous, et quand elle opère, on se souvient de ses premières impressions. Quand Socko Lokaf, le fonnkezer a rencontré Soleïman Badat, ses accords de guitare et sa façon de jouer « ont fait écho » en lui. Il a tout de suite senti que ce dernier mettrait du coeur à l’ouvrage.
Cela a donné lieu au morceau « Rouv lo ron ». Plus tard, ils ont tourné dans l’île avec un spectacle « Rèv » et aujourd’hui, ils reviennent avec un EP du nom de « Kozman ».
Selon Soleïman Badat, dans ses fonnkèr, Socko assènent des « coups de poing verbaux ». Alors, si le musicien n’approuvait pas ses propos, il n’aurait sûrement pas pu partager ce projet. De plus, sa manière d’écrire et ses mots le touchent.
Kisa i sort isi ?
« Kozman », le premier titre de l’EP questionne sur l’identité réunionnaise, mais qu’est-ce qu’un Réunionnais ? Pour Soleïman Badat, il s’agit d’une personne qui a des ancêtres sur la terre de La Réunion. « Je pense que si je vais habiter en Bretagne pendant 40 ans, jamais je ne pourrais me revendiquer Breton. J’ai l’impression que de s’approprier un territoire ou une appartenance, ça ne fonctionne que dans certains lieux et pour certaines personnes, mais chacun a son origine et un Réunionnais, c’est quelqu’un qui vient de La Réunion. »
Et Socko d’ajouter: « il est important de pouvoir affirmer notre identité, parce qu’aujourd’hui tout le monde, tout et n’importe qui ose se prétendre Réunionnais. »
Il s’interroge aussi sur le pourquoi on se cherche des origines extérieures pour trouver une fierté d’exister quand on pourrait tout simplement affirmer sa culture et la reconnaître pour se revendiquer peuple.
Sur leur EP, le titre « 3 jours, 3 mois, 3 ans » décrit un personnage antipathique qui rabaisse le Réunionnais. Ce fonnker provocateur extrait de son recueil « Sanm lo ker » avait fait débat avec sa maison d’édition.
Le texte commence par un « foutan ». En effet, en disant « ceci est une fiction », il ironise. « Certains peuvent voir une hyperbole d’une réalité, mais moi, je vois une réalité aussi crue que celle qui nous est renvoyée à la figure ». Il poursuit : « Lo moun mi sinz, mi di son manirfé, son manirwar. Mi di pa tout lé koma, mi di pa non pli i ègzis pa. Domoun komala mwin la krwaz inn dé fwa, sanm son vilin manir kolon».
Nout lang, une option
Selon Socko, le texte n’interroge pas que ceux qui viennent d’ailleurs, il est aussi une invitation aux Réunionnais à se remettre en question face à ce type d’individu « La plas in moun néna sé la plas nou done ali ».
Les deux artistes pointent du doigt un système colonial qui perdure. « Lékol la aprann amwin di lamour dan tout kalité la lang sof dan la myinn. Dosi nout prop tèr aprannn nout prop lang sé in lopsyon. Ziskakélèr nou sra spéktatèr dosi nout bout la tèr ? Poukwé fo sé nou i aprann kozé sak i vé pa aprann la not? Nou lé touzour anndan in rapor la fors, na touzour in spès rolasyon Dominan/Dominé, é sa dan tout kalité domèn. »
Un paradis tropical
Et Soleïman Badat de prendre l’exemple de la formation. Il estime qu’on forme plus de Réunionnais à travailler dans le manuel et les métiers de service que l’on ne forme de Réunionnais pour être cadre ou décideur. Produire des intellectuels qui pourraient avoir une vision pour La Réunion ne semble pas à l’ordre du jour.
D’autre part, il reconnaît que l’île compte de belles infrastructures et notamment la NRL : « la sculpture d’art contemporain la plus chère de la planète ». « On a énormément de potentiels, mais du potentiel pour qui ? Quand tu crées du développement comme ça, quand tout devient de plus en plus facile et que tout ressemble à là-bas, qui va venir de plus en plus? Le Réunionnais qu’on incite à partir pour se former ou des gens en quête de paradis tropical ? On pourrait être ce paradis tropical pour nous-mêmes, malheureusement on a l’impression de connaître l’inverse du paradis quand on est d’ici. »
Le 1er titre de l’EP « 172 an plis dovan », lui, interpelle au sujet de l’esclavage moderne et de l’héritage colonial encore présent. À travers ce trois titres, Socko Lokaf et Soleïman Badat invitent les Réunionnais à questionner leur rapport à l’autre, leur rapport à eux-mêmes, leur rapport à la terre, leur rapport aux croyances afin de se responsabiliser pleinement en tant qu’acteurs à part entière de La Réunion.
Socko Lokaf / Soleïman Badat – « Kozman »( à écouter sur les plateformes de streaming https://hypeddit.com/3zqwgm ).
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